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MODÈLES

DE LITTÉRATURE

FRANÇAISE

OU

MORCEAUX CHOISIS

EN PROSE ET EN VERS

DES MEILLEURS ÉCRIVAINS DEPUIS LE XVI SIÈGLE
JUSQU'A NOS JOURS

avec

DES NOTICES BIOGRAPHIQUES ET LITTÉRAIRES

PAR M. CHAPSAL

TOME SECOND

POÉSIE

Nouvelle édition

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

KD22258

HARVARD UNIVERSITY LIBRARY

DE LITTÉRATURE

FRANÇAISE.

VERS.

CHARLES D'ORLÉANS.

ORLEANS CHARLES (DUC D'), petit-fils de Charles V et père de Louis XII, naquit en 1391 et mourut en 1465.

Il a laissé cent cinquante-deux ballades, sept complaintes, cent trente-une chansons, et quatre cent deux rondeaux. C'est un poëte aimable, le dernier et le plus parfait, le plus élégant du moins, des troubadours du moyen âge. Si la pensée ne tient pas une grande place dans ses œuvres, il y a tant de légèreté, tant de délicatesse, et on y trouve un style déjà si bien formé, qu'il peut être placé en tête de ceux de nos poëtes qu'on peut lire encore aujourd'hui.

Charles d'Orléans, longtemps exilé en Angleterre, a écrit des poésies anglaises. Il était fort instruit, et, en qualité de fils de Valentine de Milan, il connaissait bien la littérature italienne. Ses poésies ont en général la galanterie pour sujet; on y retrouve les personnages fictifs de l'épopée du moyen âge.

Ballade.

Nouvelles ont couru en France,
Par maints lieux, que j'estoyes mort;
Dont avaient peu déplaisance
Aucuns, qui me hayent à tort;

1. Hiatus. Les règles de la prosodie française ne sont guère fixées avant la fin du xvro siècle. 2. Charles d'Orléans était alors en Angleterre. 3. Que j'estore (que j'étais), forme quatre syllabes. - 4. A-vai-ent.

Autres en ont eu desconfort',
Qui m'aiment de loyal vouloir,
Comme mes bons et vrais amis;
Si fais à toutes gens savoir
Qu'encore est vive la souris.

Je n'ai eu nes mal, ne gravance',
Dieu merci, mais suis sain et fort,
Et passe temps en espérance
Que paix, qui trop longuement dort,
S'éveillera, et par accord
A tous fera liesse avoir;

Pour ce, de Dieu soient maudits
Ceux qui sont dolents de veoir
Qu'encore est vive la souris.

Jeunesse sur moi a puissance,
Mais vieillesse fait son effort
De m'avoir en sa gouvernance;
A présent faillira son sort,
Je suis assez loin de son port,
De pleurer veuil garder mon hoir *;
Loué soit Dieu de paradis,
Qui m'a donné force et pouvoir,
Qu'encore est vive la souris.

Nul' ne porte pour moi le noir,
On vend meilleur marchié drap gris;
Or, tienne chacun, pour tout voir,
Qu'encore est vive la souris.

Ballade.

Dieu, qu'il fait bon la regarder
La gracieuse, bonne et belle!

4. Tristesse. -2. Aussi fais-je. - 3. Ni.-4. Grave malheur. - 5. Je. -6. Héritier, fils. - 7. Que nul.

Pour les grands biens qui sont en elle,
Chacun est prêt à la louer.
Qui se pourrait d'elle lasser?
Toujours sa beauté renouvelle1.
Dieu qu'il fait bon la regarder
La gracieuse, bonne et belle!

Par deçà ne de là la mer,
Ne sais dame ne damoiselle
Qui soit en tous biens parfaits telle.
C'est un songe que d'y penser.
Dieu qu'il fait bon la regarder
La gracieuse, bonne et belle!

Rondeau.

Crié soit à la clochette
Par les rues, sus et jus3,
Fredet, on ne le voit plus;
Est-il mis en oubliette?

Jadis il tenait bien compte
De visiter ses amis;

Est-il roi, ou duc, ou comte,
Quand en oubli les a mis?
Banni à son de trompette
Comme marié confus,
Entre chartreux, ou reclus,
A-t-il point fait sa retraite?

Crié soit à la clochette
Par les rues, sus et jus,
Fredet, on ne le voit plus;
Est-il mis en oubliette?

1. Se renouvelle, se rajeunit. - 2. En deçà.-3. De tous côtés.-4. Ami de Charles d'Orléans. - 5. Il n'oubliait pas. - 6. Pour les avoir

oubliés.

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