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fait et du droit occupait les esprits. On proposa enfin, en 1701, un problème théologique qu'on appela le cas de conscience par excellence : « Pouvait-on donner les sacrements à un homme qui aurait signé le formulaire, en croyant, dans le fond de son cœur, que le pape, et même l'Église peut se tromper sur les faits? » Quarante docteurs signèrent qu'on pouvait donner l'absolution à un tel homme.

Aussitôt la guerre recommence. Le pape et les évêques voulaient qu'on les crût sur les faits. L'archevêque de Paris, Noailles, ordonna qu'on crût le droit d'une foi divine, et le fait d'une foi humaine. Les autres, et même l'archevêque de Cambrai Fénelon, qui n'était pas content de M. de Noailles, exigèrent la foi divine pour le fait. Il eût mieux valu peut-être se donner la peine de citer les passages du livre ; c'est ce qu'on ne fit jamais.

Le pape Clément XI donna, en 1705, la bulle Vineam Domini, par laquelle il ordonna de croire le fait, sans expliquer si c'était d'une foi divine ou d'une foi humaine.

C'était une nouveauté introduite dans l'Église de faire signer des bulles à des filles. On fit encore cet honneur aux religieuses de Port-Royal des Champs. Le cardinal de Noailles fut obligé de leur faire porter cette bulle pour les éprouver. Elles signèrent, sans déroger à la paix de Clément IX, et se retranchant dans le silence respectueux à l'égard du fait.

On ne sait ce qui est plus singulier, ou l'aveu qu'on demandait à des filles que cinq propositions étaient dans un livre latin, ou le refus obstiné de ces religieuses.

Le roi demanda une bulle au pape pour la suppression de leur monastère. Le cardinal de Noailles les priva des sacrements. Leur avocat fut mis à la Bastille. Toutes les religieuses furent enlevées et mises chacune dans un couvent moins désobéissant. Le lieutenant de police' fit démolir, en 1709, leur maison de fond en comble; et enfin, en 1711, on déterra les corps qui étaient dans l'église et dans le cimetière, pour les transporter ailleurs.

Les troubles n'étaient pas détruits avec ce monastère. Les jansénistes voulaient toujours cabaler, et les jésuites se rendre nécessaires. Le P. Quesnel, prêtre de l'Oratoire, ami du célèbre Arnauld, et qui fut compagnon de sa retraite jusqu'au dernier moment, avait, dès l'an 1671, composé un livre de réflexions pieuses sur le texte du Nouveau Testament. Ce livre contient quelques maximes qui pourraient paraître favorables au jansé

1. D'Argenson.

nisme; mais elles sont confondues dans une si grande foule de maximes saintes et pleines de cette onction qui gagne le cœur que l'ouvrage fut reçu avec un applaudissement universel. Le bien s'y montre de tous côtés, et le mal, il faut le chercher. Plusieurs évêques lui donnèrent les plus grands éloges dans sa naissance, et les confirmèrent quand le livre eut reçu encore, par l'auteur, sa dernière perfection. Je sais même que l'abbé Renaudot, l'un des plus savants hommes de France, étant à Rome la première année du pontificat de Clément XI, allant un jour chez ce pape, qui aimait les savants et qui l'était lui-même, le trouva lisant le livre du P. Quesnel. « Voilà, lui dit le pape, un livre excellent. Nous n'avons personne à Rome qui soit capable d'écrire ainsi. Je voudrais attirer l'auteur auprès de moi. » C'est le même pape qui depuis condamna le livre.

Il ne faut pourtant pas regarder ces éloges de Clément XI, et les censures qui suivirent les éloges, comme une contradiction. On peut être très-touché, dans une lecture, des beautés frappantes d'un ouvrage, et en condamner ensuite les défauts cachés. Un des prélats qui avaient donné en France l'approbation la plus sincère au livre de Quesnel était le cardinal de Noailles, archevêque de Paris. Il s'en était déclaré le protecteur lorsqu'il était évêque de Châlons; et le livre lui était dédié. Ce cardinal, plein de vertus et de science, le plus doux des hommes, le plus ami de la paix, protégeait quelques jansénistes, sans l'être; et aimait peu les jésuites, sans leur nuire et sans les craindre.

Ces jésuites commençaient à jouir d'un grand crédit, depuis que le P. de La Chaise, gouvernant la conscience de Louis XIV, était en effet à la tête de l'Église gallicane. Le P. Quesnel, qui les craignait, était retiré à Bruxelles avec le savant bénédictin Gerberon, un prêtre nommé Brigode, et plusieurs autres du même parti. Il en était devenu chef après la mort du fameux Arnauld, et jouissait comme lui de cette gloire flatteuse de s'établir un empire secret indépendant des souverains, de régner sur des consciences, et d'être l'âme d'une faction composée d'esprits éclairés. Les jésuites, plus répandus que sa faction et plus puissants, déterrèrent bientôt Quesnel dans sa solitude. Ils le persécutèrent auprès de Philippe V, qui était encore maître des Pays-Bas, comme ils avaient poursuivi Arnauld, son maître, auprès de Louis XIV. Ils obtinrent un ordre du roi d'Espagne de faire arrêter ces solitaires. (1703) Quesnel fut mis dans les prisons de l'archevêché de Malines. Un gentilhomme, qui crut que le parti janséniste ferait sa fortune s'il délivrait le chef, perça les murs, et fit évader Quesnel, qui se

retira à Amsterdam, où il est mort en 17191, dans une extrême vieillesse, après avoir contribué à former en Hollande quelques églises de jansénistes, troupeau faible qui dépérit tous les jours.

Lorsqu'on l'arrêta, on saisit tous ses papiers, et on y trouva tout ce qui caractérise un parti formé. Il y avait une copie d'un ancien contrat fait par les jansénistes avec Antoinette Bourignon, célèbre visionnaire, femme riche, et qui avait acheté, sous le nom de son directeur, l'île de Nordstrand près du Holstein pour y rassembler ceux qu'elle prétendait associer à une secte de mystiques qu'elle avait voulu établir.

Cette Bourignon avait imprimé à ses frais dix-neuf gros volumes de pieuses rêveries, et dépensé la moitié de son bien à faire des prosélytes. Elle n'avait réussi qu'à se rendre ridicule, et même avait essuyé les persécutions attachées à toute innovation. Enfin, désespérant de s'établir dans son ile, elle l'avait revendue aux jansénistes, qui ne s'y établirent pas plus qu'elle.

On trouva encore dans les manuscrits de Quesnel un projet plus coupable, s'il n'avait été insensé. Louis XIV ayant envoyé en Hollande, en 1684, le comte d'Avaux, avec plein pouvoir d'admettre à une trêve de vingt années les puissances qui voudraient y entrer, les jansénistes, sous le nom des disciples de saint Augustin, avaient imaginé de se faire comprendre dans cette trêve, comme s'ils avaient été en effet un parti formidable, tel que celui des calvinistes le fut si longtemps. Cette idée chimérique était demeurée sans exécution; mais enfin les propositions de paix des jansénistes avec le roi de France avaient été rédigées par écrit. Il y avait eu certainement dans ce projet une envie de se rendre trop considérables; et c'en était assez pour être criminels. On fit aisément croire à Louis XIV qu'ils étaient dangereux.

Il n'était pas assez instruit pour savoir que de vaines opinions de spéculation tomberaient d'elles-mêmes si on les abandonnait à leur inutilité. C'était leur donner un poids qu'elles n'avaient point que d'en faire des matières d'État. Il ne fut pas difficile de faire regarder le livre du P. Quesnel comme coupable, après que l'auteur eut été traité en séditieux. Les jésuites engagèrent le roi lui-même à faire demander à Rome la condamnation du livre. C'était en effet faire condamner le cardinal de Noailles, qui en avait été le protecteur le plus zélé. On se flattait avec raison que le pape Clément XI mortifierait l'archevêque de Paris. Il faut

1. Le 2 décembre, âgé de quatre-vingt-six ans.

2. Née à Lille, morte en 1680; Voltaire en a parlé tome XIV, page 32.

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savoir que quand Clément XI était le cardinal Albani, il avait fait imprimer un livre tout moliniste de son ami le cardinal de Sfondrate, et que M. de Noailles avait été le dénonciateur de ce livre. Il était naturel de penser qu'Albani, devenu pape, ferait au moins, contre les approbations données à Quesnel, ce qu'on avait fait contre les approbations données à Sfondrate.

On ne se trompa point : le pape Clément XI donna, vers l'an 1708, un décret contre le livre de Quesnel. Mais alors les affaires temporelles empêchèrent que cette affaire spirituelle, qu'on avait sollicitée, ne réussît. La cour était mécontente de Clément XI, qui avait reconnu l'archiduc Charles pour roi d'Espagne, après avoir reconnu Philippe V. On trouva des nullités dans son décret : il ne fut point reçu en France, et les querelles furent assoupies jusqu'à la mort du P. de La Chaise, confesseur du roi, homme doux, avec qui les voies de conciliation étaient toujours ouvertes, et qui ménageait dans le cardinal de Noailles l'allié de Mme de Maintenon.

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Les jésuites étaient en possession de donner un confesseur au roi, comme à presque tous les princes catholiques. Cette prérogative était le fruit de leur institut, par lequel ils renoncent aux dignités ecclésiastiques. Ce que leur fondateur établit par humilité était devenu un principe de grandeur. Plus Louis XIV vieillissait, plus la place de confesseur devenait un ministère considérable. Ce poste fut donné à Le Tellier, fils d'un procureur de Vire', en basse Normandie, homme sombre, ardent, inflexible, cachant ses violences sous un flegme apparent il fit tout le mal qu'il pouvait faire dans cette place, où il est trop aisé d'inspirer ce qu'on veut et de perdre qui l'on hait; il avait à venger ses injures particulières. Les jansénistes avaient fait condamner à Rome un de ses livres sur les cérémonies chinoises. Il était mal personnellement avec le cardinale Noailles, et il ne savait rien ménager. Il remua toute l'Église de France. Il dressa, en 1711, des lettres et des mandements, que des évêques devaient signer. Il leur envoyait des accusations contre le cardinal de Noailles, au bas desquelles ils n'avaient plus qu'à mettre leur nom. De telles manœuvres, dans des affaires profanes, sont punies; elles furent découvertes, et n'en réussirent pas moins".

1. Michel Le Tellier, sixième et dernier corfesseur de Louis XIV, était fils d'un vigneron des environs de Coutances. Son homonyme le chancelier Michel Le Tellier, mort plus de trente ans avant lui, était petit-fils d'un marchand de vin à Ai. (CL.)

2. Il est dit dans la Vie du duc d'Orléans, imprimée en 1737, que le cardinal de Noailles accusa le P. Le Tellier de vendre les bénéfices, et que le jésuite dit au

La conscience du roi était alarmée par son confesseur autant que son autorité était blessée par l'idée d'un parti rebelle. En vain le cardinal de Noailles lui demanda justice de ces mystères d'iniquité; le confesseur persuada qu'il s'était servi des voies humaines pour faire réussir les choses divines; et comme en effet il défendait l'autorité du pape et celle de l'unité de l'Église, tout le fond de l'affaire lui était favorable. Le cardinal s'adressa au dauphin, duc de Bourgogne; mais il le trouva prévenu par les lettres et par les amis de l'archevêque de Cambrai. La faiblesse humaine entre dans tous les cœurs. Fénelon n'était pas encore assez philosophe pour oublier que le cardinal de Noailles avait contribué à le faire condamner; et Quesnel payait alors pour Mme Guyon.

Le cardinal n'obtint pas davantage du crédit de Mme de Maintenon. Cette seule affaire pourrait faire connaître le caractère de cette dame, qui n'avait guère de sentiments à elle, et qui n'était occupée que de se conformer à ceux du roi. Trois lignes de sa main au cardinal de Noailles développent tout ce qu'il faut penser, et d'elle, et de l'intrigue du P. Le Tellier, et des idées du roi, et de la conjoncture. « Vous me connaissez assez pour savoir ce que je pense sur la découverte nouvelle; mais bien des raisons doivent me retenir de parler. Ce n'est point à moi à juger et à condamner; je n'ai qu'à me taire et à prier pour l'Église, pour le roi, et pour vous. J'ai donné votre lettre au roi ; elle a été lue: c'est tout ce que je puis vous en dire, étant abattue de tristesse. »

Le cardinal archevêque, opprimé par un jésuite, ôta les pouvoirs de prêcher et de confesser à tous les jésuites, excepté à quelques-uns des plus sages et des plus modérés. Sa place lui donnait le droit dangereux d'empêcher Le Tellier de confesser le roi;

roi : « Je consens à être brûlif si.l'on prouve cette accusation, pourvu que le cardinal soit brûlé vif aussi en cas qu'il ne la prouve pas. »>

Ce conte est tiré des pièces qui coururent sur l'affaire de la constitution, et ces pièces sont remplies d'autant d'absurdités que la Vie du duc d'Orléans. La plupart de ces écrits sont composés par des malheureux qui ne cherchent qu'à gagner de l'argent : ces gens-là ne savent pas qu'un homme qui doit ménager sa considération auprès d'un roi qu'il confesse ne lui propose pas, pour se disculper, de faire brûler vif son archevêque.

Tous les petits contes de cette espèce se retrouvent dans les Mémoires de Maintenon. Il faut soigneusement distinguer entre les faits et les oui-dire. (Note de Voltaire.) On proposa pour confesseur à Louis XIV Le Tellier et Tournemine. Tournemine, littérateur assez savant, pensait avec autant de liberté, et avait aussi peu de fanatisme qu'il était possible à un jésuite. Mais il était d'une naissance illustre, et Louis XIV ne voulut pas d'un confesseur fait pour aspirer aux premières places de l'Église ct de l'État; il craignait d'ailleurs l'ambition de sa famille. (K.)

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