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grand progrès dans le droit international, qui bientôt sans doute en fera de plus grands encore par l'initiative des ÉtatsUnis. Les barrières tombent; les antipathies nationales, les distances, tout ce qui sépare les hommes tend à s'effacer. Le problème de l'amélioration du sort des travailleurs est posé partout nul gouvernement ne peut y échapper désormais. C'est forcément la principale préoccupation des États; c'est celle de tout homme qui s'occupe de politique ou d'économie. Parce qu'une glorieuse tentative a échoué faute de préparation suffisante; parce qu'il s'en est suivi une période d'affaissement et d'indifférence, faut-il désespérer de l'avenir? Non, le cœur des hommes palpite encore, et quand leurs lèvres s'ouvrent, c'est souvent pour prononcer les mots de liberté, justice, bienfaisance, enseignement, raison.

Tôt ou tard, la vérité finit par triompher, parce qu'elle est éternelle et parce qu'elle est l'intérêt de tous. Donc, à moins d'admettre que la raison humaine livrée à elle-même aboutit logiquement à la négation de l'àme et de Dieu, il faut conclure que l'avenir n'appartiendra pas à l'athéisme, au matérialisme.

Mais ici, nous l'avons dit, se présente une difficulté. Jusqu'à ce jour, c'est un fait incontestable, ce qui a été la vie du monde, c'est la foi à une parole révélée. Ç'a été le grand levier des esprits, la force des consciences, l'appui des martyrs, l'élan des religions qui ont changé le cours des idées et la face des choses. Or, cette foi s'affaiblit ou tombe. On peut en gémir, mais nul ne le conteste. Faut-il donc en attendre une autre? Nul ne l'espère. Ce qui fait mourir l'ancienne en empêchera une autre de naître. Nous avons vu le sort de nos modernes révélateurs.

On affirme qu'il existe encore certaines espèces de plantes, monuments survivants d'une époque géologique antérieure,

qui, végétant dans un milieu qui ne leur est plus favorable, ont cessé d'être fécondes et disparaîtront bientôt de la surface du globe. On dirait que la foi aux antiques révélations est semblable à ces plantes d'un ordre évanoui. Elle s'étiole dans l'air de notre temps. La seve ne monte plus que lentement dans ses rameaux pàlissants. La vie l'abandonne et ses fleurs stériles meurent sans assurer la perpétuité de l'idée.

Privée de cet appui, l'humanité pourra-t-elle poursuivre sa route? Lui suffira-t-il de croire en un Dieu qui l'éclaire intérieurement, mais qui ne lui a jamais parlé extérieurement? A l'enfant, au peuple suffira-t-il de dire: Ceci est vrai, car c'est conforme à la raison, sans qu'on puisse ajouter : et c'est écrit dans ce livre qui est la révélation de la parole divine. Et sans cette foi, où chercherons-nous la force de faire le bien, en dehors de laquelle la simple vue du vrai est presque inutile?

Fait nouveau; grave question! L'histoire ne peut aider à la résoudre; car ses annales ne présentent pas de moment semblable. Voyons donc la chose en elle-même.

En quoi consiste la force que donne la foi? Est-ce à croire telle vérité plutôt que telle autre? Est-ce à croire un mystère, plutôt qu'un fait de sens commun? Non. Tous les cultes, depuis la théologie si compliquée de l'Inde jusqu'au judaïsme, qui n'est au fond que le pur déisme, nous vanteront leurs martyrs qui ont donné leur vie pour leur conviction. Cette force consiste à croire à un principe dont on n'ait jamais douté, sur lequel on n'admet pas le doute. Celui qui aura une croyance conquise par mille luttes, sur les débris des erreurs qu'il aura traversées, ne sera pas aussi fort que celui qui aura toujours conservé, à l'abri de toute incertitude, la doctrine reçue dès l'enfance sur les genoux maternels. Si là est la force du passé, c'est cela qu'il faut conserver, c'est cela

qu'il faut transmettre aux générations nouvelles en l'appliquant à un ensemble de vérités viables dans l'atmosphère actuelle.

A la vie morale, il faut un point d'appui. Nous pouvons avoir la croyance rationelle en Dieu et en la spiritualité de l'âme; nous ne pouvons plus avoir la croyance en une révélation extérieure, si utile qu'il puisse être au grand nombre de trouver dans les sens un témoignage de la vérité. Ce soutien venant à nous manquer, il faut le remplacer en nous attachant de plus en plus intimement à la source même de toute certitude. Si les yeux du corps ne peuvent plus nous révéler avec infaillibilité ce que nous devons croire, rendons plus perçants les yeux de notre esprit, afin qu'ils le voient dans une plus pure et plus complète lumière.

Oui, il faut vivre dans l'Esprit. Dans l'Esprit est le salut; car là est l'amour, l'harmonie et l'unité.

Des choses matérielles, deux ne peuvent jouir à la fois. Ce fruit doit être à vous ou à moi. Si je le mange, je vous en prive. Il y a donc lutte, et pour faire cesser la lutte, nécessité de règles déterminant la propriété. Aussi, les êtres qui vivent uniquement dans les sens, les animaux, les sauvages, ne connaissent qu'hostilité, destruction, carnage, anthropophagie. La chair est l'empire de la haine, de la discorde, de la jalousie, de l'égoïsme et de la mort.

Des choses spirituelles, au contraire, deux et plusieurs peuvent jouir en commun. D'ordinaire la jouissance est même d'autant plus vive que le nombre de ceux qui la partagent est plus grand. L'expression d'une noble pensée peut faire palpiter au même instant l'univers entier. Qui n'a senti un peuple assemblé frémir à l'unisson en entendant un beau vers ou une belle musique? Des générations entières pourront s'enivrer tour à tour de la beauté de la Vénus de Milo et de la

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Joconde de Léonard, sans exclusion, sans jalousie; car le plaisir qu'on éprouve à goûter le charme des aspects variés de la nature et de l'art redouble quand on peut en communiquer l'impression à ses amis.

Pour les choses spirituelles, peut s'établir cette communauté rêvée en vain par quelques hommes généreux, qui ne s'étaient pas rendu un compte suffisant des conditions terrestres des lois économiques.

La domination de l'esprit rend facile le gouvernement des sociétés. Comme la vérité est une, plus on s'en approche, plus on peut espérer de trouver l'unanimité. L'usurpation est moins à craindre, l'homme spirituel n'étant pas avide du pouvoir. C'est un fardeau et un rongement d'esprit. S'il l'accepte, ce sera pour remplir un devoir. Otez-lui l'espoir de faire le bien et de contribuer au progrès de ses semblables, il le refusera. Car qu'avez-vous à lui offrir en échange du repos, du culte des idées, des joies de la famille?

L'homme charnel aimera le pouvoir parce qu'il lui donne les moyens d'assouvir ses passions et de mener joyeuse vie.

Quiconque se dit démocrate et ne sait vivre sobrement, je m'en méfie. De grands besoins sont de lourdes chaines. L'apostasie entre vite dans l'âme quand elle trouve tant de portes ouvertes.

Les besoins de luxe des auteurs sont une cause de mort pour la littérature contemporaine. On n'écrit plus pour exprimer ses idées, mais pour payer les notes de ses fournisseurs. On exploite sa veine poétique comme on exploite une veine de zinc ou de houille. Volontiers la mettrait-on en actions. Ce qu'on cherche, ce n'est pas de donner à sa pensée la forme la plus concise et la plus énergique, mais de la délayer dans le plus de lignes possible. On ne renoncera pas à la moindre de ces élégantes nécessités de la vie, qui en

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sont le fléau; on leur sacrifiera plutôt ses convictions, sa gloire, son génie. Le danger est grand à vivre de l'autel. Saint Paul faisait des nattes, Voltaire spéculait sur les grains, Rousseau copiait de la musique, P.-L. Courier vendait son bois; leur plume n'était pas leur gagne-pain. Ce qu'ils voulaient, ce n'était pas tirer le plus grand revenu de leur cerveau, mais répandre leurs idées, émanciper leurs semblables. C'étaient des apôtres, non des marchands de prose.

C'est l'esprit qui affranchit l'homme de la matière par l'intervention des machines, par les créations de l'industrie, par la division du travail, par l'institution du crédit, qui est de la foi commerciale. L'esprit est le grand générateur du capital qu'il rendra de plus en plus fécond, en répartissant ses produits d'après les règles d'une justice de plus en plus

exacte.

Un puissant développement de la vie morale est nécessaire pour faire contre-poids aux prodigieux progrès de la civilisation matérielle. Un grand accroissement de richesse que ne domine pas un accroissement correspondant de lumières et surtout d'équité, engendre la pourriture de l'âme et cause la chute des empires. C'est ainsi que sont tombés tour à tour les colosses de l'antiquité, Babylone, Ninive, Rome. S'il était possible que de nos jours les âmes se ruassent dans les sens comme alors, point de doute, malgré les merveilles qui nous entourent, nous verrions se renouveler ces écroulements immenses qui sont l'étonnement et la leçon de l'histoire. C'est pourquoi tout homme dévoué au bien de ses semblables doit travailler, par tous les moyens dont il dispose, à ranimer la vie spirituelle, la vie religieuse.

Mais ne reposant plus sur une parole révélée, cette vie religieuse, indispensable comme fondement de la justice, comme atmosphère de la morale, pourra-t-elle subsister

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