Page images
PDF
EPUB

Il le croyait donc libre? oui, sans doute, & lui-même Dément à chaque pas fon funeste systême.

Il mentait à fon cœur, en voulant expliquer

Ce dogme abfurde à croire, absurde à pratiquer.

Il reconnaît en lui le fentiment qu'il brave;
Il agit comme libre, & parle comme esclaye.
Sûr de ta liberté, rapporte à fon auteur
Ce don que fa bonté te fit pour ton bonheur.
Commande à ta raifon d'éviter ces querelles,
Des tyrans de l'efprit disputes immortelles. (ƒ)
Ferme en tes fentimens, & fimple dans ton cœur,
Aime la vérité, mais pardonne à l'erreur.
Fuis les emportemens d'un zèle atrabilaire ;
Ce mortel qui s'égare est un homme, est ton frère :
Sois fage pour toi seul, compatissant pour lui;
Fais ton bonheur, enfin, par le bonheur d'autrui.
Ainfi parlait la voix de ce Sage suprême :
Ses difcours m'élevaient au-deffus de moi-même.
J'allais lui demander, indiscret dans mes vœux,
Des fecrets réservés pour les peuples des cieux:
Ce que c'est que l'efprit, l'efpace, la matière,
L'éternité, le temps, le reffort, la lumière;
Etranges questions, qui confondent souvent

Le profond (g) s'Gravelande & le fubtil (h) Mairan,
Et qu'expliquait en vain, dans fes doctes chimères,
L'auteur des tourbillons que l'on ne croit plus guères.
Mais, déjà s'échappant à mon œil enchanté,
Il volait au féjour où luit la vérité.

Il n'était pas vers moi descendu pour m'apprendre
Les fecrets du Très-Haut, que je ne puis comprendre;
Mes yeux d'un plus grand jour auraient été bleffés;
Il m'a dit: Sois heureux; il m'en a dit affez. (i)

[ocr errors]

DU DEUXIEME DISCOURS.

(a) Defcendit jufqu'à moi de la voûte des cieux.

Tel du fein du foleil un torrent de lumière
Part, arrive à l'inftant, & couvre l'hemifphère.

Il avait pris un corps, ainfi que l'un d'entre eux,
Que nos pères ont vu dans des jours ténébreux
Sous les traits de Newton, fous ceux de Galilée,
Apporter la lumière à la terre aveuglée.

Ecoute, me dit-il, &c.

(b) L'abbé Pucelle, célèbre conseiller au parlement. L'abbé Desfontaines; homme souvent repris de justice, qui tenait une boutique ouverte où il vendait des louanges & des fatires.

( e ) On lisait dans les premières éditions : Caton fut fans vertu, Catilina fans vice:

(d) Traduction de ce vers d'Ovide:

Sors tua mortalis, non eft mortale quod optas.

(e) Fameux médecin de Paris.

(f)

Epargne à ta raison ces disputes frivoles,
Ce poifon de l'efprit, né du sein des écoles.

(g) M. s'Gravefande, profeffeur à Leide, le premier qui ait enfeigné en Hollande les découvertes de Newton.

(h) M. Dortous de Mairan, fecrétaire de l'académie des fciences

de Paris.

(i) Et s'il a daigné dire à mes vœux empreffés

Le fecret d'être heureux, il en a dit affez.

(1) L'abbé Pucelle était neveu de M. de Catinat. Sa mère accordait à son frère aîné une préférence que les premières années de la jeunesse du cadet semblaient excufer, & qui cependant était la feule caufe de ces

erreurs, dans un homme qui était né avec un caractère très-ferme & une ame ardente. Elle le désherita; il n'avait encore aucun état, quoiqu'il eût été tonfure dans fon enfance. Son frère vint le trouver quelques jours après, lui remit la fortune dont sa mère l'avait privé, & lui annonça en même temps qu'il avait acheté pour lui une charge de confeiller-clerc au parlement de Paris, & obtenu fa nomination a une abbaye, en ajoutant qu'il ne lui demandait d'autres preuves de reconnaissance que d'oublier l'injustice de sa mère. Le frère de l'abbe Pucelle mourut, peu de temps après, premier president du parlement de Grenoble.

Le conseiller au parlement de Paris se fit une grande réputation par fon integrité, par le courage avec lequel il défendit la liberte des citoyens contre les pretentions de la cour de Rome & du clergé. Comme le jansenisme était alors le prétexte de fes entreprises, les Parifiens le prirent pour un janseniste; mais fa veritable religion était l'amour des lois & la haine de la tyrannie facerdotale: il n'en eut jamais d'autre.

DE L'ENVI E.

SI l'homme eft créé libre, il doit fe gouverner:

Si l'homme a des tyrans, il les doit détrôner.
On ne le fait que trop; ces tyrans font les vices.
Le plus cruel de tous dans fes fombres caprices,
Le plus lâche à la fois, & le plus acharné ;
Qui plonge au fond du cœur un trait empoisonné,
Ce bourreau de l'efprit, quel eft-il? c'eft l'envie.
L'orgueil lui donna l'être au fein de la folie;
Rien ne peut l'adoucir, rien ne peut l'éclairer:
Quoiqu'enfant de l'orgueil, il craint de se montrer.
Le mérite étranger eft un poids qui l'accable;
Semblable à ce géant fi connu dans la fable,
Trifte ennemi des dieux, par les dieux écrasé,
Lançant en vain les feux dont il eft embrafé;
Il blafphème, il s'agite en fa prison profonde;
Il croit pouvoir donner des fecouffes au monde.
Il fait trembler l'Etna, dont il est oppreffé;
L'Etna fur lui retombe, il en eft terraflé. (a)

J'ai vu des courtisans, ivres de fausse gloire,
Détefter dans Villars l'éclat de la victoire.
Ils haïffaient le bras qui fefait leur appui.
Il combattait pour eux, ils parlaient contre lui.
Ce héros eut raison, quand cherchant les batailles
Il difait à Louis: Je ne crains que Verfailles;
Contre vos ennemis je marche fans effroi:

Défendez-moi des miens; ils font près de mon roi.

Cœurs jaloux! à quels maux êtes vous donc en proie? Vos chagrins font formés de la publique joie.

Convives dégoûtés, l'aliment le plus doux,
Aigri par votre bile, eft un poison pour vous.
O vous qui de l'honneur entrez dans la carrière,
Cette route à vous seul appartient-elle entière?
N'y pouvez-vous fouffrir les pas d'un concurrent?
Voulez-vous reffembler à ces rois d'Orient,
Qui de l'Afie efclave oppreffeurs arbitraires,
Pensent ne bien régner qu'en étranglant leurs frères ?
Lorfqu'aux jeux du théâtre, écueil de tant d'efprits,
Une affiche nouvelle entraîne tout Paris;

Quand Dufrefne (b) & Gauffin, d'une voix attendrie,
Font parler Orosmane, Alzire, Zénobie,

Le spectateur content, qu'un beau trait vient faifir,
Laiffe couler des pleurs, enfans de fon plaifir :
Rufus défespéré, que ce plaifir outrage,

Pleure auffi dans un coin ; mais fes pleurs font de rage.
Hé bien, pauvre affligé, fi ce fragile honneur,
Si ce bonheur d'un autre a déchiré ton cœur,
Mets du moins à profit le chagrin qui t'anime:
Mérite un tel fuccès, compose, efface, lime.
Le public applaudit aux vers du Glorieux;
Eft-ce un affront pour toi? courage, écris, fais mieux;
Mais garde-toi furtout, fi tu crains les critiques,
D'envoyer à Paris tes aïeux chimériques: (c)
Ne fais plus grimacer tes odieux portraits
Sous des crayons groffiers, pillés chez Rabelais.
Tôt ou tard on condamne un rimeur fatirique.
Dont la moderne muse emprunte un air gothique,
Et dans un vers forcé, que furcharge un vieux mot,
Couvre fon peu d'efprit des phrases de Marot. (d)
Ce jargon dans un conte eft encor supportable;
Mais le vrai veut un air, un ton plus respectable.

« PreviousContinue »