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Pour t'immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit ouvre-lui tes trésors.
En poètes fameux rends nos climats fertiles :
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.
Que d'illustres témoins de ta vaste bonté

Vont pour toi déposer à la postérité !

Pour moi, qui sur ton nom déjà brûlant d'écrire
Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n'ose de mes vers vanter ici le prix;
Toutefois, si quelqu'un de mes faibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage.
Et, comme tes exploits étonnant les lecteurs
Seront à peine crus sur la foi des auteurs,
Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour, pour les rendre croyables :
Boileau, qui dans ses vers pleins de sincérité
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,

Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce Roi parlé comme l'histoire.

Il offrait donc sa plume; le Roi l'accepta. Cette Épître lui fut présentée par madame de Thiange, sœur du maréchal de Vivonne et de madame de Montespan. Le Roi mande le poète, qui lui récite ses vers, et l'épisode de la Mollesse dans le Lutrin, imaginé pour le louer d'une manière nouvelle. Flatté, il lui donne à son tour beaucoup de louanges, avec une pension de deux mille livres, payée d'avance, et le privilège pour l'impression de tous ses ouvrages. Ce qui dut le plus réjouir Boileau, ce fut d'avoir obtenu cette marque de

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la bienveillance royale directement, et sans avoir eu à passer comme son frère par les fourches caudines de Chapelain.

Alors l'ancien satirique se met en devoir d'acquitter sa dette de reconnaissance. Il compose l'Épitre sur le passage du Rhin.

De toute la campagne de Hollande, où le Roi en deux mois avait conquis deux provinces et pris quarante villes, le poète choisit cet épisode, parce qu'il y crut voir les éléments d'un tableau épique en y mêlant les ornements et les personnages de la mythologie; mais il ne s'avisa pas que ce mélange produirait des effets bizarres. Ce Rhin, que « ses Naïades craintives » viennent avertir de l'approche des Français, et qui, se métamorphosant en « vieux guerrier», « couvert d'une nue » comme dans Homère, c'està-dire invisible, va ranimer ses défenseurs dans les villes riveraines; Mars et Bellone d'autre part, mêlés aux cuirassiers commandés par Grammont; cela fait un bariolage singulier. Et, quand ce Grammont à cheval se jette à la nage avec son escadron, suivi de Lesdiguières, Vivonne, Nantouillet, Coislin, Salart et Vendôme, est-ce glorifier le Roi bien adroitement que de le montrer immobile sur la rive, « déjà prêt à passer », mais ne passant point, et ne les soutenant tous que de ses regards?

Par son ordre, Grammont le premier dans les flots
S'avance, soutenu des regards du héros.

Louis, les animant du feu de son courage,

Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage...

En vérité, on ne peut s'empêcher de trouver assez bonne l'apostrophe du poète anglais Prior:

Satirique flatteur, toi qui pris tant de peine

Pour chanter que Louis n'a point passé le Rhin'.

Sainte-Beuve cependant ne laisse pas d'admirer beaucoup cette Épître. « L'adresse, l'agrément, l'esprit, la poésie, dit-il, concourent dans cette pièce2. »

L'adresse, pas trop. On croit voir que, pour racheter ses irrévérences de jeunesse à l'égard de Boileau, le maître critique met volontairement un peu de complaisance dans ses jugements de l'âge mûr.

Sur cette conquête des Pays-Bas, Corneille aussi adressa au Roi une longue pièce, bien moins mythologique et bien plus réaliste que celle de Boileau; imitée du reste et presque traduite d'une pièce latine du Père La Rue. Les vers en sont

1. To say how Louis did not puss the Rhine. Ce que Voltaire a traduit par les deux vers ci-dessus.

2. Port-Royal, t. V, 1. vi.

quelquefois beaux; en général d'une veine un peu facile. Corneille dans sa poésie, comme Bossuet dans sa prose, entremêle aux expressions nobles quelques touches familières, ce que les peintres nomment des vigueurs. Il avait, sur ses six enfants, deux fils au service du Roi, dont l'un se trouvait au passage du Rhin; il y fait allusion dans

ces vers:

De la maison du Roi l'escadre ambitieuse
Fend après tant de chefs la vague impétueuse,
Suit l'exemple avec joie; et peut-être, grand Roi,
Avais-je là quelqu'un qui te servait pour moi :
Tu le sais, il suffit.

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Il y a des vers curieux, un peu puérils d'idée, sur le peuple hollandais, auquel les fidèles sujets de Sa Majesté très-chrétienne ne pardonnent point d'être protestant, républicain; quoi encore? né, pour ainsi dire, de la mer, comme les poissons; voilà ses crimes 1.

Boileau peut-être douta d'avoir suffisamment payé sa dette à Louis XIV par cette Épître, dont Bussy s'égaya d'abord à propos de l'hyperbole finale :

Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellespont.

1. Voir l'Appendice à la fin du volume.

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Tarare pon pon! se mit à chantonner le courtisan disgracié.

Le poète, comme par-dessus le marché, se mit, un peu plus tard, à écrire l'Épître vit, qui est pour ainsi dire la suite de celle-là, et qui n'est guère plus adroite. Lui qui s'était offert pour louer le Roi, le voilà qui reconnaît enfin qu'il s'y entend médiocrement, et qu'il est décidément mieux fait pour la satire que pour l'éloge en vers. Mais l'encens, bien ou mal préparé, plaît presque toujours.

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