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très juste et une humeur très vive, mais peu d'initiative personnelle. Il faut que l'impulsion lui vienne d'autrui, qu'il ait reçu le premier germe. Ou bien il a besoin, comme la vigne, de s'accrocher, de s'étayer1. Après Malherbe, c'est Juvénal qu'il prend pour appui, pour tuteur.

De la troisième satire du poète latin, il compose

1. La Fontaine de même; et Le Sage; et bien d'autres ; qui n'en sont pas moins immortels.

sa première et sa sixième, qui d'abord n'en faisaient qu'une, comme dans l'original. Le cadre est le même, et plusieurs des principaux traits sont également empruntés. Il s'agit d'un poète malheureux, qui abandonne la Ville (soit Rome, soit Paris), où il n'a pu trouver à vivre. Le tableau des embarras de Paris, épisode très développé, lui parut plus tard devoir être détaché et mis dans un cadre à part.

1

Sous le nom de Damon (quoiqu'il prétende qu'il s'agit de François Cassandre, homme de lettres misanthrope) c'est lui-même qu'il peint, comme une sorte d'Alceste avant la comédie 1, disant de la Ville ce que le Misanthrope dit de la Cour Que tel et tel vivent ici, qui savent s'enrichir par leurs bassesses, ou gagner leur vie à flatter...

Mais moi, vivre à Paris? Eh! qu'y voudrais-je faire ?
Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir;

Et, quand je le pourrais, je n'y puis consentir.

1. La première Satire, composée en 1658, fut publiée en 1666, l'année du Misanthrope. Dans une lettre au marquis de Mimeure, en date du 4 août 1706, Boileau lui dit qu'il a tout seul voté pour lui à l'Académie contre le marquis de Saint-Aulaire, dont les vers ne lui plaisent point : « Quelque bien qu'on m'eût dit de lui, j'avoue que je ne pus m'empêcher d'entrer dans une vraie colère contre son ouvrage. Je le portai à l'Académie, où je le laissai lire à qui voulut; et, quelqu'un s'étant mis en devoir de le défendre, je jouai le vrai personnage du Misanthrope dans Molière, ou plutôt j'y jouai mon propre personnage, le chagrin de ce Misanthrope contre les méchants vers ayant été, comme Molière me l'a confessé plusieurs fois luimême, copié sur mon modèle. »

Je ne sais point en lâche essuyer les outrages
D'un faquin orgueilleux qui me tient à ses gages,
De mes sonnets flatteurs lasser tout l'univers,

Et vendre au plus offrant mon encens et mes vers.
Pour un si bas emploi ma Muse est trop altière ;
Je suis rustique et fier, et j'ai l'âme grossière.
Je ne puis rien nommer si ce n'est par son nom :
J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon."

Licence excessive, appeler les gens par leur nom, en les qualifiant de la sorte! Charles Rolet, procureur au Parlement, était, à la vérité, un homme fort décrié. Le premier président de Lamoignon, pour signifier un fripon insigne, disait ordinairement: « C'est un Rolet. » Mais autre chose est de dire, en conversation, autre chose d'écrire et d'imprimer. Dans une première édition qui fut faite en 1665 à Rouen, soi-disant sans la participation de l'auteur, on avait mis un autre nom que celui de Rolet, cette licence d'injurier un homme vivant, même fripon, ayant sans doute paru trop forte 1.

Le poète, dans cette première Satire, attaquait aussi un autre fripon plus puissant, un partisan

1. Dans le Roman bourgeois de Furetière, qui parut en 1666, Rolet est peint sous le nom de Volichon, comme qui dirait petit voleur. Convaincu en justice d'avoir fait revivre une obligation de cinq cents livres qui lui avait été déjà payée, il fut condamné au bannissement pour neuf ans, à quatre mille livres de réparation civile, à diverses amendes et aux dépens; et l'obligation falsifiée fut lacérée par le greffier en sa présence, le 12 août 1681.

fameux qui, du produit de ses rapines, s'était fait

1

bâtir un hôtel près de la porte Richelieu :

Le chemin aujourd'hui par où chacun s'élève
Fut jadis le chemin qui menait à la Grève 2,
Et Mouleron ne doit qu'à ses crimes divers
Ses superbes lambris, ses jardins toujours verts.

Dans les éditions suivantes, l'auteur, devenu plus prudent, fit disparaître ce passage.- Un autre partisan, qui se nommait Gorge, était attaqué aussi, sous le nom à peine déguisé de George,

Qu'un million comptant, par ses fourbes acquis,
De clerc, jadis laquais, a fait comte et marquis.

C'est, dit-on, le même que La Bruyère désigne sous le nom de Sylvain. « Sylvain, de ses deniers, a acquis de la naissance, et un autre nom : il est seigneur de la paroisse où ses aïeux payaient la taille. Il n'aurait pu autrefois entrer page chez Cléobule, et il est son gendre 3. »

1. Qui devint plus tard l'hôtel de Grammont.

2. A l'échafaud. La Grève, devant l'Hôtel-de-Ville, à Paris, était en ce temps-là, et jusque de nos jours sous le règne de Louis-Philippe, le lieu des exécutions capitales. Il fut transporté ensuite à la barrière Saint-Jacques, puis à la place de la Roquette.

3. C'était à propos de ces espèces qu'un autre disait plaisamment, au siècle suivant : « Ils ont passé de derrière la voiture dedans, en évitant la roue. »

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