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époque de ténèbres, il ne peut soutenir l'éclat de la lumière. En ce pays surtout il ne trouve nul appui, ni dans les passions, ni dans les institutions, ni dans aucune des conditions de notre ordre social. Il rejette toute idée de réforme, et la passion du progrès enflamme tous les esprits. Il prend son point d'appui dans le passé, et cette génération s'élance avec ardeur vers l'avenir; il s'attache à des formes que l'esprit humain a secouées; il prétend ne pas modifier des doctrines dans lesquelles notre siècle voit l'empreinte de l'antique ignorance; il interdit la libre recherche, et la libre recherche est le génie de notre temps, la recherche la plus hardie que rien n'arrête et qui sonde tous les mystères de la pensée.

» Le catholicisme enlève aux fidèles le droit de choisir leurs ministres, et le droit d'élection est l'essence même de nos institutions. Il établit un clergé aristocratique, et le peuple est foncièrement républicain. Il cache les écritures, et notre âge veut tout lire, lire surtout ce qui lui est défendu.

Le catholicisme ne peut comprendre que le passé n'est pas le présent; il ne peut comprendre la révolution produite par l'imprimerie et par la renaissance des sciences. Ses souvenirs s'arrêtent aux siècles du moyen âge. Il espère encore imposer à la pensée des entraves qui étaient efficaces avant l'invention de la presse, et il s'efforce d'étayer des institutions que ne comportent plus ni l'état actuel de la société, ni la tendance de nos idées.

» Les révolutions politiques de notre temps suffiraient seules pour sceller son arrêt de mort; mais il a à craindre une révolution religieuse bien plus formidable. Ce culte appartient à l'âge dogmatique du christianisme, à cette âge où l'on croyait qu'on pouvait condenser toute l'essence de notre religion dans les formules d'une confession de foi, laquelle devait

être un élixir de vie pour quiconque parviendrait à se l'assimiler. Nous en sommes arrivés maintenant à comprendre que le christianisme n'est pas un dogme, mais un esprit; que son essence est l'esprit de son divin fondateur; qu'il importe peu à quelle Église un homme appartienne, ou quelle formule il souscrive; que rien n'est réellement important sauf l'amour suprême, la connaissance et la poursuite de la perfection morale qui éclate dans la vie et dans les enseignements du Christ. Telle est la vraie doctrine catholique; la confession de foi de la véritable Église, réunissant dans une même communion spirituelle les hommes de bien et de vertu de tous les temps et de tous les pays; le principe sublime qui brisera ces barrières terrestres et faites de boue qui séparent maintenant les justes les uns des autres. Le catholicisme est en guerre ouverte contre cette grande idée que confirment de concert la révélation et la raison, l'intelligence et le cœur, l'expérience et la philosophie, contre cette vérité féconde que dévoilent les lumières de la civilisation.

» Le grand ennemi de l'Église romaine, n'est pas le théologien ; car celui-ci on peut l'emprisonner, l'enchaîner, le brûler. Non, c'est la nature humaine, s'éveillant à la conscience de ses forces, saisissant un aspect de la perfection pour laquelle elle est faite, commençant à se respecter elle-même, avide de liberté et de développement, sentant au dedans d'ellemême qu'il y a quelque chose de plus divin que des formes, des églises ou des confessions de foi, reconnaissant en JésusChrist son modèle céleste et proclamant la parenté de tous ceux qui ont pris part à la vie de l'esprit et à l'amour sans égoïsme. Voilà, voilà le plus formidable ennemi du catholicisme.

J'attends avec confiance du déploiement indéfini des forces invincibles de la nature humaine la victoire sur toutes

les superstitions. La raison, la conscience, la puissance par laquelle nous reconnaissons le vrai et le juste, sont immortelles comme leur Auteur. Opprimées depuis tant d'années, toujours, toujours elles vivent. Semblables à la flamme centrale de notre globe, elles peuvent soulever des montagnes. On prend courage, quand on voit à travers quel amas d'iniquités et de ténèbres elles se sont frayé un chemin et nous devons nous souvenir que chaque développement nouveau les met en contact plus intime avec la vérité toute puissante et vivifiante et avec le caractère de Jésus-Christ.

» Une théologie en lutte avec les lois de la nature physique n'aurait aucune chance de remporter la victoire... Les lois de notre nature spirituelle rendent plus certaine encore la défaite du système qui voudrait en entraver ou en arrêter l'essor. Le développement de l'individu ou de la société qui a ébranlé le trône de Rome, n'est pas un accident, le produit anormal d'un effort spasmodique; non, c'est le résultat du progrès naturel de l'àme. Devant ce progrès, le catholicisme doit tomber. Et en vérité est-il encore debout? »

Comme MM. E. Sue et E. Quinet, Channing croit que nous sommes arrivés à une époque où les formes religieuses actuelles subiront une transformation profonde. La religion, suivant lui, ne sera plus quelque chose d'extérieur, une hiérarchie, un formulaire, un rituel auxquels l'idée de salut est inévitablement liée; elle deviendra un esprit de vie qui pénétrera l'âme tout entière, qui animera toutes les manifestations de la pensée, tous les actes de l'existence; cessant d'être un mécanisme, elle deviendra une flamme, un souffle qui entraînera les hommes à faire le bien. Ah! si tous pouvaient s'aimer les uns les autres, comme s'évanouiraient ces difficultés économiques, ces dissensions politiques, ces iniquités de

toute espèce qui nous réservent encore de si profonds bouleversements!

Channing croit, non moins que M. E. Sue, qu'il faut combattre le catholicisme; mais par quels moyens? Uniquement en répandant l'instruction, en donnant au peuple des notions plus justes de sa destinée morale, de la dignité de son ètre, des droits de la raison. Le clergé catholique comprend si bien que pour lui le grand danger est là, que partout il lutte à outrance pour conserver ou pour envahir la domination exclusive de l'enseignement du peuple.

La conclusion du ministre unitairien se rapproche beaucoup de celle de M. E. Quinet. Seulement celle-ci est plus pratique, parce que le noble exilé, mêlé de plus près aux difficultés de toute nature qui nous assiégent, comprend plus vivement la nécessité d'un prompt remède. Mais tous deux ont cela de commun qu'ils attendent le progrès dans l'ordre religieux, non d'un divorce violent avec la tradition chrétienne, mais au contraire d'un développement nouveau et plus vivant de l'esprit de charité et de lumière, et d'un sentiment de plus en plus épuré de nos rapports avec Dieu et avec nos semblables.

DE

L'AVENIR DU CATHOLICISME

ESSAIS SUR LA RÉFORME CATHOLIQUE (1).

Die religion ist der Herzschlag
der Sittlichen Welt.
ARNOLD RUCE.

Qui niera l'importance des questions religieuses? Celui-là seul qui n'y a jamais réfléchi. Mais un tel homme existe-t-il? Qui donc, assistant aux derniers moments d'une personne aimée, ne s'est demandé : Tout finit-il là ? Qui, songeant à sa propre fin, dont un instant à peine le sépare, ne s'est dit : Et après ? La mort, qui nous environne et nous dévore, pose sans cesse le problème.

Tant que mon faible cœur, encor plein de jeunesse,

A ses illusions n'aura pas dit adieu,

Je voudrais m'en tenir à l'antique sagesse,
Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu.

(1) Un fort vol. in-12, par BORDAS-DUMOULIN et F. HUET. Paris, Chamerot, 1856.

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