Jusqu'à ce que la mort, qui rompra nos liens, Lui reprenant mes jours dont il a fait les siens, Se lève entre nous deux, nous désunisse, et vienne S'emparer de sa vie et me rendre la mienne. (Louis XI.)
L'un pour l'autre une fois n'ayons point de secret, Vous donnez par terreur, je prends par intérêt. En consumant ma vie à prolonger la vôtre,
J'en cède une moitié, pour mieux jouir de l'autre. Je vends et vous payez; ce n'est plus qu'un contrat; Où le cœur n'est pour rien, personne n'est ingrat. Les rois avec de l'or pensent que tout s'achète; Mais un don qu'on vous doit, un bienfait qu'on vous jette Laissent votre âme à l'aise avec le bienfaiteur. On paye un courtisan, on paye un serviteur; Un ami, sire, on l'aime; et n'eût-il pour salaire Qu'un regard attendri quand il a pu vous plaire, Qu'un mot sorti du cœur quand il vous tend les bras ; Il aime, il est à vous, mais il ne se vend pas : Comme on se donne à lui, sans partage il se donne, Et parjure à l'honneur lorsqu'il vous abandonne, S'il vous regarde en face après avoir failli, On a droit de lui dire: Ingrat, tu m'as trahi!
LE CID à Elvire, sa fille.
C'est une vieille histoire
Que je veux vous conter, mais bien bas, pour ma gloire.
A nous, Campeador! m'avait écrit le roi, Voici les Sarrasins. » Pas un réal chez moi
Pour équiper ma bande et la conduire en plaine! Alors de mon manoir la douce châtelaine,
Qui voyait mon souci, te mit sur mes genoux; Me quitta; puis revint en m'offrant ses bijoux.
Je crois l'entendre encor : « Tiens, mon Cid, va les vendre; Le Sarrasin, dit-elle, est là pour me les rendre. » A quoi je répondis : « Chimène, mes amours, Il te rendra ton bien avant qu'il soit dix jours. »> l'emportai les brillants; mais est-il femme ou fille Qui se puisse tenir d'admirer ce qui brille?
Non les vouloir, les prendre, et ne plus les lâcher, C'est ce que fit Elvire; et j'eus beau me fâcher, Dans son courroux d'enfant qui la rendait plus belle, Tenant toujours sa proie, elle osa, la rebelle,
Lever pour se défendre, en lionne qu'elle est, Ses deux petits poings nus contre mon gantelet.
Oui, mais je fis en sorte, Elvire, que ta main ne fût pas la plus forte. Tu te pris à pleurer, et tout gonflés, tes yeux Faisaient à ce trésor de si tristes adieux, Que je sentis mon cœur s'amollir de tendresse; La pitié l'emporta. Jamais, c'est ma faiblesse, Aux larmes d'un enfant je n'ai su résister; Et je dis à Chimène: Il faut la contenter. Qui sourit? ce fut toi j'avais mis bas les armes; Sourire plus charmant, lorsqu'il fit sous tes larmes Rayonner de plaisir ton visage vermeil,
Qu'à travers une pluie un éclair de soleil!
Et folle et radieuse, ivre de ta victoire,
Tu vins du bout des doigts tirer ma barbe noire, Toi qui tremblais alors, peureuse, en la baisant; Mais tu n'en as plus peur : elle est blanche à présent. (La Fille du Cid.)
Pour le couronnement on nous cherchait tous deux. Je t'ai dit : «Viens, Richard, ma mère nous appelle; » Et, te prenant la main, je voulais fuir près d'elle Un tigre dont les yeux semblaient nous menacer. Mes pieds marchaient, couraient sans pouvoir avancer, Et toujours, mais en vain....
Tout à coup à Windsor je me crus transporté; Le feuillage tremblait par les vents agité; Leur souffle tiède et lourd annonçait un orage, Pour deux pâles boutons, qui, presque du même âge Sur un même rameau confondant leur parfum, L'un à l'autre enlacés, semblaient n'en former qu'un. Unis comme eux, Richard, nous admirions leurs charmes. En voyant l'eau du ciel qui les couvrait de larmes, Je les pris en pitié sans deviner pourquoi,
Et tu me dis alors : « Mon frère, un d'eux, c'est toi : L'autre, c'est moi. » Soudain le fer brille. O prodige !
Le sang par jets vermeils s'échappe de leur tige, Comme si c'était moi qui le perdais, ce sang. Mon cœur vint à faillir; ma main en se baissant, Pour chercher dans la nuit leurs feuilles dispersées, Toucha de deux enfants les dépouilles glacées. Puis je ne sentis plus; mais j'entendis des voix Qui disaient : « Portez-les au tombeau de nos rois. »
Moi, j'irais caresser jusqu'en son tribunal Quelque arbitre du goût dont la feuille éphémère Distille les poisons d'une censure amère, Au bon sens, au bon droit donne un plat démenti, Pour juger un auteur consulte son parti,
Aigrit nos passions et dénonce à la France L'écrit qu'il n'a pas lu, mais qu'il flétrit d'avance! Voilà donc les faux dieux que je dois encenser!
Ah! croyez-moi, leurs traits ne peuvent m'offenser. Qu'ils soient mes ennemis, que leur courroux m'accable, Qu'ils me déchirent, soit leur haine est honorable. Il est, n'en doutez pas, il est d'autres censeurs, Du talent méconnu courageux défenseurs, Qui lui prêtent leur voix avant qu'il la réclame, Qui ne trafiquent point de l'éloge ou du blàmė, Et gardant pour le vice une juste fureur, Des travers de l'esprit se moquent sans aigreur. Je rends trop de justice à ces rares mérites Pour les importuner de mes lâches visites. Si je cueille un laurier par la gloire avoué, Je ne connaîtrai point celui qui m'a loué, Au moins je pourrai dire : « Il écrit ce qu'il pense. » Est-il quelques chagrins que ce mot ne compense, Qu'il ne fasse oublier, qu'il ne change en plaisirs? Tel est le but constant qu'embrassent mes désirs: Inestimable bien, honneur digne d'envie, Que je paîrai trop peu du repos de ma vie.
Je ne suis pas de ceux qui font leur volupté Des embarras charmants de la paternité, Pauvres dans l'opulence, et dont la vertu brille A se gêner quinze ans pour doter leur famille; De ceux qu'on voit pâlir, dès qu'un jeune éventé Lorgne en courant leur femme assise à leur côté; Et, geôliers maladroits de quelque Agnès nouvelle, Sans fruit en soins jaloux se creuser la cervelle. Jamais le bon plaisir de madame Bonnard,
Pour danser jusqu'au jour ne me fait coucher tard, Ne gonfle mon budget par des frais de toilette; Et jamais ma dépense, excédant ma recette, Ne me force à bâtir un espoir mal fondé
Sur le terrain mouvant du tiers consolidé.
Aussi, sans trouble aucun, couché près de ma caisse, Je m'éveille à la hausse ou m'endors à la baisse. A deux heures je dîne: on en digère mieux. Je fais quatre repas comme nos bons aïeux, Et n'attends pas à jeun, quand la faim me talonne, Que ma fille soit prête, ou que ma femme ordonne. Dans mon gouvernement, despotisme complet : Je rentre quand je veux, je sors quand il me plaît; Je dispose de moi, je m'appartiens, je m'aime, Et sans rivalité je jouis de moi-même. Célibat! célibat! le lien conjugal
A ton indépendance offre-t-il rien d'égal?
Je me tiens trop heureux, et j'estime qu'en somme Il n'est pas de bourgeois, récemment gentilhomme, De général vainqueur, de poëte applaudi,
De gros capitaliste à la bourse arrondi,
Plus libre, plus content, plus heureux sur la terre, Pas même d'empereur, s'il n'est célibataire.
(L'École des Vieillards.)
La popularité, que pour toi je redoute, Commence, en nous prenant sur ses ailes de feu, Par nous donner beaucoup et nous demander peu. Elle est amie ardente ou mortelle ennemie, Et comme elle a sa gloire, elle a son infamie. Jeune, tu dois l'aimer: son charme décevant Fait battre mon vieux cœur; il m'enivre; et souvent Au fond de la tribune où ta voix me remue
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