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un roi à peine réuni à l'Église dominante. Henri ne pouvait être sacré à Reims, cette ville était possédée encore par ses ennemis. On proposa Chartres. On fit voir que ni Pepin, ni Charlemagne, ni Robert, fils de Hugues Capet, tige de la maison régnante, ni Louis le Gros, ni plusieurs autres rois, n'avaient été sacrés à Reims. La bouteille d'huile nommée sainte-ampoule, révérée des peuples, faisait naître quelque difficulté. Il fut aisé de prouver que si un ange avait apporté cette bouteille d'huile du haut du ciel, saint Remi n'en avait jamais parlé; que Grégoire de Tours, qui rapporte tant de miracles, avait gardé le silence sur cette ampoule 1. S'il fallait absolument de l'huile apportée par un ange, on en avait une bonne fiole à Tours, et cette fiole valait bien mieux que celle de Reims, parce que longtemps avant le baptême de Clovis un ange l'avait apportée pour guérir saint Martin d'un rhumatisme. Enfin l'ampoule de Reims n'avait été donnée que pour le baptême de Clovis, et non pour le sacre. On emprunta donc la fiole de Tours. Nicolas de Thou, évêque de Chartres, oncle de l'historien, eut l'honneur de sacrer le plus grand roi qui ait gouverné la France, et le seul de sa race à qui les Français aient disputé sa couronne.

CHAPITRE XXXV.

HENRI IV RECONNU DANS PARIS.

Henri IV, converti et sacré, n'en était pas plus maître de Paris ni de tant d'autres villes occupées par les chefs de la Ligue. C'était beaucoup d'avoir levé l'obstacle et détruit le préjugé des citoyens catholiques qui haïssaient sa religion, et non sa personne. C'était encore plus d'avoir réussi par son changement à diviser les états; mais sa conversion ni son onction ne lui donnaient ni troupes ni argent.

Le légat du pape, le cardinal Pellevé, tous les autres prélats

1. Voyez Essai sur les Mœurs, chapitre XIII et XLII, tome XI, pages 249 et 365. 2. De Thou, livre CVIII. (Note de Voltaire.)

ligueurs, combattaient dans Paris la conversion du roi par des processions et par des libelles; les chaires retentissaient d'anathèmes contre ce même prince devenu catholique; on traitait son changement de simulé, et sa personne d'apostat. Des armes plus dangereuses étaient employées contre lui, on subornait de tous côtés des assassins. On en découvrit un entre plusieurs, nommé Pierre Barrière, de la lie du peuple, bigot et intrépide, employé autrefois par le duc de Guise le Balafré pour enlever la reine Marguerite, femme de Henri IV, au château d'Usson. Il se confessa à un dominicain, à un carme, à un capucin, à Aubry, curé de Saint-André-des-Arcs, ligueur des plus fanatiques, et enfin à Varade, recteur du collége des jésuites de Paris. Il leur communiqua à tous le dessein qu'il avait de tuer le roi pour expier ses péchés; tous l'encouragèrent et lui gardèrent le secret, excepté le dominicain. C'était un Florentin1, attaché au parti du roi, et espion de Ferdinand, grand-duc de Toscane.

Si les autres se servaient de la confession pour inspirer le parricide, celui-ci s'en servit pour l'empêcher; il révéla le secret de Barrière. On dit que c'est un sacrilége; mais un sacrilége qui empêche un parricide est une action vertueuse. Le Florentin dépeignit si bien cet homme qu'il fut arrêté à Melun lorsqu'il se préparait à commettre son crime.

Dix commissaires, nommés par le roi, le condamnèrent à la roue. Il déclara, avant de mourir, que ceux qui lui avaient conseillé ce crime lui avaient assuré que « son âme serait portée par les anges à la béatitude éternelle, s'il venait à bout de son entreprise ».

Ce fut là le premier fruit de la conversion de Henri IV. Cependant les négociations de Brissac3, créé maréchal de France par le duc de Mayenne, et le zèle de quelques citoyens de Paris, donnèrent à Henri IV cette capitale que la victoire d'Ivry, la prise de tous les faubourgs, et l'escalade aux murs de la ville, n'avaient pu lui donner.

Le duc de Mayenne avait quitté la ville, et y avait laissé pour gouverneur le maréchal de Brissac. Ce seigneur, au milieu de tant de troubles, avait conçu d'abord le dessein de faire de la France une république; mais un échevin nommé Langlois,

1. Pierre de L'Estoile dit que ce Florentin s'appelait Séraphin Bianchi, et qu'il était envoyé secret du grand-duc.

2. 28 août 1593. (Note de Voltaire.)

3. Voyez la note de la page 563.

homme qui avait beaucoup de crédit dans la ville, et des idées plus saines que le maréchal de Brissac, traitait déjà secrètement avec le roi. L'Huillier, prévôt des marchands, entra bientôt dans le même dessein: ils y entraînèrent Brissac; plusieurs membres du parlement se joignirent secrètement à lui. Le premier président Le Maître était à la tête; le procureur général Molé, les conseillers Pierre d'Amours et Guillaume du Vair, s'assemblaient secrètement à l'Arsenal. Le reste du parlement n'était point dans le secret; il rendit même un arrêt par lequel il défendait toutes sortes d'assemblées et d'amas d'armes. L'arrêt portait que les maisons où ces assemblées secrètes auraient été tenues seraient rasées; toute entreprise, tout discours contre la sainte Ligue était réputé crime d'État.

Cet arrêt calmait les inquiétudes des ligueurs. Le légat et le cardinal Pellevé, qui faisaient promener dans Paris la châsse de sainte Geneviève, les ambassadeurs d'Espagne, la faction des Seize, les moines, la Sorbonne, étaient rassurés et tranquilles, lorsque le lendemain, 22 mars, à quatre heures du matin, un bruit de mousqueterie et des cris de vive le roi! les réveillèrent.

Le prévôt des marchands, L'Huillier, l'échevin Langlois, avaient passé la nuit sous les armes avec tous les bourgeois qui étaient du complot. On ouvrit à la fois la porte des Tuileries, celle de Saint-Denis, et la Porte-Neuve ; les troupes du roi entraient par ces trois côtés et vers la Bastille. Il n'en coûta la vie qu'à soixante soldats de troupes étrangères postées au delà du Louvre, et Henri IV était déjà maître de Paris avant que le cardinal légat fût éveillé.

On ne peut mieux faire que de rapporter ici les paroles de ce respectable Français Auguste de Thou: « On vit presque en un moment les ennemis de l'État chassés de Paris, les factions éteintes, un roi légitime affermi sur son trône, l'autorité du magistrat, la liberté publique et les lois rétablies. »>

Henri IV mit ordre à tout. Un de ses premiers soins fut de charger le chancelier Chiverny d'arracher et de déchirer au greffe du parlement toutes les délibérations, tous les arrêts. attentatoires à l'autorité royale produits par ces temps malheureux. Le savant Pierre Pithou s'acquitta de ce ministère par l'ordre du chancelier. C'était un homme d'une érudition presque

1. 21 mars 1594. (Note de Voltaire.)

2. La Porte-Neuve était située entre le Louvre et les Tuileries, à l'endroit où sont aujourd'hui les trois guichets. (B.)

peu près à

universelle ; il était, dit de Thou, le conseil des ministres d'État, et le juge perpétuel des grandes affaires, sans magistrature.

(28 mars 1594) Le chancelier vint au parlement accompagné des ducs et pairs, des grands officiers de la couronne, des conseillers d'État et des maîtres des requêtes. Ce même Pierre Pithou, qui n'était point magistrat, fit les fonctions de procureur général. Le chancelier apportait un édit qui pardonnait au parlement, qui le rétablissait, et qui faisait en même temps l'éloge de l'arrêt qu'il avait donné en faveur de la loi salique, malgré le légat et les ambassadeurs d'Espagne, après quoi tous les membres du corps prêtèrent serment de fidélité entre les mains du chancelier.

Les officiers du parlement de Châlons et de Tours revinrent bientôt après. Ils reconnurent ceux de Paris pour leurs confrères, et leur seule distinction fut d'avoir le pas sur eux.

Le même jour le parlement, rétabli par le roi, annula tout ce qui avait été fait contre Henri III et Henri IV. Il cassa les états de la Ligue; il ordonna au duc de Mayenne, sous peine de lèsemajesté, d'obéir au roi ; il institua à perpétuité cette procession à laquelle il assiste tous les ans, le 22 mars 1, en robes rouges, pour remercier Dieu d'avoir rendu Paris à Henri IV, et Henri IV à Paris. Dès ce jour il passa de la rébellion à la fidélité, et reprit surtout ses anciens sentiments de patriotisme qui ont été le plus ferme rempart de la France contre les entreprises de la cour de Rome.

CHAPITRE XXXVI.

HENRI IV ASSASSINÉ PAR JEAN CHATEL. JESUITES CHASSÉS. LE ROI MAUDIT A ROME, ET PUIS ABSOUS.

Le roi était maître de sa capitale, il était prêt de l'être de Rouen; mais la moitié de la France était encore à la Ligue et à l'Espagne il était reconnu par le parlement de Paris, mais non pas par les moines; la plupart des curés de Paris refusaient de prier pour lui. Dès qu'il entra dans la ville, il eut la bonté de

1. Depuis la suppression des parlements, cette procession n'a plus lieu. (B.)

faire garder la maison du cardinal légat, de peur qu'elle ne fût pillée; il pria ce ministre de venir le voir le légat refusa de lui rendre ce devoir; il ne regardait Henri ni comme roi ni comme catholique, et sa raison était que ce prince n'avait point été absous par le pape. Ce préjugé était enraciné chez tous les prêtres, excepté dans le petit nombre de ceux qui se souvenaient qu'ils étaient Français avant d'être ecclésiastiques.

S'il ne suffit pas de se repentir pour obtenir de Dieu miséricorde, s'il est nécessaire qu'un homme soit absous par un autre homme, Henri IV l'avait été par l'archevêque de Bourges. On ne voit pas ce que l'absolution d'un Italien pouvait ajouter à celle d'un Français, à moins que cet Italien ne fût le maître de toutes les consciences de l'univers. Ou l'archevêque de Bourges avait le droit d'ouvrir le ciel à Henri IV, ou le pape ne l'avait pas; et quand ni l'un ni l'autre n'auraient eu cette puissance, Henri IV n'était pas moins roi par sa naissance et par sa valeur. C'était bien là le cas d'en appeler comme d'abus. Henri IV, affermi sur le trône, n'aurait pas eu besoin de la cour de Rome, et tous les parlements l'auraient déclaré roi légitime et bon catholique sans consulter le pape; mais on a déjà vu ce que peuvent les préjugés.

Henri IV fut réduit à demander pardon à l'évêque de Rome, Aldobrandin, nommé Clément VIII, de s'être fait absoudre par l'évêque de Bourges, alléguant qu'il n'avait commis cette faute que pressé par la nécessité et par le temps, le suppliant de le recevoir au nombre de ses enfants. Ce fut par le duc de Nevers, son ambassadeur, qu'il fit porter ces paroles; mais le pape ne voulut point recevoir le duc de Nevers comme ambassadeur de Henri IV; il l'admit à lui baiser les pieds comme un particulier. Aldobrandin, par cette dureté, faisait valoir son autorité pontificale, et montrait en même temps sa faiblesse. On voyait dans toutes ses démarches sa crainte de déplaire à Philippe II, autant que la fierté d'un pape. Le duc de Nevers ne recevait de réponse à ses mémoires que par le jésuite Tolet, depuis peu promu au cardinalat.

Il n'est pas inutile d'observer les raisons que ce jésuite cardinal alléguait au duc de Nevers : « Jésus-Christ, lui disait-il, n'est pas obligé de remettre les errants dans le bon chemin; il leur a commandé de s'adresser à ses disciples: c'est ainsi que saint André en usa avec les Gentils'. »

1. De Thou, livre CVIII. (Note de Voltaire.)

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