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observations qui précèdent et d'un ton en rapport avec la nature même du sujet qu'il s'agit de traiter.

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2. De l'exorde par insinuation. L'exorde par insinuation est le plus délicat et le plus difficile de tous; il s'emploie dans les cas où l'on a des préventions à combattre. Attaquer de front les préjugés, ce serait s'exposer à un échec; c'est donc par adresse qu'il faut ramener les esprits: cet art délicat forme les précautions oratoires.

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3. Des précautions oratoires. Les précautions oratoires sont les tours adroits par lesquels l'orateur ou l'écrivain adoucit ce qui pourrait paraître choquant. Elles consistent à bien se garder de heurter de front les opinions qu'on voudrait redresser, et même à s'y associer d'abord dans une certaine mesure.

Cicéron a donné un heureux exemple de l'exorde par insinuation et des précautions oratoires quand il entreprit d'attaquer une loi agraire et de la faire rejeter par le peuple

lui-même :

Se déclarer ouvertement contre cette loi qui semblait devoir assurer au peuple le repos et la richesse, c'était révolter toute l'assistance et provoquer un tumulte dans lequel la voix de l'orateur aurait été étouffée. Cicéron a eu soin d'éviter cette faute. Il commence par rendre grâce au peuple de la dignité consulaire dont il vient de l'honorer par une distinction sans exemple: il ne ménage pas les expressions de sa reconnaissance et relève avec soin toutes les circonstances qui lui rendent le bienfait plus cher et plus précieux. Devant tout au peuple, il veut être un consul populaire: ce mot lui sert de transition et de texte. Il distingue alors une bonne et une mauvaise popularité; et en même temps qu'il flétrit les intrigues des tribuns qui cachent sous ce beau nom leurs ambitieux desseins, il loue hautement les Gracques, zélés défenseurs de la loi agraire et objets d'un culte passionné pour le peuple romain. Même après tant de précautions, flattant et instruisant tour à tour, donnant et reprenant, l'orateur ne se croit pas

encore assez maître des esprits pour attaquer la loi, Au contraire, il proteste que si le peuple lui-même ne reconnaît pas que cette loi le trompe par de flatteuses apparences et porte atteinte à sa liberté, le consul est prêt à changer de sentiment. A force d'habileté, il prépare si bien les esprits qu'il triomphe et mérite cet éloge de Pline l'Ancien : « A ta voix, le peuple rejette la loi agraire, c'est-à-dire son pain !»

4. De l'exorde ex abrupto. Il se rencontre certains cas très-particuliers où le début peut et doit être véhément. C'est le cas où une vive passion de joie ou de douleur occupe déjà le cœur de ceux qui écoutent ou qui lisent. Alors on peut éclater dès le début parce que l'orateur ou l'écrivain ne fait que se mettre à l'unisson des esprits auxquels il s'adresse.

Par exemple, Cicéron rentrant à la curie voit à l'arrivée de Catilina les sénateurs partagés entre la fureur et l'indignation s'agiter et s'éloigner du terrible conspirateur ; alors élevant son éloquence à la hauteur de cette situation critique et décisive, il commence par cette audacieuse apostrophe à l'ennemi de Rome :

Jusqu'à quand enfin, Catilina, viendras-tu abuser de notre patience? Dis; combien de temps encore serons-nous le jouet de ta fureur ? Quelles seront les bornes de ton audace effrénée ?

Quoi! ni les gardes posés la nuit sur le Palatin, ni les sentinelles distribuées dans la ville, ni l'agitation du peuple, ni le frémissement de tous les bons citoyens, ni le choix de ce lieu fortifié pour la convocation du Sénat, ni ces fronts irrités, ni ces yeux fixés sur toi, rien ne peut t'émouvoir? Ne sens-tu pas que tes complots sont dévoilés? Ne comprends-tu pas par le silence même de ceux qui t'environnent que ton crime est découvert? Ta nuit dernière et la précédente, le lieu de la réunion, ceux qui la composaient, les projets qu'on y a formés, crois-tu que personne ici les ignore? O siècle, ô mœurs! le Sénat le sait! le consul le voit et le traître respire!

C'est par cette vive et audacieuse sortie que Cicéron inspira aux sénateurs le courage de se défendre et jeta le trouble et la crainte dans l'âme de l'accusé.

Il n'est peut-être pas dans l'histoire d'exemple plus remarquable de la puissance de la parole qui, d'un même coup, relève le courage des honnêtes gens et répand l'épou vante dans le camp des ennemis de l'ordre.

Mais cette sorte d'exorde n'est jamais qu'une exception; et d'ailleurs, même en cédant à l'entraînement d'une passion généreuse, l'orateur ou l'écrivain se préoccupera toujours de

pas blesser l'esprit et les sentiments de ceux auxquels il s'adresse. A cet égard il est intéressant de remarquer avec quel soin Cicéron ménage la susceptibilité des sénateurs, partageant avec eux et mieux encore assumant à lui seul la responsabilité des lenteurs qui ont assuré l'impunité de Catilina et l'ont encouragé dans ses projets criminels. Son indignation n'est point aveugle; elle se règle et se dirige en vue du succès et du salut de la patrie.

5. Sources de l'exorde. L'écueil de l'exorde c'est la tendance à retarder trop longtemps l'entrée en matière; il ne faut pas, dit Maury, se tourner et se retourner dans tous les sens comme un voyageur qui ne connaît pas sa route.

L'exorde n'intéresse qu'au moment où celui auquel nous nous adressons découvre et saisit l'objet et le dessein que nous poursuivons. C'est donc au sujet même qu'il faut emprunter les idées de l'exorde puisqu'il est fait pour y préparer, autrement il ne serait plus qu'un hors d'œuvre.

C'est une observation ingénieuse de Cicéron renouvelée par Pascal que l'exorde est la dernière partie dont il faut s'occuper, il dit sagement :

Ce qu'il faut dire en premier est la dernière chose à laquelle je m'applique; chercher à le trouver dès le début, c'est s'exposer à demeurer tout à fait stérile, ou bien à ne trouver que des idées banales, vides, communes et vulgaires.

Ce ridicule trop commun a été raillé par Racine, lorsque au III• acte de sa comédie des Plaideurs, il introduit deux prétendus avocats qui à propos d'un chapon dérobé par un chien débutent par ces phrases vides :

Messieurs, quand je regarde avec exactitude,
L'inconstance du monde et sa vicissitude,
Lorsque je vois parmi tant d'hommes différents
Pas une étoile fixe et tant d'astres errants.

ou bien :

Avant donc

La naissance du monde et sa création,

Le monde, l'univers, tout, la nature entière
Etait ensevelie au fond de la matière....

Prenons garde qu'on ne nous dise comme à l'Intimé :
Avocat! Ah! passons au déluge!

Si par hasard le temps, le lieu, l'arrivée d'un personnage, un mot, une interpellation donne occasion de commencer par un trait propre à la circonstance, il faut savoir en profiter. Ainsi faisait saint Paul, quand devant l'Aréopage il disait :

Athéniens, il me semble que la puissance divine vous inspire plus qu'à tous les autres hommes une crainte religieuse; car en traversant votre ville et en contemplant les objets de votre culte, j'ai aperçu un autel avec cette inscription: AU DIEU INCONNU.

Ce Dieu que vous adorez sans le connaître, c'est lui que je vous annonce. Dieu, créateur du monde et de tout ce qui est dans le monde, Dieu, maître du ciel et de la terre, n'habite point dans les temples bâtis par les hommes; les ouvrages de leurs mains ne peuvent être un honneur pour lui, et il n'en a pas besoin, lui qui donne à tous la vie, le souffle et toutes choses.

6. Exordes vicieux.

L'exorde est vicieux toutes les

fois qu'il paraît affecté, tiré de loin; rien n'indispose plus l'auditeur et n'éveille davantage ses soupçons et sa défiance. Il est banal, quand il peut convenir à plusieurs causes et surtout quand il pourrait servir à soutenir la thèse opposée, il est alors commun et par conséquent fort dangereux.

On appelle étranger ou d'emprunt l'exorde qui ne vient point de la cause ou n'y convient pas parfaitement.

En un mot l'exorde est défectueux toutes les fois qu'il ne réussit pas à préparer les esprits, en leur inspirant la bienveillance, le désir de se laisser instruire, le besoin de nous écouter.

7. Du style de l'exorde. La qualité propre du style qui convient à l'exorde c'est la simplicité. Bien qu'il doive toujours s'inspirer de la nature du sujet, il ne lui est pas permis d'étaler toutes les richesses de l'éloquence.

Rien dans la nature, dit Cicéron, rien en naissant ne se déploie tout entier, rien ne prend du premier coup son essor.

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