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Mon vieux lettrẻ chercha, d'efpérance animé, Un monde fait pour lui, tel qu'il l'aurait formé. Il cherchait vainement: l'ange lui fait connaître Que rien de ce qu'il veut en effet ne peut être ; Que fi l'homme eût été tel qu'on feint les géans, Fefant la guerre au Ciel, ou plutôt au bon fens, S'il eût à vingt mille ans étendu fa carrière, Ce petit amas d'eau, de fable & de pouffière, N'eût jamais pu fuffire à nourrir dans fon fein Ces énormes enfans d'un autre genre-humain. Le chinois argumente; on le force à conclure Que dans tout l'univers chaque être a sa mesure; Que l'homme n'eft point fait pour ces vaftes défirs; Que fa vie eft bornée, ainfi que fes plaifirs; Que le travail, les maux, la mort font néceffaires ; Et que fans fatiguer, par de lâches prières, La volonté d'un Dieu qui ne faurait changer, On doit fubir la loi qu'on ne peut corriger, Voir la mort d'un œil ferme & d'une ame foumife. Le lettré convaincu, non fans quelque furprife, (c) S'en retourne ici-bas, ayant tout approuvé; Mais il y murmura, quand il fut arrivé. Convertir un docteur eft une œuvre impoffible.

Matthieu (d) Garo chez nous eut l'efprit plus flexible:
Il loua DIEU de tout. Peut-être qu'autrefois
De longs ruiffeaux de lait ferpentaient dans nos bois ;
La lune était plus grande & la nuit moins obscure;
L'hiver fe couronnait de fleurs & de verdure:
L'homme, ce roi du monde, & roi très-fainéant,
Se contemplait à l'aife, admirait fon néant;

Et formé pour agir, fe plaifait à rien faire.
Mais pour nous, fléchiffons fous un fort tout contraire.

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Contentons-nous des biens qui nous font destinés,
Paffagers comme nous, & comme nous bornés:
Sans rechercher en vain ce que peut notre maître,
Ce que fut notre monde & ce qu'il devrait être,
Obfervons ce qu'il eft, & recueillons le fruit

Des tréfors qu'il renferme & des biens qu'il produit.

Si du Dieu qui nous fit l'éternelle puissance

Eût à deux jours au plus borné notre existence,
Il nous aurait fait grace; il faudrait confumer
Ces deux jours de la vie à lui plaire, à l'aimer:
Le temps eft affez long pour quiconque en profite;
Qui travaille & qui pense en étend la limite.
On peut vivre beaucoup fans végéter long-temps:
Et je vais te prouver par mes raisonnemens.....
Mais malheur à l'auteur qui veut toujours inftruire!
Le fecret d'ennuyer eft celui de tout dire.
C'eft ainfi que ma mufe, avec fimplicité,
Sur des tons différens chantait la vérité,
Lorsque de la nature éclaircissant les voiles,
Nos Français à Quito cherchaient d'autres étoiles;
Que Clairault, Maupertuis, entourés de glaçons,
D'un fecteur à lunette étonnaient les Lapons,
Tandis que d'une main ftérilement vantée, (1)
Le hardi Vaucanfon, rival de Prométhée,
Semblait, de la nature imitant les refforts,
Prendre le feu des cieux pour animer les corps.
Pour moi, loin des cités, fur les bords du Permesse,

Je fuivais la nature, & cherchais la fageffe;
Et des bords de la fphère où s'emporta Milton,
Et de ceux de l'abyme où pénétra Newton,
Je les voyais franchir leur carrière infinie;
Amant de tous les arts & de tout grand génie,

Implacable ennemi du calomniateur,

Du fanatique abfurde & du vil délateur;
Ami fans artifice, auteur fans jaloufie;
Adorateur d'un Dieu, mais fans hypocrifie;
Dans un corps languiffant, de cent maux attaqué,
Gardant un esprit libre, à l'étude appliqué; (2)
Et fachant qu'ici-bas la félicité pure

Ne fut jamais permise à l'humaine nature.

(0)

DU SIXIEME DISCOURS.

HOMME

OM ME très-favant dans l'hiftoire des Chinois, & même dans leur langue.

(b) Dieu des Chinois.

(c) Que fa vie eft bornée, ainsi que ses plaisirs ;

Que DIEU feul a raison, fans qu'il nous en informe.

Le lettré convaincu de fa fottife énorme

S'en retourne ici bas, &c.

(d) Voyez la fable de la Fontaine :

En louant DIEU de toute chofe,
Garo retourne à la maison.

Cependant on a répondu à Matthieu Garo, dans le Dictionnaire philosophique.

(1) M. de Vaucanfon n'était encore connu que par son flûteur, fon joueur de tambourin, fes canards. Il s'eft illuftré depuis en appliquant fon génie pour la mécanique à la perfection des arts, & il en a été récompensé comme il méritait de l'être. Lui-même ne regardait ses automates que comme des jeux d'enfans; mais on avait tort de ne pas fentir que ces jeux d'enfans annonçaient un génie qu'il ne fallait qu'employer pour le rendre utile.

( 2 ) Qu'il nous foit permis d'observer que nous avons vu M. de Voltaire a quatre-vingts ans tel que lui-même se peignait ici à quarante,

SUR LA VRAIE VERTU. (a)

LE nom de la vertu retentit fur la terre;

On l'entend au théâtre, au barreau, dans la chaire;
Jufqu'au milieu des cours il parvient quelquefois :
Il s'eft même gliffé dans les traités des rois.

C'eft un beau mot fans doute, & qu'on fe plaît d'entendre,
Facile à prononcer, difficile à comprendre :

On trompe, on eft trompé. Je crois voir des jetons
Donnés, reçus, rendus, troqués par des fripons;
Ou bien ces faux billets, vains enfans du fyftême
De ce fou d'écoffais qui fe dupa lui-même.

Qu'est-ce que la vertu ? le meilleur citoyen,
Brutus, fe repentit d'être un homme de bien:
La vertu, difait-il, est un nom fans substance. (b)
L'école de Zénon, dans fa fière ignorance.
Prit jadis pour vertu l'infenfibilité.

Dans les champs levantins le derviche hébété,
L'œil au ciel, les bras hauts & l'efprit en prières,
Du Seigneur en danfant invoque les lumières;
Et tournant dans un cercle au nom de Mahomet,
Croit de la vertu même atteindre le fommet.

Les reins ceints d'un cordon, l'œil armé d'impudence,
Un ermite à fandale, engraiffé d'ignorance,
Parlant du nez à DIEU chante au dos d'un lutrin
Cent cantiques hébreux, mis en mauvais latin.
Le Ciel puiffe bénir fa piété profonde!

Mais quel en eft le fruit? quel bien fait-il au monde?

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