Page images
PDF
EPUB

Catin n'eft plus: j'ai le malheur de vivre ;
J'en fuis honteux; adieu, je vais la fuivre.
Rouffeau replique, as-tu perdu l'efprit?
As-tu le cœur fi lâche & fi petit?
Aurais-tu bien cette faiblesse infame
De t'abaiffer à pleurer une femme ?
Sois fage enfin le fage eft fans pitié;
Il n'eft jamais féduit par l'amitié :
Tranquille & dur en fon orgueil fuprême,
Vivant pour foi, fans befoin, fans défir,
Semblable à DIEU, concentré dans lui-même,
Dans fon mérite il met tout fon plaifir.
D'un vrai Rousseau tel eft le caractère;
Il n'eft ami, parent, époux, ni père,
Il eft de roche: & quiconque, en un mot,
Naquit fenfible, eft fait pour être un fot.
Ah! dit Robert, cette grande doctrine
A bien du bon, mais elle eft trop divine:
Je ne fuis qu'homme, & j'ofe déclarer
Que j'aime fort toute humaine faibleffe:
Pardonnez-moi la pitié, la tendresse,
Et laiffez-moi la douceur de pleurer.
Comme il parlait, paffa fur cette terre,
En berlingot, certain pair d'Angleterre,
Qui voyageait tout excédé d'ennui,
Uniquement pour fortir de chez lui;
Lequel avait, pour charmer fa tristesse,
Trois chiens courans, du punch & fa maîtreffe.
Dans le pays on connaissait fon nom

Et tous fes chiens; c'eft milord Abington. (3)

Il aperçoit une foule éperdue, Une beauté fur le fable étendue,

Covelle en pleurs, & des verres caffés.
Que fait-on là? dit-il à la cohue.

On meurt, Milord; & les gens empreffés
Portaient déjà les quatre ais d'une bière,
Et deux manans fouillaient le cimetière.
Bonnet difait, notre art n'eft que trop vain,
On a tenté des baifers & du vin;
Rien n'a paffé. Cette pauvre bourgeoise
A fait fon temps; qu'on l'enterre, & buvons.
Milord reprit, eft-elle génevoise?

Oui, dit Covelle: hé bien, nous le verrons.
Il faute en bas, il écarte la troupe

Qui fait un cercle en lui preffant la croupe,
Marche à la belle, & lui met dans la main
Un
gros bourfon de cent livres fterlin.

La belle ferre, & foudain reffufcite.

On bat des mains; Bonnet n'a jamais fu
Ce beau fecret. La gaupe décrépite
Dit qu'en enfer il était inconnu.
Rousseau convient que, malgré fes prestiges,
Il n'a jamais fait de pareils prodiges.
Milord fourit: Covelle tranfporté
Croit que c'eft lui qu'on a reffufcité.
Puis, en danfant, ils s'en vont à la ville,
Pour s'amufer de la guerre civile.

NOTES DU TROISIEME CHANT.

SAINT-M

(1) AINT-MAURICE dans le Valais, à quelques milles de la fource du Rhône. C'eft en cet endroit que la legende a prétendu que Dioclétien, en 287, avait fait martyrifer une légion compofée de fix mille chrétiens à pied, & de fept cents chrétiens à cheval, qui arrivaient d'Egypte par les Alpes. Le lecteur remarquera que Saint-Maurice eft une vallee étroite entre deux montagnes efcarpées, & qu'on ne peut pas y ranger trois cents hommes en bataille. Il remarquera encore qu'en 287, il n'y avait aucune perfecution, que Dioclétien alors comblait tous les chretiens de faveurs, que les premiers officiers de fon palais, Gorgonios & Dorotheos, étaient chrétiens, & que fa femme Prifca était chretienne, &c. Le lecteur obfervera furtout que la fable du martyre de cette legion fut ecrite par Gregoire de Tours qui ne passe pas pour un Tacite, d'après un mauvais roman attribue à l'abbé Eucher, évêque de Lyon, mort en 454: & dans ce roman il eft fait mention de Sigifmond, roi de Bourgogne, mort en 523.

[ocr errors]

Je veux & je dois apprendre au public qu'un nommé Nonotte ci-devant jéfuite, fils d'un brave crocheteur de notre ville, a depuis peu, dans le ftyle de fon père, foutenu l'authenticité de cette ridicule fable avec la même impudence qu'il a prétendu que les rois de France de la première race n'ont jamais eu plufieurs femmes, que Diocletien avait toujours été perfecuteur, & que Conftantin était, comme Moïfe, le plus doux de tous les hommes. Cela se trouve dans un libelle de cet ex-jefuite, intitulé les Erreurs de Voltaire: libelle auffi rempli d'erreurs que de mauvais raisonnemens. Cette note eft un peu étrangère au texte, mais c'est le droit des commentateurs. Cette note eft de M. C***, avocat, à Besançon.

(2) Il eft mort depuis peu. Il faut avouer qu'il aimait fort à boire; mais il n'en avait pas moins de pratiques. Il disait plus de bons mots qu'il ne guériffait de malades. Les médecins ont joué un grand rôle dans toute cette guerre de Genève. M. Jorri, mon médecin ordinaire, a contribué beaucoup à la pacification; il faut espérer que l'auteur en parlera dans fa première édition de cet important ouvrage. A l'égard des chirurgiens, ils s'en font peu mêlé, attendu qu'il n'y a pas eu une égratignure, excepté le foufflet donné par un predicant dans l'affemblée qu'on nomme la vénerable compagnie. Les chirurgiens avaient cependant préparé de la charpie, & plufieurs citoyens avaient fait leur teftament. Il faut que l'auteur ait iguoré ces particularités.

(3) Milord Abington s'eft diftingué depuis dans le fénat britannique par fon patriotisme, & une haine conftante pour la corruption, la tyrannie & les reftes de fuperftition que l'Angleterre conferve encore. Il a fait un difcours très raisonnable & très - plaifant contre des lois ridicules fur l'observation du dimanche, imitées des lois juives fur le fabbat, qui s'obfervent à Londres avec rigueur, & pour lesquelles le confeil de la cité & même les chambres du parlement font semblant d'avoir beaucoup de zèle, afin de faire leur cour à la populace qui, en Angleterre comme ailleurs, s'amuse beaucoup des perfècutions exercées au nom de DIEU. Milord Abington confultait un jour, pour un mal d'yeux, Tronchin, qui lui recommanda de ne pas trop lire.— Je ne lis jamais, dit Milord : il y a quelques années que j'essayai de parcourir un livre qui s'appelait, je crois, la Genèse; mais, après en avoir lu quelques pages, je le laissai là. Il paraissait à Genève tel qu'on le peint ici. Note des éditeurs.

CHANT QUATRIEME.

Nos voyageurs devifaient en chemin;

Ils fe flattaient d'obtenir du deftin
Ce que leur cœur aveuglément défire,
Bonnet de boire, & Jean-Jacques d'écrire ;
Catin d'aimer; la vieille de médire ;
Robert de vaincre, & d'aller à grands pas
Du lit à table & de table aux combats.
Tout caractère en caufant fe déploie.
Milord difait: Dans ces remparts facrés
Avant-hier les Français font entrés:
Nous nous battrons, c'eft-là toute ma joie;
Mes chiens & moi nous fuivrons cette proie.
J'aurai contre eux mes fufils à deux coups:
Pour un anglais c'est un plaifir bien doux.
Des Génevois je conduirai l'armée.

Comme il parlait, passa la Renommée : Elle portait trois cornets à bouquin; (1) L'un pour le faux, l'autre pour l'incertain, Et le dernier, que l'on entend à peine, Eft pour le vrai, que la nature humaine Chercha toujours & ne connut jamais. La belle aussi se servait de fifflets. Son écuyer, l'aftrologue de Liége, De fon chapitre obtint le privilége D'accompagner l'errante Déité; Et le Menfonge était à fon côté.

« PreviousContinue »