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Une comparaison de la situation des caisses d'épargne de l'Angleterre et de celles de n'importe quel pays catholique prouverait également la réalité de l'influence que je signale (1).

L'empire de la mode, qui, de Paris, dicte ses arrêts à l'univers, s'étend, à la vérité, même sur les pays les plus pénétrés de l'esprit de la Réforme; et, récemment encore, les quakers viennent d'abolir l'obligation de porter le costume illustré par Penn et par Roger Williams. Mais il n'en est pas moins certain que cet esprit est hostile au faste et au luxe, et, partant, favorable à l'épargne.

On dira peut-être que j'ai exagéré l'influence exercée par le culte. Pourtant je me suis borné à constater des faits de l'ordre matériel et des faits de l'ordre moral, en montrant dans les seconds la cause évidente des premiers. Quand on voit, d'une part, les peuples affranchis de l'autorité de Rome l'emporter dans le commerce, dans l'industrie et dans l'agriculture, sur ceux qui y restent soumis; et, d'autre part, au sein d'une même nation, les protestants l'emporter sur les catholiques comme commerçants, industriels et agriculteurs, on est forcé de conclure que le protestantisme, qui favorise le développe

(1) En Angleterre (non compris l'Irlande), on comptait, en novembre 1860, 1,586,357 déposants, soit 1 par 11 habitants, et le total des dépôts s'élevait à 1,082,458,000. Il faut noter en outre qu'il existait en 1857 en Angleterre 26,000 sociétés de secours mutuels, comptant au moins 2,000,000 de membres, avec un capital de 9,000,000 liv. sterl. (225,000,000 de fr.) et dépensant annuellement 25,000,000 de francs pour frais de maladies de leurs membres. Au 31 décembre 1860 il existait en France 1,218,122 déposants, soit 1 sur 20 habitants, avec un crédit total de 377,273,992, et quoique la population surpassât à peu près de moitié celle de l'Angleterre et du pays de Galles, on ne comptait que 426,453 membres de sociétés de secours mutuels, avec un capital de 16,532,100 fr. En Espagne, en Italie, en Bavière, en Autriche, la force de l'épargne paraît encore moins développée qu'en France.

Dans l'État de Massachussetts, on trouve 1 déposant sur 5 habitants. En Suisse, en moyenne, 1 sur 13. Mais dans le canton de Neufchâtel, qui est protestant, on trouve 1 déposant sur 7 habitants, et dans les caisses d'épargne 727 fr. par habitant. Dans le canton catholique du Tessin, seulement 1 déposant sur 39 habitants.

ment des institutions libres, féconde aussi l'accroissement de la richesse. Or, il est certain que les cultes réformés favorisent la diffusion des lumières, la force de la raison et l'énergie de l'initiative individuelle, lesquelles favorisent à leur tour la production de la richesse; il en résulte cette conclusion évidente que les peuples anglo-saxons, plus pénétrés que les autres peuples de l'esprit de la Réforme, jouissent, dans la concurrence économique, d'un grand avantage sur les nations qui ont conservé une religion hostile à l'instruction laïque et à l'action de la raison individuelle.

En résumé, j'ai essayé d'esquisser à grands traits les progrès accomplis dans l'ordre matériel depuis le xvIe siècle par les Anglais et par les populations issues d'eux. J'ai cru trouver les causes de ce progrès d'abord dans l'énergie, dans la persévérance et dans la prévoyance qu'ils apportent au travail; ensuite dans l'aptitude des citoyens à vivre libres, à se gouverner eux-mêmes et à s'associer spontanément; enfin, dans l'influence de la Réforme, qui fortifie la raison, dispose l'homme à l'épargne, favorise l'instruction, respecte la responsabilité et accroît l'énergie individuelle.

Certes, d'autres causes ont agi, et de très-importantes entre autres le sentiment de la famille et l'éducation de la femme

mais celles-ci tiennent au culte, et je crois qu'à mesure que les faits économiques seront mieux observés, on se convaincra davantage de l'action prédominante des influences morales et religieuses.

La cause principale du progrès des peuples arrivés à un certain degré de civilisation, c'est la liberté. Or, la véritable racine de la liberté est la raison. Plus donc un culte sera conforme aux lois de la raison et favorable à l'exercice de la raison, plus il secondera l'avancement des lumières, de la liberté et de la richesse.

LES

COULISSES D'UN GRAND RÈGNE.

Correspondance administrative sous Louis XIV, publiée par les soins du Ministre
de l'Instruction publique. (Imprimerie nationale).

Il est de mode aujourd'hui de vanter le temps passé et de dire du mal du temps présent. Erreur explicable pour celui qui ne considère les choses d'autrefois que de loin et par le dehors. Mais qu'on lise les mémoires, qu'on parcoure surtout les documents administratifs, successivement mis au jour, on reculera devant l'effroyable tableau qu'ils présentent et l'on bénira l'époque actuelle. Prenons par exemple la période la plus brillante, la plus glorieuse de l'ancien régime en France.

Le règne de Louis XIV, tel que nous le présente l'histoire, a quelque chose de grand, de régulier et de solennel, qui frappe l'imagination. Il semble que l'Olympe soit descendu sur la terre : le grand roi siégeant au milieu de sa cour, nec pluribus impar, entouré des princes du sang, des ducs et

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pairs et des courtisans, c'est Jupiter présidant l'assemblée des immortels. Versailles est le temple où trône l'idole, la dévotion au roi, une religion dont le cérémonial prescrit les rites et dont la flatterie est l'encens. Comme la lumière du soleil éclaire tous les objets, ainsi la majesté du souverain se reflète sur toute chose les lignes de l'architecture et le style des auteurs, l'éloquence de la chaire et la marche des armées, la coupe des vêtements et la tournure des idées, la forme des meubles et le ton de la conversation, les spéculations de la philosophie et les boucles des perruques, ce qu'il y a de plus frivole et ce qu'il y a de plus sublime, tout était majestueux. La galanterie même avait un air de grandeur, inconnu avant, perdu depuis ; il n'y avait pas jusqu'aux gravelures qui n'eussent une certaine manière de convenance, et jusqu'aux marques de l'amour qui ne prissent une façon imposante.

Cette majesté s'attache à tout l'adultère n'est plus une honte qu'on cache, c'est une institution publique et un rouage du gouvernement; les galanteries du roi sont des solennités, et les enfants qui en naissent les plus grands seigneurs de France. Ce ne sont plus faiblesses ou ridicules d'humbles mortels c'est le cours éclatant de la vie des dieux. Cet air unique passe de la cour à la ville et de Paris dans tout le royaume, et il se maintient jusqu'à la fin du règne. L'étiquette en soutient, il est vrai, les formes extérieures; mais il vient en partie aussi d'une élévation propre aux âmes, qui pousse les hommes à modeler les dehors de leur vie sur les exemples des héros de la tragédie.

Quand l'austérité monacale du déclin remplaça la splendeur des jeunes années, et que madame de Montespan eût cédé la place à madame de Maintenon, hommes et choses n'en conservèrent pas moins leur allure olympienne. La conscience réveillée par les douleurs d'une fistule, Jupiter était

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