SUR LA NATURE DU PLAISIR. Jusqu USQU'A quand verrons-nous ce rêveur fanatique Fermer le ciel au monde, & d'un ton defpotique Damnant le genre-humain, qu'il prétend convertir, Nous prêcher la vertu pour la faire haïr? (a) Sur les pas de Calvin, ce fou fombre & sévère Croit que DIEU, comme lui, n'agit qu'avec colère. Je crois voir d'un tyran le miniftre abhorré, D'efclaves qu'il a faits triftement entouré, Dictant d'un air hideux fes volontés finiftres. Je cherche un roi plus doux, & de plus doux miniftres. Vous appelle à ce DIEU par la voix des plaifirs. Ou que l'amour vous force en des momens plus doux Par-tout d'un DIEU clément la bonté falutaire Ah! dans tous vos états, en tout temps, en tout lieu, Chez de fombres dévots l'amour propre eft damné ; C'eft l'ennemi de l'homme, aux enfers il eft né. Vous vous trompez, ingrats, c'eft un don de DIEU même. Tout amour vient du ciel; DIEU nous chérit, il s'aime. (d) Nous nous aimons dans nous, dans nos biens, dans nos fils, Dans nos concitoyens, furtout dans nos amis: Cet amour néceffaire eft l'ame de notre ame; Notre efprit eft porté fur fes ailes de flamme. Oui, pour nous élever aux grandes actions, DIEU nous a par bonté donné les paffions. (e) Tout dangereux qu'il eft, c'est un présent célefte; L'ufage en eft heureux, fi l'abus eft funefte. J'admire & ne plains point un cœur maître de foi, Qui, tenant fes défirs enchaînés fous fa loi, S'arrache au genre-humain pour DIEU qui nous fit naître, On voit de cet orgueil la vanité profonde; C'est moins l'ami de DIEU que l'ennemi du monde : Le ciel nous fit un cœur, il lui faut des défirs. Vous qui vous élevez contre l'humanité, Voilà votre portrait, ftoïques abusės; (ƒ) Vous voulez changer l'homme, & vous le détruifez. (g) L'abstinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux. Qu'il faut lâcher la bride aux passions humaines; Voilà mes paffions; mon ame en tous les temps (h) Deux fripons à brevet, brigands accrédités, Il pardonne aux humains, il rit de leur délire, (a DU CINQUIEME DISCOURS. a)DANS ANS la mort de Céfar, Antoine dit à Brutus : Et ton farouche orgueil, que rien ne peut fléchir, Embraffa la vertu pour les faire haïr. (b) Cette pièce cft uniquement fondée sur l'impoffibilité où eft l'homme d'avoir des fenfations fur lui-même. Tout fentiment prouve un Dieu, & tout fentiment agréable prouve un Dieu bienfefant. (c) Pascal fe crut parfait alors qu'il n'aima rien. Pour aimer un autre homme, il faut s'aimer foi-même. (e) Comme prefque tous les mots d'une langue peuvent être entendus en plus d'un fens, il eft bon d'avertir ici qu'on entend par le mot paffions des defirs vifs & continus de quelque bien que ce puiffe ètre. Ce mot vient de pâtir, souffrir, parce qu'il n'y a aucun défir fans fouffrance; defirer un bien, c'est souffrir l'absence de ce bien, c'est pâtir, c'est avoir une paffion; & le premier pas vers le plaifir eft effentiellement un foulagement de cette fouffrance. Les vicieux & les gens de bien ont tous également de ces défirs vifs & continus, appelés paffions, qui ne deviennent des vices que par leur objet; le défir de réuffir dans fon art, l'amour conjugal, l'amour paternel, le goût des sciences font des paffions qui n'ont rien de criminel. Il ferait à fouhaiter que les langues cuffent des mots pour exprimer les défirs habituels qui en foi font indifférens, ceux qui font vertueux, ceux qui font coupables ; mais il n'y a aucune langue au monde qui ait des fignes représentatifs de chacune de nos idees; & on eft obligé de fe fervir du même mot dans une acception differente, à peu près comme on fe fert quelquefois du même inftrument pour des ouvrages de differente nature. (f) M. de Voltaire combat ici, comme dans le difcours feptième, la morale fauffe & outrée des janfeniftes, qui etait alors encore à la mode, & en général la morale chrétienne. Il est un des premiers, parmi nos philofophes, qui ait fait voir qu'il vaut mieux diriger nos paffions naturelles vers un but utile que de chercher à les détruire; qu'un homme qui pafferait fa vie à combattre en lui la nature, ferait fort inutile à fes femblables. Ce font les mêmes principes exagérés depuis dans le livre de l'efprit qui ont excité, avec fi peu de raifon, tant de fcandale & d'enthousiasme. |