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Dans un assez grand nombre de circonstances, bien narrer les faits, en tirer les moyens de preuve et répondre aux objections, cela suffit au succès d'un avocat ou d'un écrivain; le développement comprenant exorde, proposition et péroraison serait donc réservé pour les grands sujets. Cependant une sorte de préparation au sujet est souvent indispensable, quelque courte qu'elle soit ; et une conclusion, ne fût-elle que d'une phrase, sert à indiquer que le sujet est traité, que l'œuvre est complète. Ainsi, tout compte fait, un exorde, une confirmation et une péroraison, c'est-à-dire une entrée en matière, une exposition et une conclusion, un commencement, un milieu et une fin, tels sont les éléments essentiels et permanents du discours. L'exorde comprendra la proposition et la division, la confirmation renfermera peut-être la narration et la réfutation; mais, ces trois parties sont indispensables.

4. Ordre de ces parties. La même liberté peut être réclamée et par l'orateur et par l'écrivain, à propos de l'ordre à suivre dans l'arrangement des parties du discours.

Ce n'est pas que l'ordre assigné par les rhéteurs soit ar

bitraire; loin de là, il est fondé en logique et conforme à une parfaite connaissance du cœur et de l'esprit humain.

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En effet, l'exorde est placé au début pour préparer l'auditeur ou le lecteur en lui plaisant par le charme des mœurs. A un esprit ainsi préparé, la proposition peut être présentée sans crainte.- Puis les faits étant la plus solide de toutes les bases d'argumentation, la narration vient à propos, avant la confirmation et la réfutation. — Celles-ci assurent le triomphe de notre cause, eu montrant, après la force de nos preuves, la faiblesse des arguments qui nous sont opposés. Enfin, la péroraison couronne l'œuvre en excitant les passions de l'auditeur ou du lecteur en faveur de notre cause.

On sent qu'il n'y a rien d'arbitraire dans cet arrangement qu'il est fondé sur la nature même de l'être raisonnable et passionné auquel s'adressent l'écrivain et l'orateur.

Parfois, cependant, il est bon de se soustraire à la rigueur

des préceptes logiques pour s'accommoder aux circonstances. L'écrivain ou l'orateur peut commencer par une narration ou par quelque argument solide; il peut encore faire suivre l'exorde de la preuve, et renvoyer plus loin la narration. Ce sont des modifications qu'il essayera suivant les besoins de la cause. A son goût et à son jugement d'apprécier l'àpropos de ces transpositions; les circonstances l'éclaireront à cet égard; il prendra conseil des temps et des hommes; car il se rencontre des cas où le comble de l'art est de sortir des règles que l'art lui-même a fixées.

5. Utilité de la disposition. La disposition accomplit une œuvre moins brillante que celle de l'invention. Il ne s'agit plus pour l'esprit de déployer la vivacité des sentiments ou la grâce des mœurs, ou la fécondité de l'imagination dans la recherche des preuves, ou la pénétration du jugement dans l'argumentation, ou l'ardeur des passions en vue de toucher les âmes. Mais il s'agit d'une œuvre non moins sérieuse et non moins utile, car toutes les richesses accumulées par l'invention sont un bien stérile sans l'ordre et la réflexion. C'est ce que prétendait faire entendre Ménandre st, depuis lui, Racine, quand, après après avoir arrêté le plan d'une de ses pièces, il s'écriait : « Ma comédie est achevée, je n'ai plus que les vers à faire. » C'est ce que Buffon voulait encore exprimer quand, à la suite du tableau des perplexités auxquelles le manque de disposition condamne un auteur, il ajoutait :

Mais lorsqu'il se sera fait un plan, lorsqu'une fois il aura rassemblé et mis en ordre toutes les pensées essentielles à son sujet, il sentira aisément le point de maturité de la production de l'esprit; il sera pressé de la faire éclore; les idées se succéderont sans peine et le style sera naturel et facile.

6. Règles de la disposition.- En résumé, toutes ces observations générales peuvent être réduites aux sept règles suivantes :

I. Se rappeler que l'ordre fait la beauté de toutes choses, c1 que rien de désordonné ne peut être ni beau ni bon.

RHET. 3 ANNÉE

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II. Assurer avant tout l'unité de sa composition en résumant pour soi-même son opinion et sa doctrine en une proposition qu'on gardera toujours présente à l'esprit.

III. Expliquer aussi vite que possible son sujet et son but. IV. Les six parties essentielles d'un discours complet sont l'exorde, la proposition avec la division, la narration et la confirmation, la réfutation et la péroraison.

V. Réduire pour les sujets moins importants ces parties à trois l'exorde ou l'introduction, la confirmation ou preuve, la péroraison ou conclusion.

VI. Bien que l'ordre entre les six parties du discours soit fondé en logique, les circonstances de temps, de lieu et de personne autorisent à y faire toutes les modifications que le goût peut admettre.

VII. Les observations appliquées par les rhéteurs à la composition oratoire peuvent s'étendre à toute composition littéraire, et il n'est pas d'œuvre si modeste et si simple par son objet et son cadre qui ne doive en faire son profit.

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1. Définition de l'exorde. L'exorde est, d'après l'étymologie latine du mot, le commencement, le début.

Dès les premiers mots, celui qui écrit ou qui parle doit s'emparer de l'esprit de son lecteur ou de son auditeur. La première impression produite est de la plus haute conséquence; favorable, elle étend son bienfait à l'œuvre tout

entière, mauvaise, elle réagit contre toutes les impressions, même les plus heureuses, et compromet le succès le plus mérité. L'exorde est comme un sommaire, une idée générale, et aussi une recommandation du discours; il doit donc charmer dès l'abord et séduire l'auditeur ou le lecteur.

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2. Son but et ses moyens. Il a pour but, disent les rhéteurs, de rendre l'auditeur bienveillant, attentif et docile, c'est-à-dire de le porter à la sympathie pour celui qui lui parle, de le rendre curieux de connaître ce qui va lui être dit, capable de s'éclairer en le comprenant et en suivant tous les détails et tous les développements de la pensée. Ces dispositions de l'auditeur sont représentées par les mots bienveillance, attention et intérêt. Le meilleur moyen de provoquer ces dispositions heureuses, c'est de mettre en avant le plus tôt possible les qualités d'esprit et de caractère que les rhéteurs ont appelé les mœurs1.

Ces qualités sont dans un rapport étroit avec l'effet de l'exorde. La bienveillance appelle la bienveillance par une loi naturelle de la sympathie humaine; la probité et la modestie attachent à la personne et à son œuvre, elles provoquent une attention favorable; enfin la prudence, qui veut dire ici le savoir, la connaissance des choses, instruit, éclaire et, par la lumière même qu'elle répand aux abords du sujet, provoque l'intérêt, encourage à persévérer et à pousser plus avant.

3. De la bienveillance et de la modestie. - La bienveillance de l'auditeur répond à la bienveillance et à la modestie manifestées par l'auteur. La bienveillance a le grand mérite de rehausser le prix du talent et des vertus; elle 'porte un caractère de candeur qui ouvre le chemin à la persuasion; la modestie n'est pas la timidité. Le meilleur exemple de l'alliance entre ces deux vertus est celui de Démosthène, disant avec une sage hardiesse et une touchante probité : « Athéniens, je voudrais bien vous plaire, mais j'aime mieux vous sauver. La passion du bien 1. Voir IV leçon, page 17.

et de la justice est la seule qu'il convient de témoigner pour s'assurer dès le début les meilleurs chances de succès.

La modestie qui appelle la bienveillance consiste bien moins à parler de soi-même en termes humbles qu'à n'en point parler du tout, si ce n'est dans les cas d'absolue nécessité. Le goût moderne, dans sa susceptibilité ombrageuse, s'accommode mal des précautions de l'orateur qui affecte de s'étendre sur sa faiblesse et son insuffisance; la pénétration du lecteur voit dans ces précautions un détour et une subtilité de l'amour-propre d'un auteur, qui aime mieux dire du mal de lui-même que de s'en taire.

Le sentiment de bienveillance qu'il faut marquer au début peut aller jusqu'à l'éloge de l'auditeur; mais cette louange même doit être maniée avec beaucoup d'art et de circonspection. Excepté les sots, personne aujourd'hui n'est plus disposé à souffrir les compliments lourds et maladroits; c'est le pavé de l'ours. L'écrivain ou l'orateur se déshonorerait sans profit à dire :

Devant le grand Dandin l'innocence est hardie;
Oui, devant ce Caton de basse Normandie,
Ce soleil d'équité qui n'est jamais terni.
Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

4. De l'attention et de la prudence. L'attention est éveillée par la curiosité que peut provoquer le sujet. Plus le sujet est élevé et général, plus l'esprit de ceux auxquels nous nous adressons sera disposé à bien accueillir nos paroles. La prudence, c'est-à-dire le savoir, les lumières, le talent, sert encore à provoquer et à soutenir l'attention:

L'auditeur, dit Cicéron, trouvera de la facilité et du plaisir à vous suivre, si dès l'abord vous lui faites comprendre le genre et la nature de l'affaire.

5. De l'intérêt et de la probité. L'intérêt est une disposition sympathique résultant du concours de la bienveillance et de l'attention. L'esprit prend volontiers intérêt à ce qui lui plaît et à ce qui l'instruit. Avec la modestie et la prudence, la probité concourt à intéresser ceux qui nous écoutent à l'objet sur lequel nous appelons leur attention.

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