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La justice n'est pas une vertu d'État :

Le choix des actions ou mauvaises ou bonnes
Ne fait qu'anéantir la force des couronnes.
Le droit des rois consiste à ne rien épargner;
La timide équité détruit l'art de régner.

De même, dans le Cid, c'est l'orgueil du comte qui pousse à bout Don Diègue au lieu de le calmer:

Mon nom sert de rempart à toute la Castille,

Sans moi vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire.

Quel début malheureux ! Vous sentez aussi comme la malveillance de l'orateur lui aliène les esprits, quand Cassius Sévérus commence son plaidoyer contre Asprénas par

ces mots :

Grands dieux, je vis, et je me réjouis de vivre, puisque je vois Asprénas accusé.

11. Des mœurs réelles et des mœurs oratoires. Les qualités que l'écrivain ou l'orateur manifeste, constituent les mœurs oratoires; il faut les distinguer des mœurs réelles. L'homme a des mœurs réelles lorsqu'il a véritablement et au fond du cœur les vertus que nous avons nommées; il a des mœurs oratoires quand ces vertus se peignent dans tout son discours.

Ce n'est pas à dire que la rhétorique enseigne l'hypocrisie; la probité véritable et la modestie sincère ont un parfum et un charme indéfinissables que tout l'esprit du monde ne saurait donner. Elle se range à l'avis de Socrate, qui a dit dès longtemps:

Le moyen le plus sûr de paraître, c'est d'être.

Et Boileau, sous une forme vive :

Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

Bien que les

12. Place qui convient aux mœurs. qualités morales doivent se manifester dans toutes nos œuvres, cependant c'est au début surtout qu'il importe de faire sur le lecteur ou l'auditeur une impression agréable qui décide du succès de tout le discours. Il faut que dès

raisonnée du passé et du présent employée pour la sage prévision de l'avenir.

Que nous servirait d'être conduits par un homme de bien, par un ami véritable, si lui-même il ignorait la route? Quelle prudence dans ces réflexions de l'un' des deux pigeons:

Qu'allez-vous faire ?

Voulez-vous quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux,

Non pas pour vous, cruel. Au moins que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage

Changent un peu votre courage.

Encor si la saison s'avançait davantage !

Attendez les zéphyrs. Qui vous presse? Un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.

10. De l'emploi des mœurs.-Telles sont les vertus sur esquelles l'orateur doit établir son autorité. Il n'annonce pas qu'il les possède, mais elles se peignent d'elles-mêmes dans toutes ses paroles.

La probité, la bienveillance, la sagesse même semblent avoir dicté le discours de Burrhus à Néron, tant est insinuante la peinture des sentiments exprimés dans ces beaux vers 1:

Ah! de vos premiers ans l'heureuse expérience
Vous fait-elle, seigneur, haïr votre innocence?
Songez-vous au bonheur qui les a signalés?
Dans quel repos, ô ciel! les avez-vous coulés !
Quel plaisir de penser et de dire en vous-même :
Partout, en ce moment, on me bénit, on m'aime ;
On ne voit point le peuple à mon nom s'alarmer;
Le ciel dans tous leurs pleurs ne m'entend point nommer;
Leur sombre inimitié ne fuit point mon visage;

Je vois voler partout les cœurs à mon passage!

Celui qui exprime si bien de tels sentiments fait croire qu'il les a dans le cœur; c'est à la fois le langage de la vertu et de l'affection.

Au contraire, les conseillers de Ptolémée révoltent le spectateur par ces principes odieux et ignobles:

4. Voir Morceaux choisis, 3° année, p. 161.

La justice n'est pas une vertu d'Etat :

Le choix des actions ou mauvaises ou bonnes
Ne fait qu'anéantir la force des couronnes.
Le droit des rois consiste à ne rien épargner;
La timide équité détruit l'art de régner.

De même, dans le Cid, c'est l'orgueil du comte qui pousse à bout Don Diègue au lieu de le calmer:

Mon nom sert de rempart à toute la Castille,

Sans moi vous passeriez bientôt sous d'autres lois,
Et vous auriez bientôt vos ennemis pour rois.
Chaque jour, chaque instant, pour rehausser ma gloire,
Met lauriers sur lauriers, victoire sur victoire.

Quel début malheureux ! Vous sentez aussi comme la malveillance de l'orateur lui aliène les esprits, quand Cassius Sévérus commence son plaidoyer contre Asprénas par

ces mots :

Grands dieux, je vis, et je me réjouis de vivre, puisque je vois Asprénas accusé.

11. Des mœurs réelles et des mœurs oratoires. Les qualités que l'écrivain ou l'orateur manifeste, constituent les mœurs oratoires; il faut les distinguer des mœurs réelles. L'homme a des mœurs réelles lorsqu'il a véritablement et au fond du cœur les vertus que nous avons nommées; il a des mœurs oratoires quand ces vertus se peignent dans tout son discours.

Ce n'est pas à dire que la rhétorique enseigne l'hypocrisie; la probité véritable et la modestie sincère ont un parfum et un charme indéfinissables que tout l'esprit du monde. ne saurait donner. Elle se range à l'avis de Socrate, qui a dit dès longtemps:

Le moyen le plus sûr de paraître, c'est d'être.

Et Boileau, sous une forme vive:

Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.

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12. Place qui convient aux mœurs. Bien que les qualités morales doivent se manifester dans toutes nos œuvres, cependant c'est au début surtout qu'il importe de faire sur le lecteur ou l'auditeur une impression agréable qui décide du succès de tout le discours. Il faut que dès

l'abord celui qui écoute soit persuadé de la bonne foi et de la probité de celui qui parle. Cette confiance est la première ouverture de l'âme; si elle manque, les mots ne sont qu'un vain bruit qui expire dans l'oreille sans pénétrer au delà. Rollin dit encore :

Tout cela doit se faire d'une manière simple et naturelle, sars étude et sans affectation; l'air, l'extérieur, le geste, le ton, le style, tout doit respirer je ne sais quoi de doux et de tendre, qui parte du cœur et qui aille droit au cœur. Les mœurs de celui qui parle doivent se peindre dans son discours, sans qu'il y pense. On sent bien que nonseulement pour l'éloquence, mais pour le commerce ordinaire de la vie, rien n'est plus aimable qu'un tel caractère; et l'on ne peut trop porter les jeunes gens à s'y rendre attentifs, à l'étudier et à l'imiter. Voltaire dit de même :

C'est la nature dont l'instinct enseigne à prendre d'abord un air, un ton modeste avec ceux dont on a besoin.

13. Règles relatives aux mœurs. Toutes ces observations relatives aux mœurs oratoires peuvent être résumées dans les cinq règles suivantes :

I. Faire preuve de probité, de modestie, de bienveillance et de prudence.

II. Le meilleur et le plus sûr moyen d'avoir des mœurs oratoires, c'est d'avoir des mœurs réelles.

III. Éviter tout ce qui peut donner l'apparence de l'injustice, du mensonge, de l'égoïsme, de la vanité, de l'igno

rance.

IV. Montrer des mœurs dans toute la composition, mais surtout les manifester dans l'exorde.

V. Se garder de toute affectation, ne point proclamer nos qualités; mais faire en sorte qu'elles se peignent d'ellesmêmes dans toutes nos paroles.

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ARGUMENTS D'APRÈS LEUR ORIGINE.-8. DE L'EXEMPLE. 9. DE L'INDUCTION.-10. DE L'ARGUMENT PERSONNEL. - 11. DIFFÉRENCE ENTRE L'ARGUMENTATION PHILOSOPHIQUE ET LA PREUVE ORATOIRE.- 12. UTILITE DE CETTE ÉTUDE. 13. RÈGLES.

1. Des arguments. - Prouver est l'œuvre principale de l'orateur et de l'écrivain. Aristote réduit toute la rhétorique à la dialectique, et par suite tout le discours à la preuve; mais, ce serait exagérer la puissance de la logique, du raisonnement et de l'évidence, ce serait mutiler l'éloquence que de lui ôter l'émotion et le charme qui naissent de la passion et des mœurs.

Cependant la preuve est bien le corps et le fond du discours. Étudier les preuves et les moyens de preuves, c'est l'office le plus nécessaire de l'art oratoire, la partie à laquelle toutes les autres se rapportent; car les pensées, les figures, les mouvements de toutes sortes ne servent qu'à faire valoir les preuves.

L'étude des moyens de prouver comprend deux choses : les arguments et les lieux communs.

Les ARGUMENTS sont les formes diverses du raisonnement. Raisonner, c'est faire sortir de propositions connues une proposition nouvelle.

2. Du syllogisme1.-Ce mot, d'origine grecque et qui signifie raisonnement, désigne la forme rigoureuse et logique de l'argumentation.

On définit le syllogisme un enchaînement de trois pro

4. Voir pour plus de détails mon Precis d'un Cours de philosophie élémentaire, 3e édition, p. 164.

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