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M. Eugène Sue a adressé naguère au journal le National, à propos de la question religieuse, une lettre qui mérite d'attirer l'attention, tant par le nom de celui qui la signe, que par l'importance du sujet qu'elle traite. Il y signale la croisade entreprise dans le monde entier par le parti catholique contre les droits légitimes de la raison et contre la liberté des peuples. Suivant M. Eugène Sue, cette croisade offre un danger grave pour l'humanité; ce n'est pas que celle-ci puisse être détournée pour toujours de l'avenir qui lui est réservé; mais sa marche peut être entravée, et la partie catholique de l'Europe, condamnée à passer par les plus rudes épreuves.

La cause de ce danger réside en ceci : Que la réaction catholique s'empare de plus en plus de l'enseignement, et que le catholicisme, affaiblissant la raison par ses doctrines, rend l'homme incapable de vivre libre.

« Imbu, pénétré de ces doctrines, l'enfant devient adolescent, devient homme... et d'ordinaire, il ne pratique point ses devoirs religieux, souvent même il pose en esprit fort, rit des miracles et des saints, du diable et de ses cornes, s'adonne à ses plaisirs, à ses passions... Mais, ne vous y trompez pas, cet homme garde à jamais l'empreinte catholique...

>>

Oui, reçue dès l'enfance, cette empreinte devient indélébile, fatale... et désormais l'homme apporte dans le cours de sa vie de citoyen, dans ses rapports avec l'autorité régnante, l'habitude de la soumission sans examen et le besoin d'être commandé.

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Voyez aussi combien le despotisme s'implante et s'enracine facilement dans les États catholiques.

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Voyez combien ces peuples ont peu le sentiment normal de la liberté, la conscience de leurs droits, de leur dignité.

>> Oh! sans doute, lorsque le joug leur paraît trop humiliant ou trop cruel, la nature se révolte chez ces peuples, et ce joug, ils le brisent dans un accès d'héroïsme admirable... mais bientôt, effrayés des libertés dont ils n'ont pas le rudiment, l'habitude, ils souffrent qu'on les leur ravisse, le besoin d'obéir reprend le dessus... et parfois ils subissent un joug plus odieux que celui qu'ils ont brisé... »

M. Eugène Sue attribue le succès actuel de la réaction catholique à trois causes principales. D'abord à l'alliance que les partisans de la liberté contractent parfois avec l'Église dans d'excellentes intentions, mais avec une naïveté dont ils sont toujours les dupes.

Ensuite au défaut d'accord qui existe dans la conduite des

adversaires des dogmes, catholiques entre leurs croyances et leurs actions. Ces dogmes, ils les attaquent sans relâche dans leurs paroles, et pourtant ils s'y soumettent sans protestation dans toutes les grandes circonstances de leur vie.

En troisième lieu, à la guerre inintelligente déclarée au protestantisme par les hommes de liberté modérée et par grand nombre de radicaux et de libres penseurs. Le protestantisme, dit-il, est du moins pur de ces trois lèpres la papauté, la confession et le célibat des prêtres. La réforme religieuse a préparé la réforme politique. Les nations libres aujourd'hui sont les nations protestantes. Le protestantisme cultive, développe la raison, au lieu de l'étouffer, comme fait le catholicisme. Basé sur le libre examen, il donue naissance à une multitude de sectes, parmi lesquelles il en est une qui peut servir de pont pour passer au rationalisme pur.

M. Eugène Sue examine, en terminant sa lettre, quels sont les moyens pratiques pour triompher de la réaction cléricale. Voici ceux qu'il indique :

«La séparation complète pour les enfants de l'instruction morale et de l'instruction religieuse;

» Que nul citoyen ne soit autorisé par l'État à ouvrir une maison d'éducation, s'il n'appartient à l'université laïque ;

» Une association rationaliste prêchant publiquement l'exemple par des actes conformes à ses paroles; et, si celle-là ne peut se constituer encore, une association pour la propagation de l'unitarisme;

>> Si le protestantisme en général et l'unitarisme en particulier, redevenu ce qu'il était à son berceau, une religion d'opposition, en un mot de protestants, de gens qui protestent, s'augmentait de tous les citoyens qui, nominalement catholiques, mais complétement étrangers aux pratiques de cette foi, naissent, vivent, meurent dans la parfaite insou

ciance, indifférence ou contemption de ces dogmes, l'Église de Rome perdrait les trois quarts de ses fidèles, et serait frappée d'un coup irremédiable, mortel peut-être... »

Telles sont les craintes, tel le plan de campagne, telles les espérances de victoire de l'auteur du Juif Errant. Il soumet ses idées à la discussion des hommes de liberté de tous les pays. Déjà M. Edgar Quinet a répondu à cet appel dans une lettre pleine des plus nobles aspirations, mais assombrie par une sorte de découragement que je ne crois pas justifié par les faits. Examinons à notre tour les idées de M. Eugène Sue.

Le danger qu'il signale est grand. Le parti catholique craint pour ses doctrines la lumière et la liberté de la civilisation moderne. Il veut par tous les moyens ramener le régime du moyen âge, l'âge d'or de sa domination. Pour cette lutte impie, il trouve au fond de la plupart des hommes des alliés tout prêts: ce sont la paresse de l'esprit, la faiblesse du cœur, l'empire des sens.

A la paresse de l'esprit, l'Église catholique dit : Ne te fatigue pas à chercher la vérité à travers les doutes et les angoisses de la raison faillible. Cette vérité, la voici résumée en quelques mots tu peux y croire sans hésitation, car elle porte la marque visible de sa divine origine, et moi qui te l'enseigne, je suis infaillible.

A la faiblesse du cœur, elle dit: Ne crains rien; si tu viens à tomber, le remède est facile. Humilie-toi devant le prêtre; il a le pouvoir d'effacer tous tes péchés; obtiens son pardon, et tu paraîtras devant Dieu, pur comme au jour où l'eau baptismale te lava de toute souillure.

Aux sens, elle dit : La vérité, dans sa nudité austère, n'est pas faite pour la foule. Il lui faut le mystère et le symbole. Je m'emparerai de l'âme humaine par le charme magique de l'art, par l'entraînement de l'harmonie, par l'imposante ma

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jesté des costumes, des cérémonies, des chants, par le goût inné du fétichisme. Je serai le spectacle et la fête de ceux qui u'en connaissent point d'autres.

La puissance naturelle du dogme catholique, ainsi triplement enraciné, est encore accrue de la force incalculable qu'obtient le prêtre par suite de sa domination à peu près exclusive dans le domaine de l'enseignement.

Comment l'homme moderne va-t-il résister au génie des ténèbres qui l'envahit et le circonvient de toutes parts? Examinons les moyens que M. Eugène Sue propose :

1° Sécularisation de l'enseignement.

M. Eugène Sue a raison d'insister sur ce point. Il est de la plus haute importance que l'État ne fasse enseigner dans ses écoles que les sciences, la morale, en un mot, l'ordre des vérités basées sur la raison. C'est là son domaine propre ; s'il en sort, il se crée d'inextricables difficultés : il soulève des conflits qu'il ne peut faire cesser qu'en sacrifiant sa dignité et son indépendance. L'enseignement des mystères révélés appartient aux ministres des différents cultes. Que l'État en abandonne le soin aux parents, il n'a rien à y voir. La sépation de l'Église et de l'État ne sera qu'un vain mot, tant qu'elle ne sera pas accomplie dans l'enseignement public. C'est là que la confusion des deux ordres est le plus funeste, parce que c'est là qu'elle a les conséquences les plus étendues.

Mais comme il s'agit ici de l'instruction publique, cette réforme ne pourra y être introduite que par une loi. Ceux donc qui ne sont pas au pouvoir ne peuvent que l'appeler de leurs vœux et la préparer par leurs écrits.

2o Exclusion de l'enseignement de quiconque n'appartient pas à l'université laïque.

Quand la liberté est de droit commun, qui la repousse est

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