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Tel est le sophisme dont Alceste veut payer Philinte et se payer lui-même, quand il établit qu'il a raison de hair les hommes à cause de leur fourberie et de leurs sottises, et qu'il prouve la fourberie et la sottise des hommes par la colère et la haine qu'ils provoquent en lui.-De même encore Oronte fait un cercle vicieux quand il prouve que son sonnet est bon parce qu'il lui plaît, et quand il croit que c'est avec raison qu'il lui plaît, parce qu'il est bon.

Massillon reproche un cercle vicieux aux mauvais riches qui refusent de pratiquer la charité parce qu'il y a trop de pauvres; ne voyant pas que s'il y a trop de pauvres, c'est précisément parce que les riches ne pratiquent pas la charité. J. J. Rousseau a fondé toutes ses utopies sociales sur un cercle vicieux il prouve que l'homme n'est pas né pour l'état de société, parce que l'homme a vécu à l'état sauvage, et il prouve que l'homme a dû vivre à l'état sauvage, parce qu'il n'est pas né pour l'état social1.

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2. Place de la réfutation. - D'ordinaire, c'est après la confirmation qu'il convient de repousser les arguments opposés à notre cause; la réfutation est un complément de l'argumentation directe, elle achève de convaincre l'esprit. Cependant cette règle n'a rien d'absolu; il se rencontre même des cas où la réfutation doit précéder toute argumentation directe, c'est lorsque l'opinion contraire à celle que nous soutenons est établie dans les esprits par un préjugé, par une passion ou par une argumentation antérieure.

Ainsi quand Démosthène repousse l'accusation portée contre lui par Eschine, il mêle constamment la réfutation à la confirmation, et l'éloge qu'il fait de sa vie et de ses actes n'est qu'une réponse aux imputations dirigées contre lui par son ennemi.

De même le quatrième discours de Mirabeau contre la banqueroute n'est en résumé que la réfutation de tous les sophismes de la vanité, de l'égoïsme, de la mauvaise foi.

Le choix de la place où cette argumentation négative doit 1. Voir mon Précis de philosophie élémentaire, page 282.

être mise réclame beaucoup d'attention, de scrupule et de goût; il n'est pas sans importance pour le succès.

3. Loyauté que réclame la réfutation. La probité et la bonne foi sont sans doute des qualités morales qui doivent dominer toutes les autres et qui trouvent leur emploi dans tout le cours de la composition; mais il n'est aucune partie du discours ni de l'ouvrage à propos de laquelle il ne convienne mieux de rappeler cette impérieuse obligation. En effet, le mécontentement de se voir combattre et critiquer peut conduire au dépit, à la colère et à l'injustice; l'entraînement de la plaisanterie et de l'ironie peut faire dépasser les bornes du goût et de la vérité; enfin la contagion de l'exemple est aussi fort à craindre. Que de fois nous pouvons être entraînés à ce sophisme qui excuse le mal par le mal et qui admet volontiers qu'un honnête homme a le droit d'user de représailles et de combattre l'injure par l'injure, le mensonge par le mensonge.

4. Des adversaires de mauvaise foi. En effet, il arrive trop souvent que nous avons à présenter des arguments sérieux à un adversaire qui ne l'est pas, que nous avons à combattre avec des armes loyales contre la mauvaise foi et la duplicité. L'important en pareil cas est de commencer par ne point être dupe, et de discerner l'honnête homme du fourbe éloquent. Les signes sont d'ordinaire assez simples à reconnaître : l'homme loyal est précis, ouvert, franc et facile à pénétrer; sa marche est droite, son langage clair, son ton assuré; l'adversaire déloyal est astucieux et fin, il élude les explications:

Vous le reconnaîtrez, dit Marmontel, au tour leste, subtil et prompt qu'il fera pour esquiver une objection solide; à l'éloquence de charlatan qu'il emploie pour vous dérober le vice d'un fau xargument, aux sophismes qu'il accumule pour en soutenir un dont l'erreur lui est démontrée.

Dans une lutte tellement inégale, que reste-t-il à faire aux honnêtes gens? Ou bien, à force de clarté, de noblesse, de franchise, d'élévation morale, on peut faire rougir l'adversaire de sa duplicité, lui montrant qu'on n'est pas sa

dupe, mais qu'on répugne à le suivre sur le terrain du mensonge; ou bien il faut l'abandonner à sa fourberie et à sa duplicité, se tourner tout entier vers le public ou les juges, et sans accuser directement son adversaire de déloyauté, mettre les esprits en mesure de discerner la différence de la cause, des moyens, du langage et du ton.

5. Règles de la réfutation. Toutes ces observations, très-délicates et qui donneraient lieu encore à bien d'autres commentaires, peuvent se résumer en neuf règles pratiques :

I. Présenter les objections dans toute leur force et sous toutes leurs faces; en les atténuant, on aurait l'air de vouloir les éluder.

II. Pour réfuter les preuves faibles, les isoler et leur enlever ainsi la force qu'elles doivent à leur union.

III. Aux arguments les plus forts, opposer la vérité et la raison.

IV. L'ironie est une arme puissante, mais très-dange

reuse.

V. Il faut opposer aux sophismes de mots la plus parfaite clarté de langage.

VI. Lutter contre les sophismes de pensée en marquant et en maintenant avec fermeté le sujet du débat.

VII. La place de la réfutation est d'ordinaire après la confirmation, parfois elle doit la précéder ou s'y méler. VIII. Garder avec un soin très-scrupuleux l'honnêteté et la bonne foi.

IX. On reconnaîtra si l'adversaire est de mauvaise foi, t on essayera de le confondre à force de précision et de yauté.

LEÇON XXI.

DE LA PÉRORAISON. EMPLOI DES PASSIONS.

1. OBJET DE LA PERORAISON.

RECAPITULATION.

CONCLUSION.

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2. DES DEUX PARTIES DE LA PÉRORAISON :

3. EMPLOI DES PASSIONS.

5. STYLE DE LA PÉRORAISON.

RORALSON. 7. RÈGLES DE LA PÉRORAISON.

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4. DE LA SIMPLE

6. UTILITÉ DE LA PÉ

1. Objet de la péroraison. — La péroraison est la con clusion du discours. Elle a pour objet de frapper un dernier coup, d'agir une dernière fois sur l'esprit et l'imagination du lecteur ou des auditeurs.

Il est très-important de bien choisir le moment ou l'on termine: le difficile pour un orateur exercé n'est pas tant de trouver des paroles, que de savoir quand il ne doit plus s'en servir. L'orateur est ici comme le chanteur et le musicien; les dernières notes décident du succès du morceau tout entier.

La péroraison se propose un double but: 1° achever de convaincre par un résumé des preuves; 2° toucher, en excitant dans l'âme les émotions propres au sujet; ainsi se complète l'œuvre de l'écrivain ou de l'orateur.

2. Des deux parties de la péroraison. Pour atteindre ce double but, la péroraison doit comprendre deux parties distinctes, l'une qui se rapporte aux arguments et l'autre aux passions.

La première partie ou récapitulation est bonne en tout sujet et en tout état de cause, parce qu'elle produit la plus grande clarté possible dans les esprits; mais elle est tout à fait indispensable dans les grandes questions où les matières discutées sont trop nombreuses et trop diverses pour ne pas laisser dans l'esprit quelque confusion et quelque embarras.

La grande difficulté de ce travail est de trouver les termes propres pour résumer sans redite et sans obscurité toute une

longue exposition et pour en bien rappeler la substance. C'est là surtout qu'il est nécessaire d'avoir à sa disposition une grande variété d'expressions, une grande diversité de tours, une grande vivacité d'images.

Aussi voyons-nous Cicéron s'étendre sur ce travail de récapitulation dont il donne les règles avec une admirable intelligence du sujet :

Vous pouvez alors, en reproduisant votre Confirmation, et en montrant à chaque preuve comment vous avez réfuté votre adversaire, présenter, dans un court parallèle, tout l'ensemble de la cause. On a surtout besoin, pour ces résumés, de varier les formes et les tournures du style. Au lieu de faire vous-même l'énumération, de rappeler ce que vous avez dit, et en quel lieu vous l'avez dit, vous pouvez en charger quelque autre personnage, ou quelque objet inanimé que vous mettez en scène. Dites, par exemple : « Si le législateur paraissait tout à coup, et s'écriait: Pourquoi hésitez-vous encore? que pourriezvous dire, quand on vous a démontré...? puis, comme si vous parliez en votre propre nom, repassez tous vos raisonnements l'un après l'autre, rappelez votre division, comparez vos moyens à ceux qu'on vous oppose, etc. Faites-vous parler une chose inanimée? alors c'est une loi une ville, un monument, que vous chargez de l'énumération : « Si la loi elle-même pouvait parler, ne se plaindrait-elle pas? ne vous diraitelle pas Qu'attendez-vous encore, juges, quand on vous a démontré...? et vous poursuivez ainsi votre récapitulation. Sous quelque forme que vous la présentiez, comme vous ne pouvez reprendre toute l'argumentation, contentez-vous de rappeler en peu de mots ce qu'elle a de plus solide; car vous résumez le discours, vous ne le recommencez pas.

3. Emploi des passions. -La deuxième partie de la péroraison se rapporte aux passions qu'il s'agit d'éveiller et d'exciter vivement. Quintilien dit : Débuter par le pathétique ce serait un grand danger parce que l'emploi de ce moyen suppose entre l'orateur et les auditeurs une certaine sympathie, une première communauté de goûts et d'affections et il est bien difficile que l'orateur remue profondément les âmes avant d'avoir sondé et éprouvé son auditoire. Quintilien a dit :

Réservez pour la péroraison les plus vives émotions de l'âme. C'est alors ou jamais qu'il nous est permis d'ouvrir toutes les sources de l'éloquence, de déployer toutes nos voiles. Il en est d'une composition oratoire comme d'une tragédie, c'est surtout au dénoûment qu'il faut émouvoir le spectateur.

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