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DE LA MODERATION EN TOUT,

Dans l'étude, dans l'ambition, dans les plaifirs.

A M. HELVETIUS.

TOUT vouloir eft d'un fou, l'excès est son partage ;
La modération eft le tréfor du fage :

Il fait régler fes goûts, fes travaux, ses plaisirs,
Mettre un but à fa course, un terme à fes défirs.
Nul ne peut avoir tout. L'amour de la fcience
A guidé ta jeuneffe au fortir de l'enfance;
La nature eft ton livre, & tu prétends y voir
Moins ce qu'on a pensé que ce qu'il faut savoir.
La raison te conduit; avance à fa lumière ;
Marche encor quelques pas, mais borne ta carrière;
Au bord de l'infini ton cours doit s'arrêter;

Là commence un abyme, il le faut respecter.

Réaumur, (1) dont la main fi favante & fi sûre
A percé tant de fois la nuit de la nature,
M'apprendra-t-il jamais par quels fubtils refforts
L'éternel Artifan fait végéter les corps?
Pourquoi l'afpic affreux, le tigre, la panthère,
N'ont jamais adouci leur cruel caractère,
Et que reconnaissant la main qui le nourrit,

Le chien meurt en léchant le maître qu'il chérit ?

D'où vient qu'avec cent pieds, qui semblent inutiles,
Cet infecte tremblant traîne fes pas débiles?

Pourquoi ce ver changeant se bâtit un tombeau,
S'enterre, & ressuscite avec un corps nouveau;

Et le front couronné, tout brillant d'étincelles,
S'élance dans les airs en déployant ses ailes?
Le fage du Faï (a) parmi ses plants divers,
Végétaux rassemblés des bouts de l'univers,
Me dira t-il pourquoi la tendre fenfitive
Se flétrit fous nos mains, honteufe & fugitive?
Pour découvrir un peu ce qui fe paffe en moi
Je m'en vais confulter le médecin du roi :
Sans doute il en fait plus que fes doctes confrères.
Je veux favoir de lui par quels fecrets miftères (b)
Ce pain, cet aliment dans mon corps digéré
Se transforme en un lait doucement préparé?
Comment toujours filtré dans fes routes certaines, (2)
En longs ruiffeaux de pourpre il court enfler mes veines,
A mon corps languissant rend un pouvoir nouveau,
Fait palpiter mon cœur, & penfer mon cerveau?
Il lève au ciel les yeux, il s'incline, il s'écrie:
Demandez-le à ce DIEU qui nous donna la vie.
Courriers de la phyfique, (c) Argonautes nouveaux,
Qui franchiffez les monts, qui traversez les eaux,
Ramenez des climats foumis aux trois couronnes
Vos perches, vos fecteurs, & furtout deux Laponnes: (d)
Vous avez confirmé dans ces lieux pleins d'ennui
Ce que Newton connut fans fortir de chez lui.
Vous avez arpenté quelque faible partie
Des flancs toujours glacés de la terre applatie.
Dévoilez ces refforts qui font la pesanteur.
Vous connaiffez les lois qu'établit fon auteur.

· Parlez, enseignez-moi comment fes mains fécondes Font tourner tant de cieux, graviter tant de mondes: Pourquoi, vers le foleil notre globe entraîné

Se meut autour de foi fur fon axe incliné ;

Parcourant en douze ans les céleftes demeures,

D'où vient que Jupiter a fon jour de dix heures?
Vous ne le favez point: votre favant compas
Mefure l'univers, & ne le connaît pas.

Je vous vois deffiner, par un art infaillible,
Les dehors d'un palais à l'homme inacceffible;
Les angles, les côtés font marqués par vos traits;
Le dedans à vos yeux eft fermé pour jamais.
Pourquoi donc m'affliger, fi ma débile vue
Ne peut percer la nuit fur mes yeux répandue?
Je n'imiterai point ce malheureux savant,
Qui des feux de l'Etna fcrutateur imprudent,
Marchant fur des monceaux de bitume & de cendre,
Fut confumé du feu qu'il cherchait à comprendre.
Modérons-nous furtout dans notre ambition :
C'eft du cœur des humains la grande paffion. (e)
L'empefé magiftrat, le financier sauvage,
La prude aux yeux dévots, la coquette volage,
Vont en pofte à Versaille effuyer des mépris,
Qu'ils reviennent foudain rendre en pofte à Paris.
Les libres habitans des rives du Permeffe
Ont faifi quelquefois cette amorce traîtresse:
Platon va raisonner à la cour de Denis;
Racine janséniste eft auprès de Louis.
L'auteur voluptueux qui célébra Glycère
Prodigue au fils d'Octave un encens mercenaire.
Moi-même renonçant à mes premiers deffeins, (f)
J'ai vécu, je l'avoue, avec des fouverains.
Mon vaiffeau fit naufrage aux mers de ces Sirènes ;
Leur voix flatta mes fens, ma main porta leurs chaînes ;
On me dit, je vous aime, & je crus comme un fot
Qu'il était quelque idée attachée à ce mot.

J'Y

J'y fus pris. J'affervis au vain défir de plaire
La mâle liberté qui fait mon caractère;
Et perdant la raison dont je devais m'armer,
J'allai m'imaginer qu'un roi pouvait aimer.
Que je fuis revenu de cette erreur grossiere!
A peine de la cour j'entrai dans la carrière
Que mon ame éclairée, ouverte au repentir,
N'eut d'autre ambition que d'en pouvoir fortir.
Raifonneurs beaux efprits, & vous qui croyez l'être,
Voulez-vous vivre heureux ?vivez toujours fans maître. (g)
O vous qui ramenez dans les murs de Paris
Tous les excès honteux des mœurs de Sibaris,
Qui, plongés dans le luxe, énervés de molleffe,
Nourriffez dans votre ame une éternelle ivresse,
Apprenez, infenfés, qui cherchez le plaifir,
Et l'art de le connaître, & celui de jouir.
Les plaifirs font les fleurs que notre divin maître
Dans les ronces du monde autour de nous fait naître.
Chacune a fa faifon, & par des foins prudens
On peut en conferver pour l'hiver de nos ans.
Mais s'il faut les cueillir, c'eft d'une main légère;.
On flétrit aifément leur beauté paffagère.
N'offrez pas à vos fens, de molleffe accablés,
Tous les parfums de Flore à la fois exhalés:

Il ne faut point tout voir, tout fentir, tout entendre.
Quittons les voluptés pour pouvoir les reprendre.
Le travail eft fouvent le père du plaifir.

Je plains l'homme accablé du poids de fon loifir.
Le bonheur eft un bien que nous vend la nature.
Il n'eft point ici-bas de moiffons fans culture:
Tout veut des foins fans doute, & tout eft acheté,
Regardez (h) Brofforet, de fa table entêté,

Poëmes.

C

Au fortir d'un fpectacle, où de tant de merveilles
Le fon perdu pour lui frappe en vain fes oreilles ;
Il fe traîne à fouper, plein d'un secret ennui,
Cherchant en vain la joie, & fatigué de lui. (i)
Son efprit offufqué d'une vapeur groffière

Jette encor quelques traits fans force & fans lumière ;
Parmi les voluptés dont il croit s'enivrer,
Malheureux, il n'a pas le temps de défirer!

Jadis trop careffé des mains de la molleffe,
Le plaifir s'endormit au sein de la paresse;

La langueur l'accabla; plus de chants, plus de vers,
Plus d'amour; & l'ennui détruifait l'univers.
Un Dieu qui prit pitié de la nature humaine,
Mit auprès du plaifir le travail & la peine.
La crainte l'éveilla, l'efpoir guida fes pas;
Ce cortège aujourd'hui l'accompagne ici-bas.

Semez vos entretiens de fleurs toujours nouvelles; Je le dis aux amans, je le répète aux belles.

Damon, tes fens trompeurs, & qui t'ont gouverné,
T'ont promis un bonheur qu'ils ne t'ont point donné
Tucrois, dans les douceurs qu'un tendre amour apprête,
Soutenir de Daphné l'éternel tête-à-tête:

Mais ce bonheur ufé n'eft qu'un dégoût affreux, (k)
Et vous avez besoin de vous quitter tous deux.
Ah, pour vous voir toujours fans jamais vous déplaire,
Il faut un cœur plus noble, une ame moins vulgaire,
Un efprit vrai, fenfé, fécond, ingénieux,
Sans humeur, fans caprice, & furtout vertueux:
Pour les cœurs corrompus l'amitié n'eft point faite.
O divine amitié! félicité parfaite!

Seul mouvement de l'ame, où l'excès foit permis,
Change en bien tous les maux où le ciel m'a foumis.

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