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des différentes claffes de la fociété n'eft point de fe féparer, mais de fe rapprocher; qu'elles doivent chercher non à s'opprimer, mais à s'unir, parce qu'aucune clafse ne peut augmenter fon bonheur aux dépens d'une autre, mais feulement en fefant des facrifices au bonheur commun?

Il était naturel que deux hommes, dont l'un croyait que la fociété & les lumières corrompent l'homme, tandis que l'autre voyait dans les progrès des lumières une fource de perfection pour la fociété, & de bonheur pour l'espèce humaine, fuffent presque toujours d'avis contraire; mais qui des deux a été le plus utile aux hommes ? celui fans doute dont l'opinion était la plus conforme à la vérité.

DE LA LIBERT É.

On entend par ce mot liberté le pouvoir de faire ce qu'on veut. Il n'y a, & ne peut y avoir d'autre liberté. C'est pourquoi Locke l'a fi bien définie puiffance.

DANS le cours de nos ans, étroit & court paffage,
Si le bonheur qu'on cherche eft le prix du vrai fage,
Qui pourra me donner ce tréfor précieux ?
Dépend-il de moi-même ? eft-ce un présent des cieux?
Eft-il comme l'efprit, la beauté, la naiffance,
Partage indépendant de l'humaine prudence?
Suis-je libre en effet? ou mon ame & mon corps
Sont-ils d'un autre agent les aveugles refforts?
Enfin, ma volonté, qui me meut, qui m'entraîne,
Dans le palais de l'ame eft-elle esclave ou reine?
Obscurément plongé dans ce doute cruel,

Mes yeux, chargés de pleurs, fe tournaient vers le ciel,
Lorsqu'un de ces efprits, que le fouverain Etre
Plaça près de fon trône, & fit pour le connaître,
Qui respirent dans lui, qui brûlent de fes feux,
Defcendit jufqu'à moi de la voûte des cieux; (a)
Car on voit quelquefois ces fils de la lumière
Eclairer d'un mondain l'ame fimple & groffière,
Et fuir obftinément tout docteur orgueilleux,
Qui dans fa chaire affis pense être au-dessus d'eux,
Et le cerveau troublé des vapeurs d'un fyftême,
Prend ces brouillards épais pour le jour du ciel même.
Ecoute, me dit-il, prompt à me confoler,

Ce que tu peux entendre, & qu'on peut révéler.

J'ai

J'ai pitié de ton trouble; & ton ame fincère,
Puifqu'elle fait douter, mérite qu'on l'éclaire.
Oui, l'homme fur la terre eft libre ainsi que moi ;
C'est le plus beau présent de notre commun roi.
La liberté, qu'il donne à tout être qui pense,
Fait des moindres efprits & la vie & l'effence.
Qui conçoit, veut, agit, eft libre en agissant;
C'eft l'attribut divin de l'Etre tout-puiffant.
Il en fait un partage à fes enfans qu'il aime.
Nous fommes fes enfans, des ombres de lui-même.
Il connut, il voulut, & l'univers naquit ;

Ainfi, lorfque tu veux, la matière obéit.
Souverain fur la terre, & roi par la penfée,
Tu veux, & fous tes mains la nature eft forcée.
Tu commandes aux mers, au fouffle des zéphyrs,
A ta propre penfée, & même à tes défirs.

Ah! fans la liberté, que feraient donc nos ames?
Mobiles agités par d'invisibles flammes,

Nos vœux, nos actions, nos plaifirs, nos dégoûts,
De notre être, en un mot, rien ne ferait à nous.
D'un artisan fuprême impuiffantes machines,
Automates penfans, mûs par des mains divines,
Nous ferions à jamais de menfonge occupés,
Vils inftrumens d'un Dieu qui nous aurait trompés.
Comment, fans liberté, ferions-nous fes images?
Que lui reviendrait-il de fes brutes ouvrages?
On ne peut donc lui plaire, on ne peut l'offenser ;
Il n'a rien à punir, rien à récompenser.

Dans les cieux, fur la terre, il n'eft plus de justice.
(b) Pucelle eft fans vertu, (1) Desfontaines fans vice. (e)
Le deftin nous entraîne à nos affreux penchans;
Et ce chaos du monde eft fait pour les méchans.

Poëmes.

B

L'oppreffeur infolent, l'ufurpateur avare,
Cartouche, Miriweis, ou tel autre barbare,
Plus coupable enfin qu'eux, le calomniateur
Dira: Je n'ai rien fait, Dieu feul en eft l'auteur;
Ce n'eft pas moi, c'eft lui qui manque à ma parole,
Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole.
C'eft ainfi que le Dieu de juftice & de paix
Serait l'auteur du trouble, & le Dieu des forfaits.
Les triftes partifans de ce dogme effroyable
Diraient-ils rien de plus s'ils adoraient le diable?

J'étais, à ce difcours, tel qu'un homme enivré,
Qui s'éveille en furfaut, d'un grand jour éclairé,
Et dont la clignotante & débile paupière
Lui laisse encore à peine entrevoir la lumière.
J'ofai répondre enfin d'une timide voix :

Interprète facré des éternelles lois,

Pourquoi, fi l'homme eft libre, a-t-il tant de faibleffe?
Que lui fert le flambeau de sa vaine sagesse?

Il le fuit, il s'égare; & toujours combattu,
Il embraffe le crime en aimant la vertu.
Pourquoi ce roi du monde, & fi libre, & fi fage,
Subit-il fi fouvent un fi dur esclavage?

L'efprit confolateur à ces mots répondit;
Quelle douleur injuste accable ton esprit?
La liberté, dis-tu, t'eft quelquefois ravie:
Dieu te la devait-il immuable, infinie,

Egale en tout état, en tout temps, en tout lieu ?
Tes deftins font d'un homme,&tes vœux font d'unDieu. (d)
Quoi! dans cet océan cet atome qui nage
Dira: L'immenfité doit être mon partage.
Non, tout en faible en toi, changeant & limité ;

Ta force, ton efprit, tes talens, ta beauté.

La nature, en tout fens, a des bornes prescrites,
Et le pouvoir humain ferait seul fans limites!
Mais, dis-moi, quand ton cœur, formé de paffions,
Se rend malgré lui-même à leurs impreffions,
Qu'il fent dans fes combats fa liberté vaincue,
Tu l'avais donc en toi, puifque tu l'as perdue?
Une fièvre brûlante, attaquant tes refforts,
Vient à pas inégaux miner ton faible corps.
Mais, quoi! par ce danger répandu sur ta vie,
Ta fanté pour jamais n'est point anéantie :
On te voit revenir des portes de la mort,

Plus ferme, plus content, plus tempérant, plus fort.
Connais mieux l'heureux don que ton chagrin réclame:
La liberté dans l'homme eft la fanté de l'ame.
On la perd quelquefois; la foif de la grandeur,
La colère, l'orgueil, un amour fuborneur,
D'un défir curieux les trompeuses faillies:
Hélas! combien le cœur a-t-il de maladies?
Mais contre leurs affauts tu feras raffermi;
Prends ce livre fenfé, confulte cet ami.

(Un ami, don du ciel, eft le vrai bien du sage.)
Voilà l'Helvétius, le Silva, le Vernage, (e)
Que le Dieu des humains, prompt à les fecourir,
Daigne leur envoyer fur le point de périr.
Eft-il un feul mortel de qui l'ame insensée,
Quand il eft en péril, ait une autre pensée?
Vois de la liberté cet ennemi mutin,
Aveugle partisan d'un aveugle deftin.

Entends comme il confulte, approuve ou délibère;
Entends de quel reproche il couvre un adversaire;
Vois comment d'un rival il cherche à se venger,
Comme il punit fon fils, & le veut corriger.

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