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Le prince, de son côté, signa qu'il renonçait à la succession. Je reconnais, dit-il, cette exclusion pour juste; je l'ai méritée par mon indiquité; et je jure au Dieu toutpaissant en Trinité de me soumettre en tout à la volonté paternelle, etc.

Ces actes étant signés, le czar marcha à la cathédrale; on les y lut une seconde fois, et tous les ecclésiastiques mirent leurs approbations et leurs signatures au bas d'une autre copie. Jamais prince ne fut déshérité d'une manière si authentique. Il y a beaucoup d'états où un tel acte ne serait d'aucune valeur; mais en Russie, comme chez les anciens Romains, tout père avait le droit de priver son fils de sa succession; et ce droit était plus fort dans un souverain que dans un sujet, et surtout dans un souverain tel que Pierre. Cependant il était à craindre qu'un jour ceux-mêmes qui avaient animé le prince contre son père, et conseillé son évasion, ne tâchassent d'anéantir une renonciation imposée par la force, et de rendre au fils aîné la couronne transferée au cadet d'un second lit. On prévoyait, en ce cas, une guerre civile, et la destruction inévitable de tout ce que Pierre avait fait de grand et d'utile. Il fallait décider entre les intérêts de près de dix-huit millions d'hommes que contenait alors la Russie, et un seul homme qui n'était pas capable de les gouverner. Il était donc important de connaltre les malintentionnés ; et le czar menaça encore une fois son fils de mort, s'il lui cachait quelque chose. En conséquence le prince fut donc interroge juridiquement par son père, et ensuite par des commissaires.

Une des charges qui servirent à sa condamnation, fut une lettre d'un résident de l'empereur, nomme Beyer; écrite de Pétersbourg après l'évasion du prince; cette lettre portait qu'il y avait de la mutinerie dans l'armée russe assemblée dans le Mecklenbourg: que plusieurs officiers parlaient d'envoyer la nouvelle czarine Catherine et son fils dans la prison où était la czɔrine répudiée, et de mettre Alexis sur le trône, quand on l'aurait retrouvé. Il y avait en effet alors une sédition dans cette armée du czar, mais elle fut bientôt réprimée. Ces propos vaques n'eurent aucune suite. Alexis ne pouvait les avoir encouragés; un étranger en parlait comme d'une nouvelle : la lettre n'était point adressée au prince Alexis, et il n'en avait qu'une copie qu'on lui avait envoyée de Vienne.

Une accusation plus grave fut une minute de sa propre main d'une lettre écrite de Vienne aux sénateurs et aux archevêques de Russie; les termes en étaient forts: Les mauvais traitements continuels que j'ai essuyés sans les avoir mérités m'ont obligé de fuir peu s'en est fallu qu'on ne m'ait mis dans un couvent. Ceux qui ont enfermé ma mère ont voulu me traiter de même. Je suis sous la protection d'un grand prince; je vous prie de ne me point abandonner à présent. Ce mot d'à présent, qui pouvait être regardé comme séditieux, était rayé, et ensuite remis de sa main, et puis rayé encore; ce qui marquait un jeune homme troublé, se livrant à son ressentiment, et s'en repentant au moment même. On ne trouva que la minute de ces lettres; elles n'étaient jamais parvenues à leur destination, et la cour de Vienne les retint, preuve assez forte que cette cour ne voulait pas se hrouiller avec celle de Russie, et soutenir à main armée le fils contre le père.

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On confronta plusieurs témoins au prince; l'un d'eux, nommé Afanassief, soutint qu'il lui avait entendu dire autrefois Je dirai quelque chose aux évêques, qui le rediront aux curés, les cures aux paroissiens, et on me fera réguer, fút-ce malgré moi..

Sa propre maitresse, Afrosine, déposa contre lui. Tontes les accusations n'étaient pas bien précises; nul projet digéré, nulle intrigue suivie, nulle conspiration, aucune association, encore moins de préparatifs. C'était un fils de famille mécontent et dépravé, qui se plaignait de son père, qui le fuyait, et qui espérait sa mort; mais ce fils de famille était l'héritier de la plus vaste monarchie de notre hémisphère, et dans sa situation et dans sa place, il n'y avait point de petite faute.

Accusé par sa maîtresse, il le fut encore au sujet de l'ancienne czarine sa mère et de Marie sa sœur. On le chargea d'avoir consulté sa mère sur son évasion, et d'en avoir parlé à la princesse Marie. Un évêque de Roston, confident de tous trois, fut arrêté, et déposa que ces deux princesses, prisonnières dans un couvent, avaient espéré un changement qui les mettrait en liberté, et avaient, par leurs conseils, engagé le prince à la fuite. Plus leurs ressentiments étaient naturels, plus ils étaient dangereux. On verra, à la fin de ce chapitre, quel était cet évêque, et quelle avait été sa conduite.

Alexis nia d'abord plusieurs faits de cette nature, et par cela même il s'exposait à la mort dont son père l'avait menace, en cas qu'il ne fit pas un avcu général et sincère.

Enfin il avoua quelques discours peu respectueus qu'on lui imputait contre sou père, et il s'excusa sur la colère et sur l'ivresse.

Le czar dressa lui-même de nouveaux articles d'interro

gatoire. Le quatrième était ainsi conçu :

Quand vous avez vu, par la lettre de Beyer, qu'il y avait une révolte à l'armée de Mecklenbourg, vous en avez eu de la joie je crois que vous aviez quelque vue, et que * vous vous seriez déclaré pour les rebelles, mème de mon . vivant..

C'était interroger le prince sur le fond de ses sentiments secrets. On peut les avouer à un père dont les conseils les corrigent, et les cacher à un juge qui ne prononce que sur les faits avérés. Les sentiments cachés du cœur ne sont pas l'objet d'un procès criminel. Alexis pouvait les nier, les déguiser aisément; il n'était pas obligé d'ouvrir son ame; cependant il répondit par écrit: Si les rebelles m'avaient appelé de votre vivant, j'y serais apparemment allé, supposé qu'ils eussent été assez forts.

Il est inconcevable qu'il ait fait cette réponse de luimême; et il serait aussi extraordinaire, du moins suivant les mœurs de l'Europe, qu'on l'eût condamné sur l'aven d'une idée qu'il aurait pu avoir un jour dans un cas qui n'est point arrivé.

A cet étrange aveu de ses plus secrètes pensées, qui se s'étaient point échappées au-delà du fond de son ame, ou joignit des preuves qui, en plus d'un pays, ne sont pas admises au tribunal de la justice humaine.

Le prince, accablé, hors de ses sens, recherchant dans luimême, avec l'ingénuité de la crainte, tout ce qui pourail servir à le perdre, avoua enfin que, dans la confession, il s'était accusé devant Dieu, à l'archiprètre Jacques, d'arou souhaité la mort de son père, et que le confesseur Jacque lui avait répondu : - Dieu vous le pardonnera; nous lui es souhaitons autant,

croit

Toutes les preuves qui peuvent se tirer de la confession sont inadmissibles par les canons de notre Eglise; ce son des secrets entre Dieu et le pénitent. L'Eglise grecque n pas, non plus que la latine, que cette correspondano intime et sacrée entre un pécheur et la Divinité soit di ressort de la justice humaine; mais il s'agissait de l'état e d'un souverain. Le prètre Jacques fut appliqué à la ques tion, et avoua ce que le prince avait révélé. C'était un chose rare dans ce procès, de voir le confesseur accusé pa son pénitent, et le pénitent par sa maîtresse. On peut en core ajouter à la singularité de cetto aventure, que l'arche vèque de Rézan ayant été impliqué dans les accusations ayant autrefois, dans les premiers éclats des ressentiment du czar contre son fils, prononcé un sermon trop favorabi au jeune czarovitz, ce prince avoua dans ses interrogatoire qu'il comptait sur ce prélat; et ce méme archevêque d Rézan fut à la tête des juges ecclésiastiques consultés pa le czar sur ce procès criminel, comme nous l'allons voi bientot.

Il y a une remarque essentielle à faire dans cet étrang procès, très mal digéré dans la grossière Histoire de Piern premier, par le prétendu boïard Nestesuranoy; et cette re marque la voici:

Dans les réponses que fit Alexis au premier interrogatoir de son père, il avoue que quand il fut à Vienne, où il ni vit point l'empereur, il s'adressa au comte de Schonborn, chambellan; que ce chambellan lui dit: L'empereur n « vous abandonnera pas; et quand il on sera temps, après la mort de votre père, il vous aidera à monter sur le treat à main armée. Je lui répondis, ajoute l'accusé, je ne demande pas cela; que l'empereur m'accorde sa protection, je n'en veux pas davantage. Cette déposition est simple naturelle, porte un grand caractère de vérité : car c'eût été le comble de la folie de demander des troupes à l'empe reur pour aller tenter de détrôner son père; et personne n'eût osé faire, ni au prince Eugene, ní au conseil, ní à l'empereur, une proposition si absurde. Cette déposition est du mois de février; et quatre mois après, au 1 juillet, dans le cours et sur la fin de ces procédures, on fait dire au czarovitz, dans ses dernières réponses par écrit :

Ne voulant imiter mon père en rien, je cherchais à par venir à la succession de quelque autre manière que ce fût, excepte de la bonne façon. Je la voulais avoir par une assistance étrangère; et si j'y étais parvenu, et que pereur eût mis en exécution ce qu'il m'avait promis, de me procurer la couronne de Russie, même à main armée.

l'em

jezaurais rien épargné pour me mettre en possession de ression. Par exemple, si l'empereur avait demandé, en change, des troupes de mon pays pour son service, neue qui que ce fût de ses ennemis, ou de grosses somd'argent, j'aurais fait tout ce qu'il aurait voulu, et caras donné de grands présents à ses ministres et à ses everaux. J'aurais entretenu à mes dépens les troupes , **as aires qu'il m'aurait données pour me mettre en posec de la couronne de Russie; et, en un mot, rien ne tait couté pour accomplir en cela ma volonté. Cene derniere deposition du prince parait bien forcée; alie qu'il fasse des efforts pour se faire croire coupabe: ce qu'il dit est mème contraire à la vérité dans un mi capital. Il dit que l'empereur lui avait promis de lui procurer la couronne à main armee: cela était faux. Le ate de Sekouborn lui avait fait espérer qu'on jour, apres la mort du trar, l'empereur l'ailerait à soutenir le droit de Bamance, mais l'empereur ne lui avait rien promis. Enfin sau pas de se révolter contre son père, mais de creder sprès sa mort.

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ble; ainsi tout se passa avec la plus grande authenticité, et Pierre mit dans toutes ses démarches une publicité qui montrait la persua-ion intime de sa justice.

Ce proces criminel de l'héritier d'un si grand empire dura depuis la fin de février jusqu'au 5 juillet, n. st. Le prince fut interrogé plusieurs fois; il fit les aveux qu'on exigeait : nous avons rapporté ceux qui sont essentiels.

Le 1 juillet le clergé donna son sentiment par écrit. Le czar en effet ne lui demand it que son sentiment, et Don pas une sentence. Le début mérite l'attention de l'Europe.

- Cette affaire, disent les évêques et les archimandrites, n'est point du tout du ressort de la juridiction ecclésiasti que, et le pouvoir absolu établi dans l'empire de Russie n'est point soumis au jugement des sujets; mais le souversin y a l'autorité d'agir suivant son bon plaisir, sans • qu'aucun intérieur y intervienne.

Après ce préambule on cite le Levitique, où il est dit que celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort; et l'Evangile de saint Matthieu qui rapporte cette loi sévère du Levitique. On finit, après plusieurs autres citatious, par ces paroles très remarquables:

1 dit dare dernier interrogatoire, ce qu'il crut qu'il a disputer son héritage; héritage adar ara't potat juridiquement renoncé avant son secure a Venge et a Naples. Le voila done qui dépose une Runde fos, non pas ce qu'il a fait, et ce qui peut dire! ms a la rigueur des lois, mais ce qu'il imagine qu'il et pulaire un jur, et qui, par conséquent, ne semble soumis a ascua tri asal; le voilà qui s'accuse di ux fois des pensées secretes qu'u a pă concevoir pour l'avenir. On n'avait jam's fa auparavant, dans le monde entier, un seul homme - ervadam se sur les idées inutiles qui lui sont venues qara l'esprit, ei qu'il n'a common quées à personne. Ilaient l'aller combattre : Epargnez mon fils Absalon : le ramcan t chonal en Europe où l'on écoute un homme fot be use d'une pensée criminelle, et l'on prétend meme Deu ne les prinit que quand elles sont accompagnées se late determince,

Si sa majesté eut punir celui qui est tombé, selon ses actions et suivent la mesure de ses crimes, il a devant lui des exemples de l'ancien Testament; il veut faire sa miséricorde, il a l'exemple de Jésus-Christ même, qui reçoit le fils égare revenant a la repentance; qui laisse libre la femme surprise en adultère, laquelle a mérité la lapidation selon la loi, qui préfère la miséricorde au sentice: il a l'exemple de David, qui veut épargner Absalon son fils et son persécuteur; car il dit à 8-8 capitaines qui vou

Os peat rep adre à ces considérations si naturelles (Alexs avast, mis son père en droit de la punir, par sa race sur plusieurs complices de son évasion; sa grace lacée a un avra général, et il ne le fit que quand il reat plas temps. Entin, après un tel éclat, il ne para sait dissa nature humaine, qu'il fût possible qu'Alexis your au frere en faveur duquel il était déset il vaan mieux, disait-on, punir un coupable que spiser tout i empire. La rigueur de la justice s'accordait

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a raison d'etal.

Time faut pas juger des mœurs et des lois d'une nation seles les autres; le czar avait le droit fatal, mais réel, de micet son fils pour sa seule évasion. il s'en ex20 stasi dans sa déclaration aux juges et aux évèques. •The ar, selon toutes les lois divines et humaines, et tut sareant celles de Russie, qui excluent toute jurientrega père et un enfant parmi les particuliers,

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as avons as puvoir assez abondant et absolu de juger

père le voulut épargner lui-meme, mais la justice divine ne l'épargna point.

Le cœur du czar est entre les mains de Dieu; qu'il choi - sisse le parti auquel la main de Dieu le tournera. »

Ge sentiment fut sigué par huit évêques, quatre archimandrites, et deux professeurs; et, comme nous l'avons déja dit, le métropolite de Rezan, avec qui le prince avait été en intelligence, signa le premier.

Cet avis du clergé fut incontinent présenté au czar. On voit aisément q le clergé voulait le porter à la clémence, et rien n'est plus beau peut-être que cette opposition de la douceur de Jésus-Christ à la rigueur de la loi judaique, mise sous les yeux d'un père qui fesait le procès à son fils.

Le jour même on interrogea encore Alexis pour la dernière fois; et il mit par écrit son dernier aveu: C'est dans cette confession qu'il s'accuse d'avoir été bigot dans sa jeunesse, d'avoir fréquenté les prètres et les moines, d'avoir bu avec eux, d'avoir reçu d'eux les impressions qui lui donnèrent de l'horreur pour les devons de son état, et même pour la personne de son père.

S'il fit cet aveu de son propre mouvement, cela prouve * ire is suivant ses crimes selon notre volonté, sans en qu'il ignorait le conseil de clémence que venait de donner • der avis à persoane; cependant, comme on n'est ce même clergé qu'il accusait; et cela prouve encore davan**tus claroyant dans ses propres affaires que danstige combien le czar avait change les mœurs des prètes de fire des autres, et comme les médecius, même les plus son pays, qui de la grossièreté et de l'ignorance étaient par*raperis, ne risquent point de se traiter eux-mêmes, et qu'ils venus en si peu de temps à pouvoir rédiger un écrit dont 1*** appellent d'autres dans leurs maladies; craignant de les plus illustres pères de l'Eglise n'auraient désavoué ni ma conscience de quelque pèché, je vous expose la sagesse ni l'éloquence. élai et je vous demande du remède: car j'appréhende C'est dans ces dern.ers aveux qu'Alexis déclare ce qu'on * a moci eurnelle, si, ne connaissant peut-être point la a déja rapporté, qu'il voulait arriver à la succession, de *qualito de mon mal, je voulais m'en guérir seul, vu prin- quelque manière que ce fût, excepté de la bonne. palement que juré sur les jugements de Dieu, et Il semblait, par cette dernière confession, qu'il craignit a procis par écrit le pardon de mon fils, et je l'ai de ne s'être pas assez chargé, assez rendu criminel dans les * ́astite coutume de bouche, au cas qu'il me dit la vé-premières, et qu'en se donnant à lui-même les noms de

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-Qusque mon fils ait violé sa promesse, toutefois, pour be terrier en rien de mes obligations, je vous prie de *poser a enige aliame, et de l'examiner avec la plus grande attention pour voir ce qu'il a mérité. Ne me flattez * 100; o'apprebendez pas que, s'il ne mérite qu'une lerere punc, et que vous le jugiez ainsi, cela me soit *agreble, car je vous jure, par le grand Dieu et par * gebeats, que vous n'avez absolument rien à en 'T. tire.

Nayez point d'inquiétude sur ce que vous devez juger *inb's de votre souverain: mais, sans avoir égard à la pertone, rendez justice et ne perdez pas votre ame et la wease, eatin, que notre conscience ne nous reproche Then an jar terrible du jugement, et que notre pairie ne * point lésée. »

Le czar at au clergé une déclaration à-peu-près sembla

mauvais caractère, de méchant esprit, ea imaginant ce qu'il aurait fait s'il avait été le maître, il cherchait avec un soin pénible à justifier l'arrét de mort qu'on allait prononcer contre lui. En effet, cet arret fat porté le 5 juillet. Il se trouvera dans toute son étendue à la ha de cette histoire. On se contentera d'observer ici qu'il commence, comme l'avis du clergé, par déclarer qu'un tel jugement n'a jamais appartenu à des sujets, mais au seul souverain dont le pouvoir ne dépend que de Dieu seul. Ensuite, après avoir exposé toutes les charges contre le prince, les juges s'expriment ainsi : Que penser de son dessein de rébellion, tel qu'il n'y en eut jainais de semblable dans le monde, joint à celui d'un horrible double parricide contre son souverain, comme père de la patrie, et père selon la nature?. Peut-être ces mots furent mal traduits d'après le procès criminel imprimé par ordre du czar; car assurément il y a de plus grandes rébellions dans le monde, et on ne voit

point par les actes que jamais le czarovitz eût conçu le des sein de tuer son père. Peut-être entendait-on par ce mot de parricide l'aveu que ce prince venait de faire, de s'être confessé un jour d'avoir souhaité la mort à son père et à son souverain: mais l'aven secret, dans la confession, d'une pensée secrète, n'est pas un double parricide.

quiescé lui-même, et qui, le rendant mort civilement, le mettrait pour jamais hors d'état de réclamer la couronne. Cependant, après la mort de Pierre, si un parti puissant se fut élevé en faveur d'Alexis, cette mort civile l'aurait-elle empêché de reguer!

L'arrêt fut prononcé au prince. Les mêmes mémoires m'apprenuent qu'il tomba en convulsion à ces mots: Les lois divines et ecclésiastiques, civiles et militaires, condamnent

Quoi qu'il en soit, il fut jugé à mort unanimement, sans que l'arrêt prononcât le genre du supplice. De cent quaTante-quatre juges, il n'y en eut pas un seul qui imaginata mort, sans miséricorde, ceux dont les attentats contre seulement une peine moindre que la mort. Un écrit anglais, qui fit beaucoup de bruit dans ce temps-là, porte que si un tel procès avait été jugé au parlement d'Angleterre, il ne se serait pas trouve parmi cent quarante-quatre juges un seul qui eût prononcé la plus légère peine.

Rien ne fait nieux connaitre la différence des temps et des lieux. Manlius aurait pu être condamné lui-même à mort par les lois d'Angleterre pour avoir fait périr son fils, et il fut respecté par les Romains sévères. Les lois ne punissent point en Angleterre l'évasion d'un prince de Galles, qui, comme pair du royaume, est maitre d'aller où il veut. Les lois de la Russie ne permettent pas au bls du souverain de sortir du royaume malgré son père. Une pensée criminelle saus aucun effet ne peut être punie ni en Angleterre, ni en France; elle peut l'être en Russie. Une désobéissance longue, formelle et réitérée, n'est parmi nous qu'une mauvaise conduite qu'il faut réprimer; mais c'était un crime capital dans l'héritier d'un vaste empire, dont cette désobéissance même eût produit la ruine. Enfin, le czarovitz était coupable envers toute la nation de vouloir la replonger dans les ténèbres dont son père l'avait tirée. Tel était le pouvoir reconnu du czar, qu'il pouvait faire mourir sou fils coupable de désobéissance, sans consulcer personne; cependant il s'en remit au jugement de tous ceux qui représentaient la nation ainsi ce fut la nation elle-même qui condamna ce prince; et Pierre eut tant de confiance dans l'équité de sa conduite, qu'en fesant imprimer et traduire le procès, il se soumit lui-même au jugement de tous les peuples de la terre.

La loi de l'histoire ne nous a permis de rien déguiser, ni de rien affaiblir dans le récit de cette tragique aventure. On ne savait dans l'Europe qui on devait plaindre davantage, ou un jeune prince accusé par son père, et condamné à la mort par ceux qui devaient être un jour ses sujets, ou un père qui se croyait obligé de sacrifier son propre fils au salut de son empire.

On publia dans plusieurs livres que le czar avait fait venir d'Espagne le procès de don Carlos, condamné à mort par Philippe 11; mais il est faux qu'on eût jamais fait le procès à dou Carlos. La conduite de Pierre le fut entièrement différente de celle de Philippe. L'Espagnol ne fit jamais connaitre ni pour quelle raison il avait fait arrêter son fils, ni comment ce prince était mort. Il écrivit à ce sujet au pape et à l'impératrice des lettres absolument contradictoires. Le prince d'Orange, Guillaume, accusa publiquement Philippe d'avoir sacrifié son fils et sa femme à sa jalousie, et d'avoir moins été un juge sévère qu'un mari jaloux et cruel, un père dénaturé et parricide. Philippe se laissa accuser, et garda le silence. Pierre, au contraire, ne fit rien qu'au grand jour, publia hautement qu'il préférait sa nation à son propre fils, s'en remit au jugement du clergé et des grands, et rendit le monde entier juge des uns et des autres, et de lui-même.

Ce qu'il y eut encorejd'extraordinaire dans cette fatalité, c'est que la czarine Catherine, haie du czarovitz, et menacée ouvertement du sort le plus triste si jamais ce prince régnait, ne contribua pourtant en rien à son malheur, et ne fut ni accusée, ni méme soupçonnée par aucun ministre étranger résident à cette cour, d'avoir fait la plus legere démarche contre un beau-fils dont elle avait tout à craindre, Il est vrai qu'on ne dit point qu'elle ait demandé grace pour lui: mais tous les mémoires de ce temps-la, surtout ceux du comte de Bassevitz, assurent unanimement qu'elle plaignit son infortune.

J'ai en main les mémoires d'un ministre public, où je trouve ces propres mots. J'étais présent quand le czar dit au duc de Holstein que Catherine l'avait prié d'empêcher qu'on ne prononcât au czarovitz sa condamnation. Contentez-vous, me dit-elle, de lui faire prendre le froe, parceque cet opprobre d'un arrêt de mort signifié rejaillira sur votre petit-fils.

Le czar ne se rendit point aux prières de sa femme; il crut qu'il était important que la sentence fût prononcée publiquement au prince, ahn qu'après cet acte solennel il ne pût jamais revenir contre un arrêt auquel il avait ac

leur père et leur souverain soat manisfestes. Ses convulsions se tournerent, dit-on, en apoplexie; on eat peine à le faire revenir. Il reprit un peu ses sens, et, dans cet intervalle de vie et de mort, il hit prier son père de venir le voir. Le czar vint; les larmes coulèrent des yeux du père et du fils infortuné; le condamné demanda pardon, le père pardonna publiquement. L'extrême onction fat administrée solennellement au malade agonisant. Il mourut en présence de toute la cour, le lendemain de cet arrêt funeste. Son corps fut porté d'abord a la cathédrale, et deposé daus an cercueil ouvert. Il y resta quatre jours exposé à tous les regards, et enfin il fut inhuiné dans l'église de la citadelle, à côté de son épouse. Le czar et la czarine assistérent à la

cérémonie.

On est indispensablement obligé ici d'imiter, si on ose le dire, la conduite du czar, c'est-à-dire de soumettre au jugement du public tous les faits qu'on vient de raconter avec la fidelite la plus scrupuleuse, et non seulement ces faits, mais les bruits qui coururent, et ce qui fut imprimé sur ce triste sujet par les auteurs les plus accrédités. Lamberti, le plus impartial de tous, et le plus exact, qui s'est borné à rapporter les pièces originales et authentiques coscernant les affaires de l'Europe, semble s'éloigner ici de cette impartialité et de ce discernement qui fait son caractere; il s'exprime en ces termes: La czarine, craignaut toujours pour son fils, n'eut point de relache qu'elle n'eût porté le czar à faire au fils ainé le procès, et à le faire condamner à mort; ce qui est étrange, c'est que le czar, apres lui avoir donne lui-même le knout, qui est une ques tion, lui coupa aussi lui-même la tête. Le corps du cza⚫rovitz fut exposé en public, et la tête tellement adaptée au corps, que l'on ne pouvait pas dis erner qu'elle en avait été séparée. Il arriva, quelque temps après, que le fils de la czarine vint à décéder, à son grand regret et à celui da czar. Ce dernier, qui avait décolle de sa propre main son fils aîné, réfléchissant qu'il n'avait point de successeur, de viat de mauvaise humeur. Il fut informe, dans ce temps-là, que la czarine avait des intrigues secrètes et illégitimes avec le prince Menzikoff. Cela joint aux réflexions que la cratine était la cause qu'il avait sacritié lui-même son his alné, il médita de faire raser la czarine, et de l'enfermer dans un couvent, ainsi qu'il avait fait de sa première femme, qui y était encore. Le czar avait accoutumé de mettre ses pensées journalieres sur des tablettes: il y avait mis sondit dessein sur la czarine. Elle avait gagué des pages qui entraient dans la chambre du czar. Ua de ceuxci qui étaient accoutumés à prendre les tablettes sous la toilette, pour les faire voir à la czarine, prit celles où il y avait le dessein du czar. Dès que cotte princesse l'eat parcouru, elle en fit part à Menzikoff; et, un jour ea deus après, le czar fut pris d'une maladie inconnue et violente qui le fit mourir. Cette maladie fut attribuée au poison, puisqu'on vit manifestement qu'elle était si vio- lente et subite, qu'elle ne pouvait venir que d'une telle source, qu'on dit être assez usitée en Moscovie. »

Ces accusations consignées dans les Mémoires de Lamberti se répandirent dans toute l'Europe. Il reste encore un grand nombre d'imprimés et de manuscrits qui pourraient faire passer ces opinions à la dernière postérité.

Je crois qu'il est de mon devoir de dire ici ce qui est parvenu à ma connaissance. Je certifie d'abord que celui qui dit à Lamberti l'étrange anecdote qu'il rapporte était, à la vérité, né en Russie, mais non d'une famille du pays: qu'il ne résidait point daus cet empire au temps de la ca

strophe du czarovitz; il en était absent depuis plusieurs anuées. Je l'ai connu autrefois: il avait vu Lamberti dans la petite ville de Nyon, où cet écrivain était retiré, et où j'ai été souvent. Ce méme homme m'a avoué qu'il n'avait », parlé à Lamberti que des bruits qui couraient alors.

Qu'on voie, par cet exemple, combien il était plus aisé autrefois à un sent bomme d'en fleirir un autre dans la mémoire des nations, lorsqu'avant l'imprimerie, les his toires manuscrites, conservées dans pen de mains, n'étaient ni exposées au grand jour, ni contredites par les contem** Porains, ni à la portée de la critique universelle, comme

elle sent aujourd'hui. Il suffisait d'une ligne dans Tacite en dans Suétone, et même dans les auteurs des légendes, pour rendre un prince odieux au monde, et pour perpétuer seopprobre de siècle en siècle.

sieurs ecclésiastiques, dit-il, attachés à leur ancienne barbarie, et plus encore à leur autorité, qu'ils perdaient à mesure que la nation s'éclairait, languissaient après le règne d'Alexis, qui leur promettait de les replonger dans cette barbarie si chère. De ce nombre était Dozitbée, évê

Comment se serait-il pu faire que le czar eût tranché de sa main la tête de son fils, à qui on donna l'extrême-one-que de Rostou. Il supposa une révélation de saint DéméSen en présence de toute la cour? était-il sans tète quand in répandit l'huile sur sa tête même ? en quel temps put-on remadre cette tête à son corps? le prince ne fut pas laissédoxie, renfermée dans le couvent de Susdal, et religieuse

a un moment depuis la lecture de son arrêt jusqu'à sa

Cette anecdote, que son père se servit du fer, détruit celle qu'il se servit du poison. Il est vrai qu'il est très rare qu'un jeune homme expire d'une révolution subite causée par la lecture d'un arrêt de mort, et surtout d'an arrêt ause! il s'attendait; mais enfin les médecins avouent que la chose est possible.

Si le czar avait empoisonné son fils, comme tant d'écrirains fast debite, il perdait par-là le fruit de tout ce qu'il avait fait pendant le cours de ce procès fatal pour conainere l'Europe du droit qu'il avait de le punir: tous les motifs de la condannation devenaient suspects, et le czar * condamnuit ui-même s'il eût voulu la mort d'Alexis, il eft fait exécuter l'arrêt; n'en était-il pas le maître absolu? as homme prudent, un monarque sur qui la terre a les yeux, se résout-il à faire empoisouner lachement celui qu'il pest faire périr par le glaive de la justice! Veut-on se noiror dans la postérité par le titre d'empoisonneur et de ricide, quand on peut si aisément ne se donner que celui d'un juge sévère ?

par

Il parait qu'il résulte de tout ce que j'ai rapporté que Pierre fat plus roi que père, qu'il sacrifia son propre fils sax intérêts d'un fondateur et d'un législateur, et à ceux amation, qui retombait dans l'état dont il l'avait tirée, sans cette sévérité malheureuse. Il est évident qu'il n'im

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trius. Ce saint lui était apparu, et l'avait assuré, de la part de Dieu, que Pierre n'avait pas trois mois à vivre; qu'Eu

sous le nom d'Hélène, ainsi que la princesse Marie, sœur du czar, devait monter sur le trône, et régner conjointetement avec son fils Alexis. Eudoxie et Marie eurent la faiblesse de croire cette imposture; elles en furent si persuadées, qu'Hélène quitta, dans son couvent, l'habit de religieuse, repri: le nom d'Eudoxie, se fit traiter de majesté, et fit effacer des prières publiques le nom de sa rivale Catherine; elle ne parut plus que revêtue des anciens habits de cérémonie que portaient les czarines. La trésorière du couvent se déclara contre cette entreprise. Eudoxie répondit hautement: Pierre a puni les strelitz, - qui avaient outrage sa mère; mon fils Alexis punira quiconque aura insulté la sienne. Elle fit renfermer la trésorière dans sa cellule. Un officier, nommé Etienne Glebo, fut introduit dans le couvent. Eudoxie en fit l'ins⚫trument de ses desseins, et l'attacha à elle par ses faveurs. Glebo répand dans la petite ville de Susdal et dans les environs la prediction de Dozithée. Cependant les trois mois s'écoulèrent. Eudoxie reproche à l'évêque que le czar est encore en vie. Les péchés de mon père en sont cause, dit Dozithée; il est en purgatoire, et il m'en a averti. Aus-sitôt Eudoxie fait dire mille messes des morts; Dozithée l'assure qu'elles opèrent. Il vient au bout d'un mois lui dire que son père a déja la téte hors du purgatoire; un • mois après, le défant n'en a plus que jusqu'à la ceinture: enfin il ne tient plus au purgatoire que par les pieds; et quand les pieds seront dégagés, ce qui est le plus difficile, le czar Pierre mourra infailliblement.

La princesse Marie, persuadée par Dozithée, se livra à lui, à condition que le père du prophète sortirait incessamment du purgatoire, et que la prédiction s'accomplirait: et Glebo continua son commerce avec l'ancienne ■ czarine.

peint son fils à une marâtre et à l'enfant male qu'il rait d'elle, puisqu'il le menaça souvent de le déshériter nt que Catherine lui eût donné ce fils, dont l'enfance inme était menacée d'une mort prochaine, et qui mourut effet bientôt après. Si Pierre avait fait un si grand éclat meat pour complaire à sa femme, il eût été faible, sé, et liche; et certes il ne l'était pas. Il prévoyait ce qui arriverait à ses fondations et à sa nation, si l'on suivait its lai ses vaes. Toutes ses entreprises ont été perfec-le nées selon ses predictions; sa nation est devenue céléet respectée dans l'Europe, dont elle était auparavant séparée et si Alexis eût régné, tout aurait été détruit. En13, quand on considère cette catastrophe, les coeurs sensiEdre frémissent, et les sévères approuvent.

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Ce grand et terrible événement est encore si frais dans mmcire des hommes, on en parle si souvent avec étonment, qu'il est absolument nécessaire d'examiner ce es ent dit les auteurs contemporains. Un de ces écrimeliques qui prennent bardiment le titre d'histone parle ainsi dans son livre dédié au comte de Brulb, mer ministre du roi de Pologne, dont le nom peut 1er du poids à ce qu'il avance: Toute la Russie est (*ardée que le czarovitz ne mourut que du poison prépere par la main d'une maratre. Cette accusation est detraite par l'aveu que fit le czar an duc de Holstein que lazarine Catherine lui avait conseillé d'enfermer dans un dere son fils condamné.

A l'égard du poison donné depuis par cette impératrice a Pierre, son époux, ce conte se détruit lui-même par le seal recit de l'aventure du page et des tablettes. Un tomme s'arise-t-il d'écrire sur ses tablettes: Il faut que

me ressouvienne de faire enfermer ma femme! Sontlà de ces détails qu'on puisse oublier, et dont on soit chligé de tenir registre? Si Catherine avait empoisonné son beau-Els et son mari, elle eût fait d'autres crimes: non sexlement on ne lui a jamais reproché aucune cruauté, mais ile ne fut connue que par sa douceur et par son indul

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Il est nécessaire à présent de faire voir ce qui fut la premare cause de la conduite d'Alexis, de son évasion, de sa rt, et de celle des complices qui périrent par la main du a. Ce fat l'abus de la religion, ce furent des prètres des moines; et cette source de tant de malheurs est assez od quée dans quelques avenx d'Alexis que nous avons rapParse, et surtout dans cette expression du czar Pierre, dans te lettre à son fils: Ces longues barbes pourront vous barberà leur fantaisie..

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presque mot à mot comment les Mémoires d'an bassadeur Petersbourg expliquent ces paroles: Plu

a

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Ce fut principalement sur la foi de ces prédictions que czarovitz s'évada, et alla attendre la mort de son père dans les pays étrangers. Tout cela fut bientôt découvert. Dozithée et Glebo furent arrêtés; les lettres de la priocesse Marie à Dozithée, et d'Hélène à Glebo, furent lues en plein sénat. La princesse Marie fut enfermée à Schlusselbourg; l'ancienne czarine transférée dans un autre couveat, où elle fut prisonnière. Dozithée et Glebo, tous les complices de cette vain et superstitieuse intrigue, furent appliqués à la question, ainsi que les confidents de l'évasion d'Alexis. Son confesseur, son gouverneur, son maréchal de cour, moururent tous dans les supplices,

On voit donc à quel prix cher et funeste Pierre-le-Grand acheta le bonheur qu'il procura à ses peuples; combien d'obstacles publics et secrets il eut à surmonter au milieu d'une guerre longue et difficile, des ennemis au-dehors, des rebelles au-dedans, la moitié de sa famille animée contre lui, la plupart des prêtres obstinément déclarés contre ses entreprises, presque toute la nation irritée long-temps contre sa propre felicité, qui ne lui était pas encore sensible; des préjugés à détruire dans les têtes, le mécontentement à calmer dans les cœurs. Il fallait qu'une génération nouvelle, formée par ses soins, embrassat enfin les idées de bonheur et de gloire que n'avaient pu supporter leurs pères.

CHAPITRE XI.

Travaux et établissements vers l'an 1718 et suivants.

Pendant cette horrible catastrophe, il parut bien que Pierre n'était que le père de sa patrie, et qu'il considérait sa nation comme sa famille. Les supplices dont il avait été obligé de punir la partie de sa nation qui voulait empêcher l'autre d'être heureuse étaient des sacrifices faits au public par une nécessité douloureuse.

Ce fut dans cette année 1718. époque de l'exhérédation et de la mort de son fils ainé, qu'il procura le plus d'avantages à ses sujets, par la police générale, auparavant inconnue; par les manufactures et les fabriques en tout genre, ou établies ou perfectionnées; par les branches nouvelles

d'un commerce qui commençait à fleurir; et par ces canaux nes fut établi pour constater si les exploitations donneraient qui joignent les fleuves, les mers, et les peuples, que la na-plus de profit qu'elles ne coûteraient de dépense. ture a séparés. Ce ne sont pas là de ces évènements frappants qui charment le commun des lecteurs, de ces intrigues de cour qui amusent la malignité, de ces grandes révolutions qui intéressent la curiosité ordinaire des hommes; mais ce sont les ressorts véritables de la félicité publique, que les yeux philosophiques aiment à considérer,

Il y eut donc un leutenant-général de la police de tout l'empire établi à Pétersbourg, à la tête d'un tribund qui veillait au maintien de l'ordre, d'un bout de la Russie à l'autre. Le luxe dans les habits, et les jeux de hasard, plus dangereux que le luxe, furent sévèrement défendus. On établit des écoles d'arithmétique, déja ordonnées en 1716, dans toutes les villes de l'empire. Les maisons pour les orphelins et pour les enfants trouvés, déja cominencées, furent achevées, dotées, et remplies.

Pour faire fleurir tant de manufactures, tant d'arts differents, tant d'entreprises, ce n était pas assez de signer des patentes, et de nommer des inspecteurs; il fallait dans res commencements qu'il vit tout par ses yeux, et qu'il travaillát mème de ses mains, comme on l'avait vu auparavant construire des vaisseaux, les appareiller, et les conduire. Quand il s'agissait de cr user des canaux dans des terres fangeuses et presque impraticables, on le voyait quelquefois se mettre à la téte des travailleurs, fouiller la terre et la transporter lui-même.

Il fit cette année 1718 le plan du canal et des écluses de Ladoga. Il s'agissait de faire communiquer la Néva à une autre rivière navigable, pour amener facilement les marchandises à Pétersbourg, sans faire un grand détour le par The Ladoga, trap sujet aux tempêtes et souvent impraticaNous joindrons ici tous les établissements utiles, auparable pour les barques; il nivela lui-même le terrain; on convant projetés, et finis quelques années après. Toutes les serve encore les instruments dont il se servit pour ouvrir la grandes villes furent délivrées de la foule odieuse de ces terre et la voiturer; cet exemple fut suivi de toute sa cour, mendiants qui ne veulent avoir d'autre métier que celui et hata un ouvrage qu'on regardait comme impossible: il a d'importuner ceux qui en ont, et de trainer aux dépens des été achevé après sa mort; car aucune de ses entreprises reautres hommes une vie misérable et honteuse; abus trop connues possibles n'a été abandonnée. souffert dans d'autres états.

Le grand canal de Cronstadt, qu on met aisément à sec, et dans lequel on carène et on radoube les vaisseaux de guerre, fut aussi commencé dans le temps même des pro

Les riches furent obligés de bâtir à Pétersbourg des maisons régulières suivant leur fortune. Ce fut une excellente police de faire venir sans frais tous les matériaux à Péters-cédures contre son fils. bourg par toutes les barques et chariots qui venaient à vide des provinces voisines.

Les poids et les mesures furent fixés et rendus uniformes ainsi que les lois. Cette uniformité tant désirée, mais si inutilement, dans des états dès long-temps policés, fut établie en Russie sans difficulté et sans murmure; et nous pensons que parmi nous cet établissement salutaire serait impraticable. Le prix des denrées nécessaires fut réglé: ces fanaux que Louis XIV établit le premier dans Paris, qui ne sont pas même encore connus à Rome, éclairèrent pendant la nuit la ville de Pétersbourg: les pompes pour les incendies, les barrières dans les rues solidement pavées; tout ce qui regarde la sûreté, la propreté, et le bon ordre, les facilites pour le commerce intérieur, les privileges donnés à des étrangers, et les réglements qui empêchaient l'abus de ces priviléges; tout fit prendre à Pétersbourg et à Moscou une fac: nouvelle.

On perfectionna plus que jamais les fabriques des armes, surtout celle que le czar avait formée à dis milles environ de Pétersbourg: il en était le premier intendant; mille ouvriers y travaillaient souvent sous ses yeux. Il allait donner ses ordres lui-même à tous les entrepreneurs des moulins à grains, à poudre, à scie; aux directeurs des fabriques de corderies et de voiles, des briqueteries, des ardoises, des manufactures de toiles; beaucoup d'ouvriers de toute espèce lui arrivèrent de France: c'était le frait de son

voyage.

Il établit un tribunal de commerce dont les membres étaient mi-partis nationaux et étrangers, afin que la faveur fût ég de pour tous les fabricants et pour tous les artistes. Un Francais forma une manufacture de très belles places à Pétersbourg, avec les secours du prince Menzikoff. Un autre fit travailler à des tapisseries de haute-lisse sur le modéle de lle des Gobelins; et cette manufacture est encore aujourd'hui très encouragée. Un troisième fit réussir les fileries d'or et d'argent, et le czar ordonna qu'il ne serait employé par année dans cette manufacture que quatre mille mares, soit d'argent, soit d'or, afin de n'en point diminuer la masse dans ses états.

Il donna trente mille roubles, c'est-à-dire cent cinquante mille livres de France, avec tous les matériaux et tous les instruments nécessaires à ceux qui entreprirent les manafactures de draperies et des autres étoffes de laine. Cette libéralité utile le mit en état d'habiller ses troupes de draps faits dans son pas: anparavant on tirait ces draps de Berlin et d'autres pays étrangers.

On fit à Moscou d'aussi belles toiles qu'en Hollande; et sa mort il y avait déja à Moscou et à Jaroslan quatorze fabriques de toiles de lin et de chanvre.

On n'aurait certainement pas imaginé autrefois, lorsque la soie était vendue en Europe au poids de l'or, qu'un jour, au-delà du lac Ladoga, sous un climat glacé et dans des maTais inconnus, il s'élèverait une ville opulente et magailique dans laquelle la soie de Perse se manufacturerast aussi bien que dans Ispahan: Pierre l'entreprit et y réussit. Les mines de fer furent exploitées mieux que jamais: on découvrit quelques mines d'or et d'argent, et un conseil des mi

Il batit, cette même année, la ville neuve de Ladoga. Bientôt après il tira ce canal qui joint la mer Caspienne au golfe de Finlande et à l'Océan; d'abord les eaux de deux rivières qu'il fit communiquer reçoivent les barques qui ont remonté le Volga : de ces rivières ou passe par un autre canal dans le lac d'limen; on entre ensuite dans le canal Ladoga, d'où les marchandises peuvent être transportées par la grande mer dans toutes les parties du monde.

Occup de ces travaux qui s'exécutaient sous ses yeux, il portait ses soins jusqu'au Kamtschatka à l'extrémité de l'Orient, et il fit batir deus forts dans ce pays si long-temps: inconnu au reste du monde. Cependant des ingénieurs de son académie de marine, établie en 1715, marchaient déja dans tout l'empire pour lever des cartes exactes, et paur mettre sous les yeux de tous les hommes cette vaste étendue des contrées qu'il avait policées et enrichies.

CHAPITRE XII.

Du commerce.

Le commerce extérieur était presque tombé entièrement avant lui, il le fit renaître. On sait assez que le commerce a changé plusieurs fois son cours dans le monde. La Russie méridionale était avant Tamerlan l'entrepôt de la Grèce et même des Indes; les Génois étaient les principaus facteurs. Le Tanais et le Borysthène étaient chargés des productions de l'Asie. Mais lorsque Tamerlan eut conquis, sur la fin da quatorzième siècle, la Chersonèse taurique, appelée depuis la Crimée, lorsque les Turcs furent maitres d'Azof, cette grande branche du commerce du monde fut anéantie. Pierre avait voulu la faire revivre en se rendant maitre d'Azof. La malheureuse campagne du Pruth lait fit perdre cette ville, et avec elle toutes les vues du commerce par la mer Noire. il restait à s'ouvrir la voie d'un négoce non moins étendu par la mer Caspienne. Déja dans le seizième siècle et au commencement du dix-septième, les Anglais, qui vraient fait naitre le commerce à Archangel, l'avaient tenté sur la mer Caspienne; mais toutes ces épreuves furent inutiles.

Nous avons déja dit que le père de Pierre-le-Graud arsit fait bâtir un vaisseau par un Hollandais, pour aller trali quer d'Astracan sur les côtes de la Perse: le vaisseau fot brûlé par le rebelle Stenke-Rasin. Alors toutes les espérances de négocier en droiture avec les Persans s'évanouirent. Les Arméniens, qui sont les facteurs de cette partie de l'Asie, furent reçus par Pierre-le-Grand dans Astracan: on fut obligé de passer par leurs mains, et de leur laisser tout l'avantage du commerce; c'est ainsi que dans l'Inde on en use avec les Baniaus, et que les Turcs, ainsi que beaucoup d'étate chrétiens, en usent encore avec les Juifs: car ceux qui n'ont qu'one ressource se rendent toujours très savants dans l'art qui leur est nécessaire les autres peuples deviens nent volontairement tributaires d'un savoir-faire qui leat manque.

Pierre avait déja remédié à cet inconvénient, en fesant

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