Page images
PDF
EPUB

D'ailleurs, ce poëme n'a d'autre objet que de prêcher la concorde aux deux partis; & ce qui prouve que M. de Voltaire avait raison, c'est que bientôt après, la laffitude des troubles amena une espèce de paix.

L'hiftoire de Robert Covelle est très-vraie. Les prêtres genevois avaient l'insolence d'appeler à leur tribunal les citoyens & citoyennes accufés du crime de fornication, & les obligeaient de recevoir leur sentence à genoux : c'était rendre un service important à la république que de tourner cette extravagance en ridicule. M. Rousseau eft traité dans ce poëme avec trop de dureté, fans doute; mais M. Rouffeau accufait publiquement M. de Voltaire d'être un athée, le dénonçait comme l'auteur d'ouvrages irréligieux auxquels M. de Voltaire n'avait pas mis fon nom, cherchait à attirer la perfécution fur lui, & mettait en même temps à la tête de fes perfécuteurs ce vieillard dont la vie avait été une guerre continuelle contre les fauteurs de la perfécution, & qui, dans ce temps-là même, prenait contre les prêtres le parti de J. J.

M. de Voltaire vivait dans un pays où des lois barbares, établies contre la liberté de penser dans les fiècles d'ignorance, n'étaient pas encore abolies. De telles accufations étaient donc un véritable crime, & elles doivent paraître plus

odieufes encore, lorsque l'on fonge que l'accufateur lui-même avait imprimé des chofes plus hardies que celles qu'il reprochait à fon ennemi ; qu'il donnait pour un modèle de vertu un prêtre qui difait la messe pour de l'argent, fans y croire ; & qu'il avait la fureur de prétendre être un bon chrétien, parce qu'il avait développé en prose sérieufe cette épigramme de JeanBaptifte Rouffeau.

Oui, je voudrais connaître,
Toucher au doigt, fentir la vérité.

Hé bien, courage, allons, reprit le prêtre :
Offrez à DIEU votre incrédulité.

L'humeur qui a pu égarer M. de Voltaire n'eft-elle pas excufable? Il eût dû plaindre M. Rouffeau: mais un homme qui dans fon malheur calomniait, outrageait, dénonçait tous ceux qui fefaient une cause commune avec lui, pouvait auffi exciter l'indignation.

Excepté ces traits contre M. Rouffeau, on ne trouve ici que des plaifanteries. La manière dont milord Abington reffuscite Catherine eft une forte de reproche aux genevois d'aimer trop l'argent ; mais ce reproche, qu'on peut faire aux habitans de toutes les villes purement commerçantes, n'eft-il pas fondé ? Tout homme qui,

ayant le néceffaire, & un patrimoine fuffifant à laiffer à fes enfans, se dévoue à un métier lucratif, peut-il ne pas aimer l'argent? s'occupe-t-on toute fa vie fans néceffité d'une chose qu'on n'aime point? le défintéreffement qu'affecte un homme qui s'eft livré long-temps au foin de s'enrichir ne peut être que de l'hypocrific.

ON a fi mal imprimé quelques chants de ce poëme;

nous en avons vu des morceaux fi défigurés dans différens journaux; on eft fi empreffé de publier toutes les nouveautés dans l'heureuse paix dont nous jouiffons, que nous avons interrompu notre édition de l'histoire des anciens Babyloniens & des Gomérites, pour donner l'histoire véritable des diffentions préfentes de Genève, mife en vers par un jeune franccomtois, qui paraît promettre beaucoup. Ses talens feront encouragés fans doute par tous les gens de lettres, qui ne font jamais jaloux les uns des autres, qui courent tous avec candeur au devant du mérite naiffant, qui n'ont jamais fait la moindre cabale pour faire tomber les pièces nouvelles, jamais écrit la moindre impofture, jamais accufé personne de fentimens erronés fur la grace prévenante, jamais attribué à d'autres leurs obfcurs écrits, & jamais emprunté de l'argent du jeune auteur en question, pour faire imprimer contre lui de petits avertiffemens scandaleux.

Nous recommandons ce poëme à la protection des efprits fins & éclairés, qui abondent dans notre province. Nous ne nous flattons pas que le fieur d'Hémeri (*) & le nommé Bruyfet Ponthus, marchand libraire à Lyon, le laiffent arriver jusqu'à Paris. On imprime aujourd'hui dans les provinces uniquement pour les provinces: Paris eft une ville trop occupée d'objets férieux, pour être feulement informée de la guerre de Genève. L'opéra comique, le finge de Nicolet, les romans nouveaux, les actions des (*) Infpe&eur de police & de la librairie de Paris.

fermes & les actrices de l'opéra fixent l'attention de Paris avec tant d'empire, que perfonne n'y fait, ni fe foucie de favoir ce qui fe paffe au grand Caire, à Conftantinople, à Mofcou & à Genève. Mais nous espérons d'être lus des beaux efprits du pays de Gex, des Savoyards, des petits cantons fuiffes, de M. l'abbé de St Gall, de M. l'évêque d'Annecy & de fon chapitre, des révérends pères carmes de Fribourg, &c. &c. &c. Contenti paucis lectoribus.

Nous avons fuivi la nouvelle orthographe mitigée qui retranche les lettres inutiles, en confervant celles qui marquent l'étymologie des mots. Il nous a paru prodigieufement ridicule d'écrire françois, de ne pas diftinguer les Français de St François d'Affife: de ne pas écrire anglais & écoffais par un a, comme on orthographie portugais. Il nous femble palpable que, quand on prononce j'aimais, je fefais, je plaifais avec un a, comme on prononce je hais, je fais, je plais, il est tout à fait impertinent de ne pas mettre un a à tous ces mots & de ne pas orthographier de même ce qu'on prononce abfolument de même.

S'il y a des imprimeurs qui fuivent encore l'ancienne routine, c'eft qu'ils compofent avec la main plus qu'avec la tête. Pour moi, quand je vois un livre où le mot Français eft imprimé avec un o, j'avertis l'auteur que je jette là le livre, & que je ne le lis point.

J'en dis autant à le Breton, imprimeur de l'almanach royal: je ne lui payerai point l'almanach qu'il m'a vendu cette année. Il a eu la groffièreté de dire que M. le président. . . M. le conseiller... demeure dans

« PreviousContinue »