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(g) Cela ne regarde que les efprits outrés, qui veulent ôter à l'homme

tous les fentimens.

Vous voulez changer l'homme, vous le détruifez.

Un monarque de l'Inde, honnête homme & peu fage,
Vers les rives du Gange, après un long orage,
Voyant de vingt vaiffeaux les débris difperfés,
Des mâts demi-rompus, & des morts entaffés,
Fit fermer par pitié le port de fon rivage;
Défendit que jamais, par un profane usage,
Les pins de fes forêts, façonnés en vaiffeaux,
Portaffent fur les mers à des peuples nouveaux,
Les fruits trop dangereux de l'humaine avarice.
Un bonze l'applaudit, on vanta sa juftice:
Mais bientôt trifte roi d'un Etat indigent,
Il fe vit fans pouvoir, ainfi que fans argent.
Un voifin moins bigot, & bien plus fage prince,
Conquit en peu de temps fa ftérile province;
Il rendit la mer libre & l'Etat fut heureux.

Je fuis loin d'en conclure, orateur dangereux,
Qu'il faut,

&c.

() Voici la fin de ce difcours dans les premières éditions:

Voilà mes paffions. Vous qui les

approuvez,

Vous l'honneur de ces arts par vos mains cultivés,

Vous dont la paffion nouvelle & généreuse

Eft d'éclairer la terre, & de la rendre heureuse;

Grand Prince, efprit fublime, heureux préfent du ciel,

Qui connaît mieux que vous les dons de l'Eternel?

Aidez ma voix tremblante & ma lyre affaiblie
A chanter le bonheur qu'il répand sur la vie.
Qu'un autre en frémiffant craigne ses cruautés;
Un cœur aimé de vous ne fent que fes bontés.

(i) Dans les premières éditions, ce difcours était terminé par un envoi au roi de Pruffe, alors prince royal. (Voyez la note (h). M. de Voltaire changea ces vers ; &, au témoignage de fa reconnaissance pour le prince royal, il substitua le tableau des violences exercées contre lui à Francfort au nom du roi, & les traça avec ce burin qui, pour emprunter une de fes expreffions, gravait pour l'immortalité. C'était la vengeance la plus grande & la plus noble qu'un particulier pût exercer contre un fouverain.

DE LA NATURE DE L'HOMME.

LA voix de la vertu préfide à tes concerts;
Elle m'appelle à toi par le charme des vers.
Ta grande étude eft l'homme, & de ce labyrinthe
Le fil de la raifon te fait chercher l'enceinte.
Montre l'homme à mes yeux: honteux de m'ignorer,
Dans mon être, dans moi, je cherche à pénétrer.
Defpréaux & Pascal en ont fait la fatire.

Pope & le grand Leibnitz, moins enclins à médire,
Semblent dans leurs écrits prendre un fage milieu;
Ils defcendent à l'homme, ils s'élèvent à DIEU:
Mais quelle épaiffe nuit voile encor la nature?
Sur l'Oedipe nouveau de cette énigme obfcure
Chacun a dit fon mot; on a long-temps rêvé;
Le vrai fens de l'énigme eft-il enfin trouvé ?

Je fais bien qu'à fouper chez Laïs ou Catulle,
Cet examen profond paffe pour ridicule.
Là, pour tout argument quelques couplets malins
Exercent plaifamment nos cerveaux libertins.
Autre temps, autre étude; & fa raifon févère
Trouve accès à fon tour, & peut ne point déplaire.
Dans le fond de fon cœur on fe plaît à rentrer;
Nos yeux cherchent le jour, lent à nous éclairer.
Le grand monde eft léger, inappliqué, volage;
Sa voix trouble & féduit; eft-on feul, on eft fage:
Je veux l'être; je veux m'élever avec toi
Des fanges de la terre au trône de fon roi.
Montre-moi, fi tu peux, cette chaîne invisible
Du monde des efprits, & du monde fenfible,

Cet ordre fi caché de tant d'êtres divers,
Que Pope après Platon crut voir dans l'univers.

Vous me preffez en vain. Cette vafte science,
Ou paffe ma portée, ou me force au filence;
Mon efprit refferré fous le compas français,
N'a point la liberté des Grecs & des Anglais.
Pope a droit de tout dire, & moi je dois me taire.
A Bourge un Bachelier peut percer ce mystère.
Je n'ai point mes degrés, & je ne prétends pas
Hafarder pour un mot de dangereux combats.
Ecoutez feulement un récit véritable,

Que peut-être Fourmont (a) prendra pour une fable;
Et que je lus hier dans un livre chinois,
Qu'un jéfuite à Pékin traduifit autrefois.

Un jour quelques fouris fe difaient l'une à l'autre : Que ce monde eft charmant! quel empire eft le nôtre ! Ce palais fi fuperbe eft élevé pour nous;

De toute éternité DIEU nous fit ces grands trous.
Vois-tu ces gras jambons fous cette voûte obfcure?
Ils
Y furent créés des mains de la nature.
Ces montagnes de lard, éternels alimens

Sont pour nous en ces lieux jusqu'à la fin des temps.
Oui, nous fommes, grand DIEU, fi l'on en croit nos fages,
Le chef-d'œuvre, la fin, le but de tes ouvrages.
Les chats font dangereux & prompts à nous manger;
Mais c'eft pour nous inftruire & pour nous corriger.
Plus loin, fur le duvet d'une herbe renaissante,
Près des bois, près des eaux, une troupe innocente
De canards nazillans, de dindons rengorgés,
De gros moutons bêlans, que leur laine a chargés,
Difaient tout eft à nous, bois, prés, étangs, montagnes;
Le Ciel pour nos befoins fait verdir les campagnes.

L'âne paiffait auprès, & fe mirant dans l'eau,

Il rendait grace au Ciel, en se trouvant si beau.
Pour les ânes, dit-il, le Ciel a fait la terre:

L'homme eft né mon efclave, il me panfe, il me ferre,

Il m'étrille, il me lave, il prévient mes désirs,
Il bâtit mon férail, il conduit mes plaifirs:
Refpectueux témoin de ma noble tendresse,
Miniftre de ma joie, il m'amène une ânesse;
Et je ris, quand je vois cet esclave orgueilleux
Envier l'heureux don que j'ai reçu des Cieux.

L'homme vint, & cria: Je fuis puiffant & fage;
Cieux, terres, élémens, tout eft pour mon usage;
L'océan fut formé pour porter mes vaiffeaux;
Les vents font mes courriers, les aftres mes flambeaux.
Ce globe, qui des nuits blanchit les fombres voiles,
Croît, décroît, fuit, revient, & préfide aux étoiles;
Moi, je préfide à tout; mon efprit éclairé
Dans les bornes du monde eût été trop ferré :
Mais enfin de ce monde & l'oracle & le maître,
Je ne fuis point encor ce que je devrais être.
Quelques anges alors, qui là-haut dans les cieux
Règlent ces mouvemens imparfaits à nos yeux,
En fefant tournoyer ces immenses planètes,
Difaient: Pour nos plaisirs fans doute elles font faites.
Puis de-là fur la terre ils jetaient un coup d'œil,
Ils fe moquaient de l'homme & de fon fot orgueil.
Le Tien (b) les entendit; il voulut que fur l'heure
On les fit affembler dans fa haute demeure,
Ange, homme, quadrupède, & ces êtres divers,
Dont chacun forme un monde en ce vaste univers.
Ouvrage de mes mains, enfans du même père,
Qui portez, leur dit-il, men divin caractère,

Vous

Vous êtes nés pour moi, rien ne fut fait pour vous:
Je fuis le centre unique où vous répondez tous.
Des deflins & des temps connaissez le feul maître.
Rien n'eft grand ni petit; tout eft ce qu'il doit être.
D'un parfait affemblage inftrumens imparfaits,
Dans votre rang placés, demeurez fatisfaits.
L'homme ne le fut point. Cette indocile efpèce
Sera-t-elle occupée à murmurer fans ceffe?
Un vieux lettré chinois, qui, toujours fur les bancs,
Combattit la raison par de beaux argumens,

Plein de Confucius, & fa logique en tête,
Diftinguant, concluant, préfenta fa requête.

Pourquoi fuis-je en un point refferré par le temps?
Mes jours devraient aller par-delà vingt mille ans;
Ma taille
pour le moins dut avoir cent coudées.
D'où vient que je ne puis, plus prompt que mes idées
Voyager dans la lune, & réformer fon cours?

Pourquoi faut-il dormir un grand tiers de mes jours?
Pourquoi ne puis-je, au gré de ma pudique flamme,
Faire au moins en trois mois cent enfans à ma femme?
Pourquoi fus-je en un jour fi las de fes attraits?

Tes Pourquoi, dit le Dieu, ne finiraient jamais :
Bientôt tes queftions vont être décidées:
Va chercher ta réponse au pays des idées;
Pars. Un ange auffitôt l'emporte dans les airs,
Au fein du vide immenfe où fe meut l'univers,
A travers cent foleils entourés de planètes,
De lunes & d'anneaux, & de longues comètes.
Il entre dans un globe où d'immortelles mains
Du roi de la nature ont tracé les deffeins,
Où l'œil peut contempler les images visibles,
Et des mondes réels & des mondes poffibles.

Poëmes.

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