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pas de dire des chofes qu'il croit agréables ou confolantes, mais de dire des choses vraies : d'ailleurs, la doctrine que tout est bien eft auffi décourageante que celle de la fatalité. On trompe fes douleurs par des opinions générales, comme chaque homme peut adoucir fes chagrins par des illufions particulières: tel fe console de mourir, parce qu'il ne laisse au monde que des mourans; tel autre, parce que fa mort est une fuite néceffaire de l'ordre de l'univers troifième, parce qu'elle fait partie d'un arrangement où tout est bien; un autre enfin, parce qu'il fe réunira à l'ame universelle du monde. Des hommes d'une autre claffe fe confoleront en fongeant qu'ils vont entendre la musique des efprits bienheureux, se promener en caufant dans de beaux jardins, careffer des houris, boire la bierre célefte, voir DIEU face à face, &c. &c. ; mais il ferait ridicule d'établir fur aucune de ces opinions le bonheur général de l'efpèce humaine.

N'eft-il pas plus raisonnable à la fois & plus utile de fe dire : la nature a condamné les hommes à des maux cruels, & ceux qu'ils fe font à eux-mêmes font encore fon ouvrage, puifque c'eft d'elle qu'ils tiennent leurs penchans? Quelle est la raison première de ces maux, je l'ignore; mais la nature m'a donné le pouvoir de détourner une partie des malheurs auxquels

auxquels elle m'a foumis. L'homme doué de raifon peut fe flatter, par fes progrès dans les fciences & dans la législation, de s'afsurer une vie douce & une mort facile, de terminer un jour tranquille par un fommeil paisible. Travaillons fans ceffe à ce but, pour nous mêmes comme pour les autres: la nature nous a donné des befoins, mais nous trouvons avec les arts les moyens de les fatisfaire. Nous oppofons aux douleurs phyfiques la tempérance & les remèdes nous avons appris à braver le tonnerre, cherchons à pénétrer la cause des volcans & des tremblemens de terre, à les prévoir, fi nous ne pouvons les détourner. Corrigeons les mauvais penchans, s'il en existe, par une bonne éducation; apprenons aux hommes à bien connaître leurs vrais intérêts ; accoutumons-les à se conduire d'après la raison. La nature leur a donné la pitié & un fentiment d'affection leurs femblables; avec ces moyens dirigés par une raison éclairée, nous détournerons loin de nous le vice & le crime.

pour

Qu'importe que tout foit bien, pourvu que nous faffions en forte que tout foit mieux qu'il n'était avant nous.

Poëmes.

F

ON

'N fait affez que ce poëme n'avait pas été fait pour être public; c'était depuis trois ans un fecret entre un grand roi & l'auteur. Il n'y a que trois mois qu'il s'en répandit quelques copies dans Paris; & bientôt après, il y fut imprimé plufieurs fois d'une manière auffi fautive que les autres ouvrages qui font partis de la même plume.

Il ferait jufte d'avoir plus d'indulgence pour un écrit fecret, tiré de l'obfcurité où fon auteur l'avait condamné, que pour un ouvrage qu'un écrivain expose lui-même au grand jour. Il ferait encore jufte de ne pas juger le poëme d'un laïque comme on jugerait une thèse de théologie. Ces deux poëmes (*) font les fruits d'un arbre transplanté. Quelques-uns de ces fruits peuvent n'être pas du goût de quelques perfonnes: ils font d'un climat étranger, mais il n'y en a aucun d'empoisonné, & plufieurs peuvent être falutaires.

Il faut regarder cet ouvrage comme une lettre où l'on expose en liberté ses sentimens. La plupart des livres reffemblent à ces converfations générales & gênées, dans lefquelles on dit rarement ce qu'on pense. L'auteur a dit ici ce qu'il a pensé à un prince philosophe auprès duquel il avait alors l'honneur de vivre. Il a

(*) L'auteur parle ici du poëme fur le défaftre de Lisbonne, qui parut avec celui de la Loi natur elle.

appris que des efprits éclairés n'ont pas été mécontens de cette ébauche: ils ont jugé que le poëme fur la Loi naturelle est une préparation à des vérités plus fublimes. Cela feul aurait déterminé l'auteur à rendre l'ouvrage plus complet & plus correct, fi fes infirmités l'avaient permis. Il a été obligé de se borner à corriger les fautes dont fourmillent les éditions qu'on en a faites.

Les louanges, données dans cet écrit à un prince qui ne cherchait pas ces louanges, ne doivent furprendre personne; elles n'avaient rien de la flatterie, elles partaient du cœur : ce n'eft pas là de cet encens que l'intérêt prodigue à la puiffance. L'homme de lettres pouvait ne pas mériter les éloges & les bontés dont le monarque le comblait; mais le monarque méritait la vérité que l'homme de lettres lui disait dans cet ouvrage. Les changemens furvenus depuis, dans un commerce fi honorable pour la littérature, n'ont point altéré les fentimens qu'il avait fait naître.

Enfin, puisqu'on a arraché au fecret & à l'obfcurité un écrit destiné à ne point paraître, il fubfiftera chez quelques fages, comme un monument d'une correspondance philofophique qui ne devait point finir; & l'on ajoute que fi la faibleffe humaine se fait fentir par-tout, la vraie philofophie dompte toujours cette faiblesse.

Au refte ce faible effai fut compofé à l'occafion d'une petite brochure qui parut en ce temps-là. Elle était intitulée Du fouverain bien, & elle devait l'être Du fouverain mal. On y prétendait qu'il n'y a ni vertu ni vice, & que les remords font une faibleffe d'éducation qu'il faut étouffer. L'auteur du poëme prétend que les remords nous font auffi naturels que les autres affections de notre ame. Si la fougue d'une paffion fait commettre une faute, la nature, rendue à elle-même, fent cette faute. La fille sauvage, trouvée près de Châlons, avoua que dans la colère elle avait donné à fa compagne un coup dont cette infortunée mourut entre fes bras. Dès qu'elle vit fon fang couler, elle fe repentit, elle pleura, elle étancha ce fang, elle mit des herbes fur la bleffure. Ceux qui difent que ce retour d'humanité n'eft qu'une branche de notre amour-propre, font bien de l'honneur à l'amour-propre. Qu'on appelle la raison & les remords comme on voudra, ils exiftent, & ils font les fondemens de la loi naturelle. (*)

(*) Dans une édition précédente on lisait ici en note:

Nous favons que ce poëme, qu'on regarde comme l'un des meilleurs ouvrages de notre auteur, fut fait vers l'an 1751, chez madame la Margrave de Bareith, fœur du roi de Pruffe. Je ne fais quels pédans curent depuis l'atrocité imbécille de le condamner.

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