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BOILEAU

I

IDÉE GÉNÉRALE ET COMMENCEMENTS

I

Si nous avançons que Boileau fut un révolutionnaire, peut-être criera-t-on au paradoxe. On nous permettra cependant de soutenir et de démontrer que du moins il continua la révolution commencée par Malherbe. Ce fut la révolution de l'ordre. Il la célèbre hautement :

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la Muse aux règles du Devoir.

Tout reconnut ses lois; et ce guide fidèle

Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle '.

Non seulement Boileau célèbre cette révolution, mais il la poursuit et l'achève. Contre la fantaisie déréglée, contre l'imagination envahissante et folle, il restaure et intronise la Raison. Il l'établit dans la littérature, comme avait fait Descartes dans la philosophie. L'Art poétique, selon l'ingénieuse remarque d'un philosophe de nos jours, est en quelque sorte le Discours sur la Méthode de la poésie 2.

Boileau fit dans les vers une réforme pareille à celle de Pascal dans la prose. « C'est de Pascal surtout et avant tout, dit Sainte-Beuve, que me paraît relever Boileau. On peut dire qu'il est né littérairement des Provinciales 3. » Voltaire avait dit plus brièvement : « Pascal, le premier des satiri ques français, car Despréaux ne fut que le second. >>

Les plus grands et les plus beaux esprits du siècle se trouvent d'accord pour refréner l'imagination usurpatrice. Pascal s'élève contre « cette superbe puissance ennemie de la Raison ». Bossuet à son tour: « L'expérience fait voir, dit-il, qu'une imagina

1. Art poétique, chant Ior, vers 151 et suivants.

2. Fr. Bouillier, Histoire de la Philosophie cartésienne.

3. Causeries du Lundi, t. VI.

tion trop vive étouffe le raisonnement et le jugement 1. » Et il proclame que « le bon sens est le maître de la vie humaine ». Malebranche appelle l'imagination « la folle du logis », comme quelqu'un qui, avec tout son esprit, n'a pas été sans avoir affaire à cette folle, et sur les livres duquel Bossuet écrivait ces trois mots en forme d'arrêt et de sentence: Pulchra, nova, falsa 2. Molière défend énergiquement la cause du bon sens et de la raison. Aussi avec quelle chaleur Boileau lui applaudit et le glorifie! Tous ces grands esprits si divers sont donc unanimes en ce point: Il faut que la Raison règne et gouverne; l'imagination ne doit que la servir. C'est pour ce principe que Boileau combat,

1. De la Connaissance de Dieu et de soi-même.

Voltaire

2. Des beautés, des nouveautés, des faussetés. encore, que l'on rencontre partout, avait dit de l'auteur de la la Vision en Dieu :

Lui qui voit tout en Dieu, n'y voit pas qu'il est fou.
(Les Systèmes.)

3. Fénelon aussi, dans ses lettres, va jusqu'à dire que la Raison et Dieu ne sont qu'un. O Raison! n'es-tu pas le Dieu que je cherche?» — Et par là il rejoint Descartes.

Dans la peinture comme dans la littérature, c'est à la Raison d'abord qu'on demande les règles de la composition ainsi que du style. Lebrun et Poussin semblent des disciples de Descartes non moins que Corneille, Racine et Boileau. Eux aussi subordonnent l'imagination au bon sens, et sacrifient à l'idée générale du sujet les détails ingénieux, mais oiseux ou vulgaires, qui distrairaient l'attention. Lebrun, dans un mémoire lu en séance publique de l'Académie royale de peinture et de sculpture, le 10 octobre 1682, soutient contre Jean-Baptiste de Champagne (neveu et élève du célèbre peintre Philippe du

et avec tant d'impétuosité qu'il semble quelquefois dépasser la mesure; par exemple, lorsqu'il dit :

Aimons donc la Raison. Que toujours nos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.

Formule excessive, si on la détachait de tout le reste. Mais, d'autre part, dès le début de l'Art poétique, il dit nettement qu'on ne peut rien dans «l'Art des Vers » sans le don naturel, sans la faculté poétique, qui est bien l'imagination. Il reconnaît donc que cette faculté est un élément nécessaire de la poésie :

C'est en vain qu'au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l'Art des Vers atteindre la hauteur
S'il ne sent point du ciel l'influence secrète,
Si son astre en naissant ne l'a formé poète.

Il s'en faut donc bien que Boileau proscrive l'imagination; mais il la veut réglée par le bon sens, subordonnée à la Raison; et cela dans les plus petites œuvres comme les plus grandes :

même nom) que Poussin a très bien fait de retrancher de son tableau d'Éliézer et Rébecca les dix chameaux dont parle l'Écriture, premièrement parce que dix chameaux auraient fait en tout cas, dit-il, « une étrange caravane » ; secondement, parce qu'il faut, en peinture comme dans les autres arts, « rejeter du sujet les objets bizarres qui pourraient débaucher l'œil du spectateur et l'amuser à des minuties ». Voir aussi La Bruyère, ci-dessous, p. 137.

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