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La guerre ne se ferait pas comme nous l'avons vu faire du temps de Louis XIV; les armées n'étaient pas si nombreuses aucun général, depuis le siège de Metz par Charles-Quint, ne s'était vu à la tète de cinquante mille hommes on assiégeait et on defendait les places avec moins de canons qu'aujourd'hui. L'art des fortifications était encore dans son enfance. Les piques et les arquebuses étaient en usage: on se serrait beaucoup de l'épée, devenue inutile aujourd'hui. Il restait encore des anciennes lois des nations celle de déclarer la guerre par un heraut. Louis XIII fut le dernier qui observa cette coutume: il envoya un héraut d'armes à Bruxelles déclarer la guerre à l'Espagne en 1635. Vous savez que rien n'était plus commun alors que de voir des prètres commander des armées : le cardinal infant, le cardinal de Savoie, Richelieu, La Valette, Sourdis, archevèque de Bordeaux, le cardinal Théodore Trivulce, commandant de la cavalerie espagnole, avaient endossé la cuirasse et fait la guerre eux-mêmes. Un évêque de Mende avait été souvent intendant d'armées. Les papes menacérent quelquefois d'excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, faché contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu'il le dépouillerait du cardinalat s'il ne quittait les arines; mais, réuni avec la France, il le combla de bénédictions,

Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques, ne fessieat nulle dificulté de servir dans les armées des puissances alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même l'ambassadeur d'Estrades lut colonel à leur service.

La France n'avait en tout qu'environ quatre-vingt mille homines effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétable un peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazario. Louis XIII n'avait qu'environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire; mais l'argent était à vingt-six livres le mare: ces quarante-cinq millions revenaient à environ quatre-vingt-cinq millions de notre temps, où la valeur arbitraire du mare d'argent monuayé est pousser jusqu'à quarante-neuf livres et demie; celle de l'argent fin à cinquante-quatre livres dix-sept sous: valear que l'intérêt public et la justice demaduent qui ne soit jamais changée.

que la nation française était plongée dans l'ignorance, sans
excepter ceux qui croient n'être point peuple.
On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les
mémoires de ce temps-là, à commencer par l'Histoire du
president de Thou, sont remplis de prédictions. Le grave!
et sévère duc de Sully rapporte sérieusement celles qui fu-
rent faites à Henri IV. Cette crédulité, la marque la plus¡
infaillible de l'ignorance, était si accréditée qu'on eut soia
de tenir un astrologue caché près de la chambre de la reine.
Anne d'Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.
Ce que l'on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté
par l'abbé Vittorio Siri, auteur contemporain très instruit,
c'est que Louis XIII eut dès son enfance 1: surnom de Juste,
parcequ'il était né sous le signe de la balance.

La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de l'astrologie judiciaire, fesait croire aux possessions et aux sortilèges: on en fessit un point de religion; l'on ne voyait que des prêtres qui conjuraient des demons. Les tribunaux, composés de magistrats qui devaient être plus éclaires que le vulgaire, étaient occupes à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain Grandier, condamné au feu comme magicien par une commission du conseil. On s'indigne que le ministre et les juges aient eu la faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d'avoir fait périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement jusqu'à la dernière postérité que la maréchale d'Ancre fut brûlée en place de Grève comme sorcière.

On voit encore, dans une copie de quelques registres du Chatelet, un proces commencé en 1610, au sujet d'un cheval qu'ua maître industrieux avait dressé à-peu-près de la maniere dout nous avons vu des exemples à la Foire, on voulait faire bruler et le maître et le cheval.

En voila assez pour faire connaître en général les mœurs. et l'esprit du siècle qui précéda celui de Louis XIV.

Ce défaut de lumières dans tous les ordres de l'état fomeatait chez les plus honnêtes gens des pratiques supersti-. tieuses qui deshonoraient la religion. Les calvinistes confondant avec le culte raisonnable des catholiques les abus qu'on fesait de ce culte, n'en étaient que plus affermis dans leur haine contre notre Eglise. Ils opposaient à nos supersLe commerce, Généralement répandu aujourd'hui, était titions populaires, souvent remplies de débauches, une duen très peu de mains; la police du royaume était entière-reté farou: he et des mœurs féroces, caractère de presque! ment négligée, preuve certaine d'une administration peu heureuse. Le cardinal de Richelieu, occupé de sa propre grandeur attachée à celle de l'état, avait commencé à readre la France formidable au-debors, saus avoir encore pu la rendre bien florissante au-dedans. Les grauds chemins n'étaient ni réparés ni gardés; les brigands les infestaient; les rues de Paris, étroites, mal pavées, et couvertes d'immondices dégoûtantes, étaient remplies de voleurs. On voit, par les registres du parlement, que le guet de cette ville était réduit alors à quarante-cinq hommes mal payés, et qui meme ne servaient pas.

Depuis la mort de Francois II, la France avait été toujours ou déchirée par des guerres civiles, ou troublée par des factions. Jamais le joug n'avait été porté d'une manière paisible et volontaire. Les seigneurs avaient été élevés dans les conspirations; c'était l'art de la cour, comine celui de plaire au souverain l'a été depuis.

Cet esprit de discorde et de faction avait passé de la cour jusqu'aux moindres villes, et possédait toutes les communautés du royaume: on se disputait tout, parcequ'il n'y avait rien de réglé : il n'y avait pas jusqu'aux paroisses de Paris qui n'en viassent aux mains; les processions se battaient les unes contre les autres pour l'honneur de leurs bannières. On avait vu souvent les chanoines de Notre-Dame aux prises avec ceux de la Sainte-Chapelle: le parlement et la chambre des comptes s'étaient battus pour le pas dans l'église de Notre-Dame, le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la vierge Marie.

Presque toutes les communautés du royaume étaient armees; presque tous les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de la nation, contribuait encore, autaut que les guerres civiles et étrangères, à dépeupler le pays. Ce n'est pas trop dire que, dans le cours de vingt années, dopt dix avaient été troublées par la guerre, il etait mort plus de gentilshommes français de la main des Français memes que de celle des conemis.

Ou ne dira rien ici de la manière dout les arts et les sciences étaient cultivés; on trouvera cette partie de l'his Loire de nos mœurs à sa place. On remarquera seulement

tous les réformateurs: ainsi l'esprit de parti dé, birait et avilissait la France; et l'esprit de société, qui rend aujourd'hui cette nation si célebre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où les gens de mérite s'assemblassent pour se communiquer leurs lumières; point d'acadé mies, point de théatres réguliers. Enfin les maurs, les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre, n'avaient rien de ce qu'on vit depuis dans le siècle appelé le siècle de Louis XIV.

CHAPITRE III,

Minorité de Louis XIV. Victoires des Français sous le grand Conde, alors duc d'Enghien.

Le cardinal de Richelieu et Louis XIII venaient de mourir, l'un admiré et hai, l'autre déja oublié. Ils avaient laissé aux Français, alors très inquiets, de l'aversion pour le nom seul du ministère, et peu de respect pour le trône. Louis XIII, par son testament, établissait un conseil de regence. Ce momarque, mal obéi pendant sa vie, se flatta de l'étre mieux après sa mort; mais la première démarche de sa veuve Anne d'Autriche fut de faire annuler les volontés de son mari par un arrêt du parlement de Paris. Ce corps, long-temps opposé à la cour, et qui avait à peine conservé sous Louis XIII la liberté de faire des remontrances, cassa le testament de son roi avec la même facilité qu'il aurait jugé la cause d'un citoyen (1). Anne d'Autriche s'adressa a cette compagnie, pour avoir la régence illimitée, parceque Marie de Médicis s'était servie du même tribunal après la mort de Henri IV; et Marie de Médicis avait donné cet exemple, parceque toute

(1) Riencourt, dans son Histoire de Louis XIV, dit que le testament de Louis XIII fut vérifié au parlement. Ce qui trompa cet écrivain, c'est qu'en effet Louis XIII avait declaré la reine régente, ce qui fut confirmé: mais il avait limité son autorité, ce qui fut cassé.

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CHAP. III. MINORITÉ DE LOUIS XIV.

autre voie eût été longue et incertaine; que le parlement, entouré de ses gardes, ne pouvait résister à ses volontés, et qu'un arrét rendu au parlement et par les pairs semblait assurer un droit incontestable."

trouble, qui le portait à propos à tous les endroits. Ce fut lui qui, avec de la cavalerie, attaqua cette infanterie espaphalange ancieone si estimée, et qui s'ouvrait avec une agignole jusque-là invincible, aussi forte, aussi serrée que la L'usage qui donne la régence aux mères des rois parut lité que la phalange n'avait pas, pour laisser partir la dédonc alors aux Français une loi presque aussi fondamentale charge de dix-buit canons qu'elle renfermait au milieu d'elle. que celle qui priveles femmes de la couronne. Le parlement Le prince l'entoura et l'attaqua trois fois. A peine victode Paris ayant décidé deux fois cette question, c'est-à-dire rieux, il arrêta le carnage. Les officiers espagnols se jetsient ayant seul déclaré par des arrêts ce droit des mères, parut à ses genoux pour trouver auprès de lui un asile contre la en effet avoir donné la régence: il se regarda, non sans fureur du soldat vainqueur. Le duc d'Enghien eut autant Le vieux comte de Fuentes, qui commandait cette infanquelque vraisemblance, comme le tuteur des rois, et chaque de soin de les épargner, qu'il en avait pris pour les vaincre. conseiller erut être une partie de la souverainets. Par le ème arrêt, Gaston, duc d'Orléans, jeune oncle du roi, eut terie espagnole, mourut percé de coups. Condé, en l'apvais pas vainen. le vain titre de lieutenant-général du royaume sous la ré-prenant, dit qu'il voudrait être mort comme lui, s'il n'aGente absolue.

Le respect qu'on avait en Europe pour les armées espaAnse d'Autriche fat obligée d'abord de continuer la guerre contre le roi d'Espague, Philippe IV, son frère, qu'elle ai-gnoles se tourna du côté des armées françaises, qui n'amait. Il est difficile de dire précisément pourquoi l'on fe- vaient point depuis cent ans gagné de bataille si célébre; sait cette guerre; on ne demandait rien à l'Espagne, pas car la sanglante journée de Marignan, disputée plutôt que même la Navarre, qui aurait dû être le patrimoine des rois gagnée par François 1e contre les Suisses, avait été l'oude France. On se battait depuis 1635 parceque le cardinal de vrage des bandes noires allemandes autant que des troupes Richelieu l'avait voule, et il est à croire qu'il l'avait vouln françaises. Les journées de Pavie et de Saint-Quentin étaient pour se rendre nécessaire. Il s'était lié contre l'empereur encore des époques fatales à la réputation de la France. avec la Suède, et avec le duc Bernard de Saxe-Veimar, f'un Henri IV avait eu le malheur de ne remporter des avantade ces généraux que les Italiens nommaient Condottieri,ges mémorables que sur sa propre nation. Sous Louis XIII. c'est-à-dire qui rendaient leurs troupes. Il attaquait aussi la le maréchal de Guébriant avait en de petits succès, mais toubranche autrichienne-espagnole dans ces dix provinces que jours balancés par des pertes. Les grandes batailles qui nous appelons en général du nom de Flandre; et il avait ébranlent les états, et qui restent à jamais dans la mémoire tave-Adolphe. partage avec les Hollandais, alors nos alliés, cette Flandre des hommes, n'avaient été livrées en ce temps que par GusCette journée de Rocroi devint l'époque de la gloire qu'on ne conquit point. Le fort de la guerre était du côté de la Flandre; les troupes espagnoles sortirent des frontières du Hainaut au nom-francaise et de celle de Condé. Il sut vaincre et profiter de bre de vingt-six mille hommes, sous la conduite d'un vieux la victoire. Ses lettres à la cour firent résoudre le siège de général expérimenté, nommé don Francisco de Mello. Ils Thionville, que le cardinal de Richelieu n'avait pas osé ha vinrent ravager les frontières de la Champagne: ils attaqué- sarder; et au retour de ses courriers, tout était déja préreat Rocroi, et ils crurent pénétrer bientôt jusqu'aux portes paré pour cette expédition. de Paris, comme ils avaient fait hoit ans auparavant. La Dort de Louis XIII, la faiblesse d'une minorité, relevaient leurs espérances; et quand ils virent qu'on ne leur opposait qu'une armée inférieure en nombre, commandée par un jeune homme de vingt-un ans, leur espérance se changes ea sécurité.

Cejeune homme sans expérience, qu'ils méprisaient, était Louis de Bourbon, alors due d'Enghien, connu depuis sous le nom de grand Condé. La plupart des grands capitaines sont devenus tels par degrés. Ce prince était né général; Fart de la guerre semblait en lui un instinct naturel: il n'y avait en Europe que lui et le Suédois Torstenson qui eas sent eu à vingt ans ce génie qui peut se passer de l'expé-alors les fondements de la grande réputation qu'il eut derience (1).

Le due d'Enghien avait reçu, avec lanouvel le de la mort de Louis XIII, l'ordre de ne point hasarder de bataille. Le maréchal de l'Hôpital, qui lui avait été donné pour le conseiller et pour le conduire, secondait par sa circonspection ces ordres timides. Le prince ne crut ni le maréchal ni la cour: il ne confia son dessein qu'à Gassion, maréchal-decamp. digne d'être consulté par lui; ils foreèrent le maréchal à trouver la bataille nécessaire.

(19 mai 1643) On remarque que le prince ayant tout réglé le soir, veille de la bataille, s'endormit si profondémeat qu'il fallut le réveiller pour combatire. On conte la même chose d'Alexandre. Il est naturel qu'un jeune homme, épuisé des fatigues que demande l'arrangement d'un si grand jour, tombe ensuite dans un sommeil plein; il l'est aussi qu'un génie fait pour la guerre, agissant sans inquiétude, laisse an corps assez de calme pour dormir. Le prince gagna la bataille par lui-même, par un coup d'oeil qui voyait à-lafois le danger et la ressource, par son activité exempte de

Le duc d'Enghien retourne à Paris, reçoit les acclamations du peuple, et demande des récompenses à la cour; il laisse son armée au prince maréchal de Turenne. Mais ce général, tout babile qu'il est déja, est battu & Mariendal. (avril 1645) Le prince revole a l'armée, reprend le complaines de Nordlingen. Il y gagne nne bataille complète mandement, et joint à la gloire de commander encore Tu(auguste 1645), le maréchal de Grammont y est pris; mais renne celle de réparer sa défaite. Il attaque Merci dans les (1) Torstenson était page de Gustave-Adolphe, en 1624. le général Glen, qui commandait sous Merci, est fait priLe roi. près d'attaquer un corps de Lithuaniens, en Livo-sonnier, et Merci est au nombre des morts. Ce général, re'ayant point d'adjudant auprès de lui, envoya gardé comme un des plus grands capitaines, fut enterré près Torstenson porter ses ordres à un officier-général, pour pro- du champ de bataille; et on grava sur sa tombe: STA, VIAfiter d'un mouvement qu'il vit faire aux enaemis; Torsten- TON; HEROEM CALCAS: Arréte, voyageur; tu foules un heson part et revient. Cependant les ennemis avaient changé ros. Cette bataille mit le comble à la gloire de Condé et fit lear marche; le roi était désespéré de l'ordre qu'il avait celle de Turenne, qui eut l'honneur d'aider puissamment le donné: Sire, dit Torstenson, daignez me pardonner; prince à remporter une victoire dont il pouvait être butaivoyant les ennemis faire un mouvement contraire, j'ai lié. Peut-être ne fut-il jamais si grand qu'en servant ainsi donné un ordre contraire. Le roi ne dit mot; mais le celui dont il fut depuis l'émule et le vainqueur. soir, ce page servant à table, il le fit souper à côté de lui, et lui donna une enseigne aus gardes, quinze jours après ane compagnie, ensuite un régiment. Torstenson fut un des grands capitaines de l'Europe.

nie.

Bientôt les affaires chancelantes forcèrent la cour de rappeler Condé (1) en Flandre. L'archiduc Léopold, frère de l'empereur Ferdinand III, assiégeait Lens en Artois. Condé, rendu à ses troupes qui avaient toujours vaincu sous lui, les mena droit à l'archiduc. C'était pour la troisième fois qu'il donnait bataille avec le désavantage du nombre. Il dit à ses soldats ces seules paroles; Amis, souvenez-vous de Rocroi, de Fribourg, et de Nordlingen.»

CHAPITRE IV.
Guerre civile.

Tant de succès et de services, moins récompensés que suspects à la cour, le fesaient craindre du ministère autant que des ennemis. On le tira du théâtre de ses conquétes et de sa gloire, et on l'envoya en Catalogne avec de mauvaises troupes mal payées; il assiégea Lérida, et fut obligé de lever le siege (1647). On l'accuse, dans quelques livres, de La reine Anne d'Autriche, régente absolae, avait fait du fanfaronnade, pour avoir ouvert la tranchée avec des vio-cardinal Mazarin le maître de la France, et le sien. Il avait lons. On ne savait pas que c'était l'usage en Espagne. sur elle cet empire qu'un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister dans son choix. On lit dans quelques mémoires de ces temps-là que la reine ne donna sa confiance à Mazarin qu'au défaut de Potier, éveque de Beauvais, qu'elle avait d'abord choisi pour son ministre. On peint cet évèque comme un homme inc4pable: il est à croire qu'il l'était, et que la reine ne s'en était servie quelque temps que comme d'un fantome, pour ne (10 auguste 1648) 11 dégagea lui-même le maréchal de pas effaroucher d'abord la nation par le choix d'un second Grammont, qui plait avec l'aile gauche; il prit le général cardinal et d'un étranger. Mais ce qu'on ne doit pas croire, Beck. L'archiduc se sauva à peine avec le comte de Fuen-c'est que Polier eût commencé son ministère passager par suldagne. Les Impériaux et les Espagnols qui composaient déclarer aux Hollandais qu'il fallait qu'ils se tissent cacette armée furent dissipés; ils perdirent plus de cent dra-tholiques s'ils voulaient demeurer dans l'alliance de la peaux, et trente-huit pièces de canon, ce qui était alors . France. Il aurait done du faire la même proposition aux très considérable. On leur fit cinq mille prisouniers, on leur Suédois. Presque tous les historiens rapportent cette absur tua trois mille hommes, le reste déserta, et l'archiduc de- dité, parcequ'ils l'out lue dans les mémoires des courtisans et des frondeurs. Il n'y a que trop de traits dans ces méCeux qui veulent véritablement s'instruire peuvent re-moires, ou falsifi's par la passion, ou rapportés sur des marquer que, depuis la fondation de la monarchie, jamais bruits populaires. Le puéril ne doit pas être cité, et l'ables Français n'avaient gagné de suite taut de batailles, et surde ne peut etre cru. Il est très vraisemblable que le carde si glorieuses par la conduite et par le courage. dinal Mazarin était ministre désigné depuis long-temps dans (Juillet 1644) Tandis que le prince de Condé comptait l'esprit de la reine, et même du vivant de Louis XIII. On ainsi les années de sa jeunesse par des victoires, et que le ne peut en douter quand on a lu les Mémoires de La Porte, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, avait aussi soutenu la premier valet-de-chambre d'Anne d'Autriche. Les subalréputation d'un fils de Henri IV et celle de la France par la ternes, témoins de tout l'intérieur d'une cour, savent des prise de Gravelines (novembre 1644), par celle de Cour- choses que les parlements et les chefs de parti même ignotrai et de Mardick, le vicomte de Turenne avait pris Lan-rent, ou ne font que soupçonner. dau, il avait chassé les Espagnols de Trèves, et rétabli l'é- Mazarin usa d'abord avec modération de sa puissance. Il lecteur. faudrait avoir vécu long-temps avec un ministre pour pein(Novembre 1647) Il gagna avec les Suédois la bataille de dre son caractère, pour dire quel degré de courage ou de Lavingen, celle de Saummerhausen, et contraignit le duc faiblesse il avait dans l'esprit, à quel point il était ou prude Bavière à sortir de ses états à l'âge de près de quatre-dent ou fourbe. Ainsi, saas vouloir deviner ce qu'était vingts ans. (1645) Le comte d'Harcourt prit Balaguer, et Mazarin, on dira seulement ce qu'il b:. Il affecta, dans les battit les Espagnols. Ils perdirent en Italie Porto-Longone commencements de sa grandeur, autant de simplicité que (1646). Vingt vaisseaux et vingt galères de France qui com-Richelieu avait déployé de hauteur. Loin de prendre des posaient presque toute la marine rétablie par Richelieu, battirent la flotte espagnole sur la côte d'Italie.

meura sans armée.

gardes et de marcher avec un faste royal, il eut d'abord le train le plus modeste; il mit de l'affabilité et même de la Ce n'était pas tout; les armes fraucaises avaient encore mollesse partout où son prédécesseur avait fait paraitre une envahi la Lorraine sur le duc Charles IV, prince guerrier, fierté inflexible. La reine voulait faire aimer sa régence et mais inconstant, imprudent, et malheureux, qui se vit á-la- sa personne de la cour et des peuples, et elle y réussissait. fois dépouillé de son état par la France, et retenu prison-Gaston, due d'Orléans, frère de Louis XIII, et le prince de nier per les Espagnols. (mai 1644) Les alliés de la France Condé, appuyaient son pouvoir, et n'avaient d'émulation pressaient la puissance autrichienne au midi et au nord. Le que pour servir l'état. duc d'Albuquerque, général des Portugais, gagna contre Espagne la bataille de Badajoz. (mars 1645) Torstenson délit les Impériaux près de Tabor, et remporta une victoire complète. Le prince d'Orange, à la tête des Hollandais, pénétra jusque dans le Brabant.

Il fallait des impôts pour soutenir la guerre contre l'Espagae et contre l'empereur. Les finances en France étaient, depuis la mort du grand Henri IV, aussi mal administrées qu'en Espagne et en Allemagne. La régie était un chaos; l'ignorance extrême; le brigandage au comble; mais ce briLe roi d'Espagne, battu de tous côtés, voyait le Roussil-gandage ne s'étenda pas sur des objets aussi considérables. lon et la Catalogue entre les mains des Français. Naples, qu'aujourd'hui. L'état était huit fois moins endetté; on n'arévoltée contre lui, venait de se donner au duc de Guise,vait point des armées de deux cent mille hommes à soudoyer, dernier prince de cette branche d'une maison si féconde en hommes illustres et dangereux. Celui-ci, qui ne passa que pour un aventurier audacieux, parcequ'il ne réussit pas, avait eu du moins la gloire d'aborder seul dans une barque au milieu de la flotte d'Espagne, et de défendre Naples, sans autre secours que son courage.

point de subsides immenses à payer, point de guerre inaritime à soutenir. Les revenus de l'état montarent, dans les premières années de la régence, à près de soixante et quinze millions de livres de ce temps. C'était assez s'il y avait en de l'économie dans le ministère : mais en 1646 et 47 ou eut besoin de nouveaux secours. Le surintendant était alors un A voir tant de malheurs qui fondaient sur la maison d'Au-paysan siennois, nommé Particelli Eineri, dont l'ame était triche, tant de victoires accumulées par les Français, et se-plus basse que la naissance, et dont le faste et les déhaucondes des succès de leurs alliés, on croirait que Vienneches indignaient la nation. Cet homme inventait des reset Madrid n'attendaient que le moment d'ouvrir leurs por-sources onéreuses et ridicules. 11 créa des charges de contes, et que l'empereur et le roi d'Espagne étaient presque trôleurs de fagots, de jurés vendeurs de foin, de conseillers sans étais. Cependant cinq années de gloire, à peine tra- du roi crieurs de vin; il vendant des lettres de noblesse. Las versées par quelques revers, ne produisirent que très peu rentes sur l'hôt l-de-ville de Paris ne se montaient alors d'avantages reels, beaucoup de sang répandu, et nulle ré- qu'à près d'onze millions. On retrancha quelques quartiers volution. S'il y en eut une à craindre, ce fut pour la France; aux rentiers; on augmenta les droits d'entrée; on créa quelelle touchait à sa ruine au milieu de ces prospérités appa-ques charges de maîtres des requêtes, on retint environ

rentes.

(1) Son père était mort en 1646.

quatre-vingt mille écus de gages aux magistrats.

Il est aisé de juger combien les esprits furent soulevés contre deux Italiens, venus tous deux en France sans fortune, enrichis aux dépens de la nation, et qui donnaient tant de prise sur eux. Le parlement de Paris, les maîtres des requêtes, les autres cours, les rentiers, s'ameutèrent. Ea vain Mazarin óta la surintendance à son confident Emeri, et le relégua dans une de ses terres on s'indignait encore que cet homme eût des terres en France, et on eut le car

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dinal Mazarin en horreur, quoique dans ce temps-là même mider le peuple, l'irrite et l'enhardit. On ferme les boutiil consommat le grand ouvrage de la paix de Munster carques, on tend les grosses chaines de fer qui étaient alors à il faut bien remarquer que ce fameux traité et les barri-l'entrée des rues principales; on fait quelques barricades, cades sont de la même année 1648. quatre cent mille voix crient, Liberté et Broussel.

Les guerres civiles commencèrent à Paris comme elles avaient commencé à Londres, pour un peu d'argent.

(1647) Le parlement de Paris, en possession de vérifier les édits de ces taxes, s'opposa vivement aux nouveaux édits: il acquit la confiance des peuples par les contradictions dont il fatigua le ministère.

On ne commença pas d'abord par la révolte: les esprits ne s'aigrirent et ne s'enbardirent que par degrés. La populace peut d'abord courir aux armes, et se choisir un chef, comme on avait fait à Naples: mais des magistrats, des hommes d'état procédent avec plus de maturité, et commen cent par observer les bienséances, autant que l'esprit de parti peut le permettre.

Le cardinal Mazarin avait eru qu'en divisant adroitement la magistrature, il préviendrait tous les troubles; mais on opposa l'inflexibilité à la souplesse. Il retranchait quatre années de gages à toutes les cours supérieures, en leur remettant la paulette, c'est-à-dire en les exemptant de payer la taxe inventer par Paulet sous Henri IV, pour s'assurer la propriété de leurs charges. Ce retranchement n'était pas une lésion, mais il conservait les quatre années au parlement. pensant le désarmer par cette faveur. Le parlement méprisa cette grace qui l'exposait an reproche de préférer son intérêt à celui des autres compagnies. (1648) Il n'en donna pas moins son arrêt d'union avec les autres cours de justice. Mazarin, qui n'avait jamais bien pu prononcer le français, ayant dit que cet arrêt d'ognon était attentatoire, et l'ayant fait casser par le conseil, ce seul mot d'ognon le rendit ridicule; et comme on ne cède jamais à ceux qu'on méprise, le parlement en devint plus entreprenant.

Il demanda bautement qu'on révoquât tous les intendants regardés par le people comme des exacteurs, et qu'on abolit cette magistrature de nouvelle espéce, instituée sous Louis XIII sans l'appareil des formes ordinaires; c'était plaire à la nation autant qu'irriter la cour. Il voulait que, selon les anciennes lois, aucun citoyen ne fût mis en prison, sans que ses juges naturels en connussent dans les vingt-quatre heures; et rien ne paraissait si juste.

Le parlement fit plus; il abolit les intendants par un arrêt, avec ordre aux procureurs du roi de son ressort d'informer contre eux.

Ainsi la haine contre le ministre, appuyée de l'amour du bien public, menaçait la cour d'une révolution. La reine ceda; elle offrit de casser les intendants, et demanda seulement qu'on lui en laissat trois : elle fut refusée.

(20 auguste 1648) Pendant que ces troubles commencatent, le prince de Condé remporta la célébre victoire de Leas, qui mettait le comble à sa gloire. Le roi, qui n'avait alors que dix ans, s'écria: Le parlement sera bien fåcké. Ces paroles saient voir assez que la cour ne regardait alors le parlement de Paris que comme une assemblée de rebelles. 1.e cardinal et ses courtisans ne lui donnaient pas un adtre nom. Plus les parlementaires se plaignaient d'être traités de rebelles, plus ils fesaient de résistance.

La reine et le cardinal résolurent de faire enlever trois des plus opiniâtres magistrats du parlement, Novion Blancmenil, président qu'on appelle à mortier, Charton, président d'une chambre des enquêtes, et Broussel, ancien conseiller-clerc de la grand chambre.

Ils n'étaient pas chefs de parti, mais les instruments des chefs. Charton, homme très borné, était connu par le sobriquet du président Je dis ça, parcequ'il ouvrait et concluait toujours ses avis par ces mots. Broussel n'avait de recommandable que ses cheveux blancs, sa haine contre le ministère, et la réputation d'élever toujours la voix contre la cour sur quelque sujet que ce fat. Ses confrères en fesaient peu de cas, mais la populace Pidolâtrait.

Au lieu de les enlever sins éclat dans le silence de la nuit, le cardinal crust en imposer au peuple, en les fesant arrêter en plein midi, tandis qu'on chantait le Te Deum à NotreDame pour la victoire de Lens, et que les suisses de la chambre apportaient dans l'église soixante et treize drapeaux pris sur les ennemis. Ce fut précisément ce qui causa la subversion du royaume. Charton s'esquiva; on prit Blanc menil sans peine; il n'en fut pas de même de Broussel. Une vieille servante seule, en voyant jeter son maître dans un carrosse par Comminges, lieutenant des gardes-du-corps, ameute le peuple; on entoure le carrosse ; on le brise; les pardes-francaises prètent main-forte. Le prisonnier est condait sur le chemin de Sedan. Son enlèvement, loin d'inti

Il est difficile de concilier tous les détails rapportés par le cardinal de Retz, madame de Motteville, l'avocat-général Talon, et tant d'autres; mais tous conviennent des principaux points. Pendant la nuit qui suivit l'émeute, la reine fesait venir environ deux mille hommes de troupes cantonnées à quelques lieues de Paris, pour soutenir la maison du roi. Le chancelier Séguier se transportait déja au parlement, précédé d'un lieutenant et de plusieurs hoquetons, pour casser tous les arrêts, et même, disait-on, pour interdire ce corps. Mais, dans la nuit même, les factieux s'étaient assemblés chez le coadjuteur de Paris, si fameux sous le nom de cardinal de Retz, et tout était disposé pour mettre la ville en armes. Le peuple arrête le carrosse du chancelier et le renverse. Il put à peine s'enfuir avec sa fille, la duchesse de Sully, qui, malgré lui, l'avait voulu accompaguer; il se retire en désordre dans l'hôtel de Luines, pressé et insulté par la populace. (27 auguste 1648) Le lieutenant civil vient le prendre dans son carrosse, et le mène au Palais-Royal, escorté de deux compagnies suisses, et d'une escouade de gendarmes; le peuple tire sur eux, quelques uns sont tués: la duchesse de Sully est blessée au bras. Deux cents barricades sont formées en un instant; on les pousse jusqu'à cent pas du Palais-Royal. Tous les soldata après avoir vu tomber quelques uns des leurs, reculent et regardent faire les bourgeois. Le parlement en corps marche à pied vers la reine, à travers les barricades qui s'abaissent devant lui, et redemande ses membres emprisonnés. La reine est obligée de les rendre, et, par cela même, elle invite les factieux à de nouveaux outrages.

Le cardinal de Retz se vante d'avoir seul armé tout Paris dans cette journée, qui fut nommée des barricades, et qui était la seconde de cette espèce. Cet homme singulier est le premier évêque en France qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour préteste. Il s'est peint lui-même dans ses Mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie, et une inégalité, qui sont l'image de sa conduite. C'était un homme qui, du sein de la débauche, et languissant encore des suites infames qu'elle entraine, prêchait le peuple et s'en fesait idolâtrer. Il respirait la faction et les complots; il avait été, à l'âge de vingt-trois ans, l'ame d'une conspiration centre la vie de Richelieu : il fut l'auteur des barricades: il précipita le parlement dans les cabales, et le peuple dans les séditions. Son extrême vanité lui fesait entreprendre des crimes téméraires, afin qu'on en parlat. C'est cette même vanité qui lui a fait répéter tant de fois : Je suis d'une maison de Florence aussi ancienne que celles des plus grands princes; lui, dont les ancêtres avaient été des marchands, comme tant de ses compatriotes.

Ce qui parait surprenant, c'est que le parlement, entrainé par lui, leva l'étendard contre la cour, avant même d'ètre appuyé par aucun prince.

Cette compagnie, depuis long-temps, était regardée bien différemment par la cour et par le peuple. Si l'on en croyait la voix de tous les ministres et de la cour, le parlement de Paris était une cour de justice faite pour juger les causes des citoyens: il tenait cette prérogative de la seule volonté des rois, il n'avait sur les autres parlements du royaume d'autre prééminence que celle de l'ancienneté et d'un res sort plus considérable; ii n'était la cour des pairs que parceque la cour résidait à Paris; il n'avait pas plus de droit de faire des remontrances que les autres corps, et ce droit était encore une pure grace : il avait succédé à ces parlements qui représentaient autrefois la nation française; mais il n'avait de ces anciennes assemblées rien que le seul nom; et pour preuve incontestable, c'est qu'en effet les étatsgénéraux étaient substitués à la place des assemblées de la nation et le parlement de Paris ne ressemblait pas plus aux parlements tenus par nos premiers rois, qu'un consul de Smyrne ou d'Alep ne ressemble à un consul romain.

Cette seule erreur de nom était le prétexte des prétentions ambitieuses d'une compagnie d'hommes de foi, qui tous, pour avoir acheté leurs offices de robe, pensaient tenir la place des conquérants des Gaules, et des seigneurs des fiefs de la couronne. Ce corps, en tous les temps, avait abusé du pouvoir que s'arroge nécessairement un premier tribunal, toujours subsistant dans une capitale. Il avait osé donner un arrêt contre Charles VII, et le bannir du royaume : il avait commencé un procès criminel contre Henri III (1): (1) Voyez Histoire du parlement, chap, xxx.

il avait en tous les temps résisté, autant qu'il l'avait pu, à ses souverains; et dans cette minorité de Louis XIV, sous le plus doux des gouvernements, et sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à son prince, à l'exemple de ce parlement d'Angleterre qui tenait alors son roi prisonnier, et qui lui fit trancher la tête. Tels étaient les discours et les pensées du cabinet.

Mais les citoyens de Paris, et tout ce qui tenait à la robe, voyaient dans le palement un corps auguste, qui avait rendu la justise avec une intégrité respectable, qui n'aimait que le bien de l'état, et qui l'aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire de réprimer l'ambition des favoris, et qui marchait d'un pas égal entre le roi et le peuple; et, sans examiner l'origine de ses droits et de son pouvoir, on lai supposait les droits les plus sacrés, et le pou-, voir le plus incontestable : quand on le voyait soutenir la cause du peuple contre des ministres détestés, on l'appelait le père de l'etat; et on fesait peu de différence entre le droit qui donne la couronne aux rois, et celui qui donnait au parlement le pouvoir de modérer les volontés des rois. Entre ces deux extrémités, un milieu juste était impossible à trouver; car, enfin, il n'y avait de loi bien reconnue que celle de l'ocession et du temps. Sous un gouvernement vigoureux le parlement n'était rien: il était tout sous un roi faible; et l'on pouvait lui appliquer ce que dit M. de Guémené, quand cette compagnie se plaignit, sous Louis XIII, | d'avoir été précédée par les députés de la noblesse: Messieurs, vous prendrez bien votre revanche dans la minoOn ne veut point répéter ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles, et copier des livres pour remettre sous les yeux tant de détails alors si chers et si importants, et aujourd'hui presque oubliés; mais on doit dire ce qui caractérise lesprit de la nation, et moins ce qui appartient à toutes les guerres civiles, que ce qui distingue celle de la Fronde.

• rité.

Deux pouvoirs, établis chez les hommes uniquement pour le maintien de la paix, un archevêque et un parlement de Paris, ayant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportements justifiés. La reine ne pouvait paraître en public sans être outragée; on ne l'appelait que Dame Anne: et si l'on y ajoutait quelque titre, c'était un opprobre. Le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l'état a son amitié pour Mazarin; et, ce qu'il y avait de plus insupportable, elle entendait de tous côtés ces chansons et ces vaudevilles, monuments de plaisanterie et de malignité qui semblaient devoir éterniser le doute où l'on affectait d'être de sa vertu. Madame de Motteville dit, avec sa noble et sincere naïveté, que ces insolences fessient horreur à la reine, et que les Parisiens trompés lai fesaient pitié. (6 janvier 1649) Elle s'enfuit de Paris avec ses enfants, son ministre, le duc d'Orléans, frère de Louis XIII, le grand Condé lui-même, et alia à Saint-Germain, où presque toute la cour coucha sur la paille. Ou fut obligé de mettre en gage chez les usuriers les pierreries de la couronne.

son appui. Le parlement eut donc le graud Condé à combattre, et il osa soutenir la guerre. Le prince de Conti, frère du grand Condé, aussi jaloux de son ainé qu'incapable de l'égaler ; le duc de Longueville, le duc de Beaufort, le duc de Bouillon, animés par l'esprit remuant du coadjuteur, et avides de nouveautés, se flattant d'élever leur grandeur sur les ruines de l'état, et de faire servir à leurs desseins particuliers les mouvements aveugles du parlement, vinrent lui offrir leurs services. On nomma, dans la grand'chambre, les généraux d'une armée qu'on n'avait pas. Chacun se taxa pour lever des troupes : il y avait vingt conseillers pourvus de charges nouvelles, créés par le cardinal de Richelieu. Leurs confrères, par une petitesse d'esprit dont toute société est susceptible, semblaient poursuivre sur eux la mémoire de Richelieu; ils les accablaient de dégoûts et ne les regardaient pas comme meinbres du parlement: il fallut qu'ils donnassent chacun quinze mille livres pour les frais de la guerre, et pour acheter la tolérance de leurs confrères.

La grand chainbre, les enquêtes, les requêtes, la chambre des comptes, la cour des aides, qui avaient tant crié contre des impôts faibles et nécessaires, et surtout contre l'augmentation du tarif, laquelle n'allait qu'à deux cent mole livres, fournirent une somme de près de dix millions de notre monnaie d'aujourd'hui, pour la subversion de la patrie. (15 février 1649) On rendit un arrêt par lequel il fut ordonné de se saisir de tout l'argent des partisans de la cour. Oa en prit pour douze cent mille de nos livres. On leva douze mille hommes par arrêt du parlement : chaque porte cochère fournit un homme et un cheval. Cette cavalerie fut appelée la cavalerie des portes cochères. Le coadjuteur avait un régiment à lui, qu'on nommait le régiment de Corinthe, parceque le coadjuteur était archevêque titulaire de Corinthe.

Sans les noms de roi de France, de grand Condé, de capitale du royaume, cette guerre de la Fronde eût été aussi ridicule que celle des Barberins; on ne savait pourquoi on était en armes. Le prince de Condé assiégea cent mille bourgeois avec huit mille soldats, Les Parisiens sortaient en campagne, ornés de plumes et de rubans; leurs évolutions étaient le sujet de plaisanterie des gens du métier. Ils fuyaient dés qu'ils rencontraient deux cents hommes de l'armée royale. Tout se tournait en raillerie; le régiment de Corinthe ayant été battu par un petit parti, on appela cet échec la premire aux Corinthiens.

Ces vingt conseillers, qui avaient fourni chacun quinze mille livres, n'eurent d'autre honneur que d'être appelés les quinze-vingts.

Le duc de Beaufort-Vendôme, petit-fils de Henri IV, l'idole du peuple, et instrument dont on se servit pour le soulever, prince populaire, mais d'un esprit borné, était publiquement l'objet des railleries de la cour et de la Fronde même. On ne parlait jamais de lui que sous le nom de roi des halles. Uue balle lui ayant fait une contusion au bras, il disait que ce n'était qu'une confusion.

Le roi manqua souvent du nécessaire. Les pages de sa chambre furent congédiés, parcequ'on n'avait pas de quoi La duchesse de Neinours rapporte, dans ses Mémoires, les nourrir. En ce temps-là même la tante de Louis XIV, que le prince de Condé présenta à la reine un petit nain fille de Henri-le-Grand, femme du 1oi d'Angleterre, réfu- bossu, armé de pied en cap. Voila, dit-il, le généralissime giée à Paris, y était réduite aux extrémités de la pauvreté; de l'armée parisienne. Il voulait par-là désigner son et sa fille, depuis mariée au frère de Louis XIV, restait au frère, le prince de Conti, qui était en effet bossu, et que les lit, n'ayant pas de quoi se chauffer, sans que le peuple de Parisiens avaient choisi pour leur général. Cependant ce Paris, enivré de ses fureurs, fit seulement attention aux af-même Condé fut ensuite général des mêmes troupes; et mafictions de tant de personnes royales

dame de Nemours ajoute qu'il disait que toute cette guerre ne méritait d'étre écrite qu'en vers burlesques. Il l'appelait aussi la guerre des pots de chambre.

Anne d'Autriche, dont on vantait l'esprit, les graces, la bonté, n'avait presque jamais été en France que malbeureuse. Long-temps traitée comme une criminelle par son Les troupes parisiennes, qui sortaient de Paris et reveépoux, persécutée par le cardinal de Richelieu, elle avait vu naient toujours battues, étaient reçues avec des huées et des ses papiera saisis au Val-de-Grace; elle avait été obligée de éclats de rire. On ne réparait tous ces petits échecs que par signer en plein conseil qu'elle était coupable envers le roi des couplets et des épigrammes. Les cabarets et les autres son mari. Quand elle accoueha de Louis XIV, ce même maisons de débauche étaient les tentes où l'on tenait les mari ne voulut jamais l'embrasser selon l'usage, et cet af- conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chanfront altéra sa santé au point de mettre en danger sa vie. sons, et de la gaieté la plus dissolue. La licence était si efEnfin, dans sa régence, après avoir comblé de graces tous frénée, qu'une nuit les principaux officiers de la Fronde, ceux qui l'avaient implorée, elle se voyait chassée de la ca- ayant rencontré le saint-acrement qu'oa portait dans les pitale par un peuple volage et furieux. Elle et la reine d'Ao-rues à un homme qu'on soupconnait d'être Mazarin, recongleterre, sabelle-sœur, étaient toutes deux un mémorable exemple des révolutions que peuvent éprouver les têtes cou ronnées; et sa belle-mère, Marie de Médicis, avait été encore plus malheureuse.

La reine, les larmes aux yeux, pressa le prince de Condé de servir de protecteur au roi. Le vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Lens, et de Nordlingen, ne put démentir tant de services passés: il fut flatté de l'honneur de défendre une cour qu'il croyait ingrate, contre la Fronde qui recherchait

duisirent les prêtres à coups de plat d'épée.

Enfin on vit le coadjuteur, archevêque de Paris, venir prendre séance au parlement avec un poignard dans sa poche dont on apercevait la poignée, et on criait: Voilà le breviaire de notre archevêque.

Il vint un héraut d'armes à la porte Saint-Antoine, accompagné d'un gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, pour signifier des propositions (1649). Le parlement ne vou lut peint le recevoir; mais il admit dans la grand'chambre

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