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les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté....

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3. Condition essentielle de l'amplification. procédé de l'amplification ne satisfait la raison et le goût qu'à la condition de s'appliquer à une idée qui mérite ce privilége. Sans doute, l'écrivain qui veut rendre un sentiment profond ou un tableau pittoresque doit multiplier les traits qui pourront communiquer cette impression ou mettre sous les yeux une vive peinture de choses; mais l'amplification qui revêtirait une idée secondaire et sans valeur glacerait l'intérêt et fatiguerait l'esprit.

C'est le défaut qu'on a justement reproché à l'école descriptive des versificateurs de la fin du dix-huitième siècle. Massillon lui-même n'est pas à l'abri de cette critique, et pour expliquer certaines longueurs d'amplification dans le Petit carême, il faut se rappeler souvent que ces leçons étaient destinées à un auditoire nombreux, parfois inattentif ou distrait, qu'elles devaient être mises à la portée d'un tout jeune enfant, enfin que la richesse et la propriété des expressions ajoutent un charme littéraire à tous les développements de l'orateur chrétien.

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4. Sources de développements. Les moyens d'amplification sont très-nombreux et très-divers, l'écrivain et l'orateur ont besoin d'un goût très-éclairé dans le choix de ces moyens. Les plus simples sont presque toujours les meilleurs; les voici à peu près tous dans l'ordre croissant de leur importance et de leur fécondité.

Les épithètes, c'est-à-dire les adjectifs indiquant la qualité appropriée à la circonstance ou à l'action. Dans le morceau de Bossuet, cité plus haut, les adjectifs: longue et paisible, nobles, glorieux, ont une valeur d'amplification parce qu'ils rendent plus vif le contraste marqué par les mots misères, outrages, etc.

La périphrase, en remplaçant un mot par une proposition, arrête l'esprit sur une idée; ainsi Bossuet au lieu de dire le gouvernement de l'Angleterre, frappe mieux l'imagination

par les mots une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers.

La répétition ravive l'idée en reproduisant le mot. Dans la suite des invectives contre Cinna, Corneille fait employer par Auguste cette heureuse répétition qui accable l'ingrat : Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire;

Mais, ce qu'on ne pourrait jamais imaginer,
Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.

Le redoublement d'idée emploie deux formes différentes. pour présenter deux fois une même pensée ainsi Molière après avoir exprimé son idée morale sous sa forme simple et directe, la redouble plusieurs fois, sous des formes figurées. C'est d'abord :

Eh quoi! vous ne ferez nulle distinction

Entre l'hypocrisie et la dévotion.

puis:

Vous voulez les traiter d'un semblable langage. et encore:

Rendre le même honneur au masque qu'au visage.

Chacun des vers suivants est une expression nouvelle et plus vive du même sentiment, si bien qu'on reprocherait presque à Molière l'abus de l'amplification, si l'on ne songeait à l'importance de la distinction que le moraliste veut établir. La loi de la gradation ascendante s'impose d'une façon très-rigoureuse à l'enchaînement de ces expressions diverses d'une même idée; le passage de Molière en offre ur excellent modèle1.

L'apposition, qui met un substantif comme qualificatif à un autre substantif, est une forme particulière du redoublement d'idées. Ainsi Louis Racine, dans son poëme de la religion, à propos des preuves de l'existence de Dieu, adresse au soleil cette apostrophe où l'on remarque deux appositions:

Toi qu'annonce l'aurore, admirable flambeau,

Astre toujours le même, astre toujours nouveau,
Par quel ordre, ô soleil, viens-tu du sein de l'onde
Nous rendre les rayons de ta clarté féconde?

4. Voir Morceaux choisis, 3° année, page 321.

L'incise est une proposition qui s'introduit dans une autre proposition pour la rendre plus pleine en y ajoutant une idée nouvelle. Les compositions familières sont celles qui admettent le plus volontiers ce mode de développement. La Fontaine en offre un charmant exemple dans ce passage de la fable: Le Savetier et le Financier :

Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins; le mal est que toujours,
Et sans cela nos gains seraient assez honnétes,
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes;

L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé

De quelque nouveau saint charge toujours son prône.

Bossuet dans le style élevé fait un bel et touchant emploi de l'incise:

Madame a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs; le matin elle fleurissait, avec quelles grâces! vous le savez: le soir nous la vimes séchée.

5. Emploi des lieux communs. Tous les lieux communs peuvent être des sources d'amplification; mais comme les plus féconds il faut citer :

1o Les contraires, dont Aristote a dit à l'aide des contraires on peut amplifier à l'infini, puisqu'on peut dire tout ce qu'une chose n'est pas.

2o La comparaison, qui peut à elle seule fournir la matière d'un développement poétique ou oratoire.

Par exemple cette idée naïve, je suis trop jeune pour mourir encore, est développée par A. Chénier dans six allégories poétiques: c'est l'épi qui demande à mûrir, c'est le pampre qui veut attendre l'automne, c'est le voyageur qui désire poursuivre sa route, le convive qui refuse de laisser la coupe encore pleine, c'est l'année qui doit parcourir le cercle des saisons, c'est la fleur qu'il ne faut pas cueillir dès le matin. 3o Les circonstances dont les principales sont : le moyen ou l'instrument

Et ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire.

la manière :

Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées.

les sentiments :

De la façon enfin qu'avec toi j'ai vécu,

Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.

le temps:

Je te restituai d'abord ton patrimoine;

Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine,
Et tu sais que, depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.

le lieu :

Ma cour fut ta prison.

la cause :

Je te fis prisonnier, pour te combler de biens!

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4° L'énumération des parties; c'est le moyen d'amplification dont Bossuet s'est servi dans le passage cité plus haut de l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre ; il montre par le détail et l'énumération des événements de cette déplorable existence qu'elle a réuni dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines.

C'est encore par l'énumération des parties, que dans la satire Ménippée l'orateur du tiers état, d'Aubray, amplifie les méfaits du peuple de Paris contre le roi Henri III :

Tu n'as pu supporter ton roi débonnaire, si facile, si familier, qui s'était rendu comme concitoyen et bourgeois de ta ville, qu'il a enrichie, qu'il a embellie de somptueux bâtiments, accrue de forts et de superbes remparts, ornée de priviléges et exemptions honorables: : que dis-je, pu supporter? c'est bien pis, tu l'as chassé de sa ville, de sa maison, de son lit! Quoi chassé? tu l'as poursuivi! Quoi poursuivi ? tu l'as assassiné, canonisé l'assassinateur, et fait des feux de sa mort!

6. Règles de l'amplification. — En résumé, voici ies trois préceptes pratiques dans lesquels peuvent se résumer toutes les observations qui précèdent :

I. N'amplifier que les idées vraiment essentielles et importantes du sujet.

II. Employer pour l'amplification les épithètes, les périphrases, la répétition, le redoublement d'idée, l'apposition l'incise, la comparaison, etc.

III. Opposer les contraires; faire des comparaisons; indiquer les circonstances de moyen, de manière, de temps, de lieu, de cause; énumérer les parties.

LEÇON XIX.

DE LA RÉFUTATION ET DES SOPHISMES DE MOTS.

1. DE LA RÉFUTATION. 2. SON RAPPORT AVEC LA CONFIRMATION. 3. RÉFUTATION DES ARGUMENTS LES PLUS FORTS. L'IRONIE.

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5. DE L'ARGUMENT PERSONNEL. 7. DES SOPHISMES DE MOTS.

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4. EMPLOI DE

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6. DES SOPHISMES.

1. De la réfutation. La réfutation est la partie du discours qui détruit les arguments contraires à l'opinion que nous voulons faire accepter. Il ne suffit pas d'appuyer son sentiment de preuves convaincantes; il est indispensable soit de prévoir et de prévenir les moyens contraires, soit de répondre aux raisons qui, déjà présentées, ont pu faire impression sur les esprits.

Vous ne pouvez, dit Cicéron, ni détruire ce que l'on vous objecte sans appuyer ce qui prouve en votre faveur, ni établir vos moyens sans repousser ceux de l'adversaire; ce sont deux choses jointes par leur nature, par leur but et par l'usage que vous en faites.

2. Rapport de la réfutation avec la confirmation.-Par suite de cette rela on toute naturelle, on pourrait appliquer à la réfutation tous les préceptes relatifs à la confirmation, pourvu qu'on ait soin de les retourner. Ainsi quand la confirmation veut faire valoir de faibles raisons, son art consiste à les accumuler et à les présenter dans un ensemble qui frappe l'esprit parce que les preuves se fortifient l'une l'autre l'artifice le plus ordinaire de la réfutation sera, au contraire, de diviser les arguments qui ne valent que par leur réunion; les preuves ainsi séparées sont rendues à leur faiblesse naturelle.

3. Réfutation des arguments les plus forts. A la

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