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de ville; on se battit avec fureur dans Toulouse: il y périt trois à quatre mille citoyens, et c'est là l'origine de cette fameuse proçession qu'on fait encore à Toulouse tous les ans, le 10 mars, en mémoire de ce qu'on devrait oublier. Le chancelier de L'Hospital, sage et inutile médecin de cette frénésie universelle, cassa vainement l'arrêt qui ordonnait cette funeste cérémonie annuelle1.

Le prince de Condé cependant faisait une véritable guerre. Son propre frère, le roi de Navarre, après avoir longtemps flotté entre la cour et le parti protestant, ne sachant s'il était calviniste ou papiste, toujours incertain et toujours faible, suivit le duc de Guise au siége de Rouen, dont les troupes du prince de Condé s'étaient emparées; il y fut blessé à mort, en visitant la tranchée le 13 octobre 1562 la ville fut prise et livrée au pillage. Tous les partisans du prince de Condé qu'on y trouva furent massacrés, excepté ceux qu'on réserva au supplice. Le chancelier de L'Hospital, au milieu de ces meurtres, fit encore publier un édit par lequel le roi et la reine sa mère ordonnaient à tous les parlements du royaume de suspendre toute procédure criminelle contre les hérétiques, et proposaient une amnistie générale à ceux qui s'en rendraient dignes.

Voilà le troisième arrêt de douceur et de paix que ce grand homme fit en moins de deux ans ; mais la rage d'une guerre à la fois civile et religieuse l'emporta toujours sur la tolérance du chancelier.

Le parlement de Normandie, malgré l'édit, fit pendre trois conseillers de ville et le prédicant ou ministre Marlorat, avec plusieurs officiers.

Le prince de Condé à son tour souffrit que dans Orléans, dont il était maître, le conseil de ville fit pendre un conseiller du parlement de Paris, nommé Sapin, et un prêtre qui avait été pris en voyageant; il n'y avait plus d'autre droit que celui de la guerre.

Cette même année se donna la première bataille rangée entre les catholiques et les huguenots, auprès de la petite ville de Dreux, non loin des campagnes d'Ivry, lieu où depuis le grand Henri IV gagna et mérita sa couronne.

D'un côté on voyait ces trois triumvirs, le vieux et malheureux connétable de Montmorency; François de Guise, qui n'était plus lieutenant général de l'État, mais qui, par sa réputation, en était

1. Voyez dans les Mélanges, année 1766, l'Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven.

2. Voyez la note sur le vers 88 du chant II de la Henriade, tome VIII, page 69.

le premier homme; et le maréchal de Saint-André, qui commandait sous le connétable.

A la tête de l'armée protestante était le prince Louis de Condé, l'amiral Coligny, et son frère d'Andelot : presque tous les officiers de l'une et de l'autre armée étaient ou parents ou alliés, et chaque parti avait amené des troupes étrangères à son secours.

L'armée catholique avait des Suisses, l'autre avait des reîtres. Ce n'est pas ici le lieu de décrire cette bataille: elle fut, comme toutes celles que les Français avaient données, sans ordre, sans art, sans ressource prévue. Il n'y eut que le duc de Guise qui sut mettre un ordre certain dans le petit corps de réserve qu'il commandait. Le connétable fut enveloppé et pris, comme il l'avait été à la bataille de Saint-Quentin. Le prince de Condé eut le même sort. Le maréchal de Saint-André, abandonné des siens, fut tué par le fils du greffier de l'Hôtel de Ville de Paris, nommé Bobigny. Ce maréchal avait emprunté de l'argent au greffier : au lieu de payer le père, il avait maltraité le fils. Celui-ci jura de s'en venger, et tint parole. Un simple citoyen qui a du courage est supérieur, dans une bataille, à un seigneur de cour qui n'a que de l'orgueil.

Le duc de Guise, voyant les deux chefs opposés prisonniers, et tout en confusion, fit marcher à propos son corps de réserve, et gagna le champ de bataille : ce fut le 20 décembre 1562. François de Guise alla bientôt après faire le siége d'Orléans. Ce fut là qu'il fut assassiné, le 18 février 1563, par Poltrot de Méré1, gentilhomme angoumois. Ce n'était pas le premier assassinat que la rage de religion avait fait commettre. Il y en avait eu plus de quatre mille dans les provinces; mais celui-ci fut le plus signalé, par le grand nom de l'assassiné et par le fanatisme du meurtrier, qui crut servir Dieu en tuant l'ennemi de sa secte.

J'anticiperai ici un peu le temps pour dire que, quand Charles IX revint à Paris après sa majorité, la mère du duc de Guise, Antoinette de Bourbon, sa femme Anne d'Este, et toute sa famille, vinrent en deuil se jeter aux genoux du roi, et demander justice contre l'amiral Coligny, qu'on accusait d'avoir encouragé Poltrot à ce crime.

Le parlement condamna Poltrot, le 18 mars, à être déchiré avec des tenailles ardentes, tiré à quatre chevaux et écartelé, supplice réservé aux assassins des rois. Le criminel varia toujours à la question, tantôt chargeant l'amiral Coligny et d'Andelot, son

1. Voyez tome XII, page 505; François de Guise ne mourut que six jours après ses blessures.

frère, tantôt les justifiant. Il demanda à parler au premier président, Christophe de Thou, avant que d'aller au supplice. Il varia de même devant lui. Tout ce qu'on put enfin conjecturer de plus vraisemblable, c'est qu'il n'avait d'autre complice que la fureur du fanatisme. Tels ont été presque tous ceux à qui l'abus de la religion chrétienne a mis dans tous les temps le poignard à la main, tous aveuglés par les exemples de Jaël, d'Aod, de Judith, et de Mathathias qui tua dans le temple l'officier du roi Antiochus, dans le temps que ce capitaine voulait exécuter les ordres de son maître, et sacrifier un cochon sur l'autel. Tous ces assassinats étant malheureusement consacrés, il n'est pas étonnant que des fanatiques absurdes, ne distinguant pas les temps et les lieux, aient imité des attentats qui doivent inspirer l'horreur, quoique rapportés dans un livre qui inspire du respect.

CHAPITRE XXV.

DE LA MAJORITÉ DE CHARLES IX, ET DE SES SUITES.

Après la prise de Rouen et la bataille de Dreux, le chancelier de L'Hospital réussit à donner à la France quelque ombre de paix. On posa les armes des deux côtés, on rendit tous les prisonniers. Il y eut un quatrième édit de pacification signé et scellé à Amboise le 19 mars 1563, publié et enregistré au parlement de Paris et dans toutes les cours du royaume.

Le roi fut ensuite déclaré majeur au parlement de Normandie ; il n'avait pas encore quatorze ans accomplis; né le 27 juin 1550, l'acte de sa majorité est du 14 auguste 1563 ainsi il était âgé de treize ans un mois et dix-sept jours. Le chancelier de L'Hospital dit, dans son discours, que c'était pour la première fois que les années commencées passaient pour des années accomplies. Il est difficile de démêler pourquoi il parlait ainsi : car Charles VI fut sacré à Reims en 1380, âgé de treize ans et quelques jours. Ce fut plutôt pour la première qu'un roi fut déclaré majeur dans un parlement. Charles IX s'assit sur un trône; la reine sa mère vint lui baiser la main à genoux; elle fut suivie d'Alexandre, duc d'Orléans, qui fut depuis le roi Henri III; du prince de Navarre, c'est le

grand Henri IV; ensuite Charles, cardinal de Bourbon, le prince Louis de Montpensier, François son fils, nommé le Dauphin d'Auvergne, Charles de La Roche-sur-Yon, rendirent le même hommage, et vinrent se ranger auprès du roi.

Le cardinal de Lorraine et le cardinal Odet de Châtillon, frère de l'amiral, suivirent les princes. Il est à remarquer que le cardinal de Châtillon s'était déclaré protestant; il s'était publiquement marié à l'héritière de Péquigny, et il n'en assista pas moins en habit de cardinal à cette cérémonie. Éléonore, duc de Longueville, descendant du fameux Dunois, baisa la main du roi après les cardinaux; vint ensuite le connétable de Montmorency, l'épée nue à la main; le chancelier Michel de L'Hospital, quoique fils d'un médecin, et n'étant pas au rang des nobles, suivit le connétable; il précéda les maréchaux de Brissac, de Montmorency, de Bourdillon. Le marquis de Gouffier de Boisy, grand-écuyer, parut après les maréchaux de France.

L'édit fut porté par le marquis de Saint-Gelais de Lansac au parlement de Paris, pour y être enregistré; « mais, dit le président de Thou, ce parlement le refusa; il députa Christophe de Thou (son père), Nicolas Prévôt, président des enquêtes, et le conseiller Guillaume Viole, pour représenter qu'aucun édit ne devait passer en aucun parlement du royaume sans avoir été auparavant vérifié à celui de Paris; que l'édit sur la majorité du roi portait que les huguenots auraient liberté de conscience, mais qu'en France il ne devait y avoir qu'une religion; que le même édit ordonnait à tout le monde de poser les armes, mais que la ville de Paris devait être toujours armée, parce qu'elle était la capitale et la forteresse du royaume ».

Le roi, quoique jeune, mais instruit par sa mère, répondit: « Je vous ordonne de ne pas agir avec un roi majeur comme vous avez fait pendant sa minorité; ne vous mêlez pas des affaires dont il ne vous appartient pas de connaître; souvenez-vous que votre compagnie n'a été établie par les rois que pour rendre la justice suivant les ordonnances du souverain. Laissez au roi et à son conseil les affaires d'État; défaites-vous de l'erreur de vous regarder comme les tuteurs des rois, comme les défenseurs du royaume, et comme les gardiens de Paris. »

Les députés ayant rapporté à la compagnie les intentions du

1. Voyez tome XII, page 506; c'est à ce cardinal de Châtillon que Rabelais dédia le quatrième livre de Pantagruel; voyez dans les Mélanges, année 1767, la fin de la première des Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de

roi, le parlement délibéra: les sentiments furent partagés. Pierre Séguier, président qu'on nomme à mortier, c'est-à-dire président de la grand'chambre du parlement, et François Dormy, président des enquêtes, allèrent rendre compte de ce partage au roi, qui était alors à Meulan. Le roi cassa, le 24 septembre, cet arrêt de partage, ordonna que la minute serait biffée et lacérée; et enfin le parlement enregistra l'édit de la majorité le 28 septembre de la même année.

CHAPITRE XXVI.

DE L'INTRODUCTION DES JESUITES EN FRANCE.

On sait assez que l'Espagnol Ignace de Loyola, s'étant déclaré le chevalier errant de la Vierge Marie, et ayant fait la veille des armes en son honneur, était venu apprendre un peu de latin à Paris à l'âge de trente-trois ans 1; que, n'ayant pu y réussir, il fit vœu avec quelques-uns de ses compagnons d'aller convertir les Turcs, quoiqu'il ne sût pas plus le turc que le latin. Enfin, n'ayant pu passer en Turquie, il se consacra, lui et les siens, à enseigner le catéchisme aux petits enfants, et à faire tout ce que voudrait le pape; mais peu de gens savent pourquoi il nomma sa congrégation naissante la Société de Jésus.

Les historiens de sa vie rapportent que sur le grand chemin de Rome il fut ravi en extase, que le Père éternel lui apparut avec son fils chargé d'une longue croix, et se plaignant de ses douleurs; le Père éternel recommanda Ignace à Jésus, et Jésus à Ignace. Dès ce jour il appela ses compagnons jésuites, ou Compagnie de Jésus. Il ne faut pas s'étonner qu'une compagnie à laquelle on a reproché tant de politique ait commencé par le ridicule : la prudence achève souvent les édifices fondés par le fanatisme.

Les disciples d'Ignace obtinrent de la protection en France. Guillaume Duprat, évêque de Clermont, fils du cardinal Duprat, leur donna dans Paris une maison qu'ils appelèrent le collége de

1. Voyez tome XII, page 340.

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