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sa mémoire chère à tous ceux qui rendent la justice, et à ceux qui l'aiment. Il ordonne par cet édit qu'on suive toujours la loi, malgré les ordres contraires à la loi, que l'importunité pourrait arracher du monarque. »

CHAPITRE XV.

COMMENT LE PARLEMENT SE CONDUISIT DANS L'AFFAIRE DU CONCORDAT.

Le règne de François Ier fut un temps de prodigalité et de malheurs. S'il eut quelque éclat, ce fut par la renaissance des lettres, jusqu'alors méprisées. L'encouragement que Charles-Quint, François Ier et Léon X donnèrent à l'envi l'un de l'autre aux sciences et aux beaux-arts rendit ce siècle mémorable. La France commença pour lors à sortir pour quelque temps de la barbarie; mais les malheurs causés par les guerres et par la mauvaise administration furent beaucoup plus grands que l'avantage de commencer à s'instruire ne fut considérable.

La première affaire dans laquelle le parlement entra avec une fermeté sage et respectueuse fut celle du concordat. Louis XI avait toujours laissé subsister la pragmatique, après l'avoir imprudemment sacrifiée. Louis XII, trahi par le pape Alexandre VI, et violemment outragé par Jules II, avait rendu toute sa vigueur à cette loi du royaume, qui devait être la loi de toutes les nations chrétiennes. La cour de Rome dominait dans toutes les autres cours, ou du moins négociait toujours à son avantage.

L'empereur Frédéric III, les électeurs et les princes d'Allemagne, avaient fait un concordat avec Nicolas V, en 1448, avant que Louis VI eût renoncé à la pragmatique, et l'eût ensuite favorisée. Ce concordat germanique subsiste encore: le pape y a beaucoup gagné il est vrai qu'il ne vend point d'expectatives ni de réserves; mais il nomme à la plupart des canonicats six mois de l'année; il est vrai qu'on ne lui paye point d'annates, mais on lui paye une taxe qui en tient lieu tout a été vendu dans l'Église sous des noms différents. Frédéric III reçut des reproches des états de l'empire, et son concordat demeura en vigueur. François Ier, qui avait besoin du pape Léon X, comme Louis XI avait eu besoin de Pie II, fit, à l'exemple de Frédéric III, un concordat

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dans lequel on dit que le roi et le pape avaient pris ce qui ne leur appartenait pas, et donné ce qu'ils ne pouvaient donner; mais il est très-vrai que le roi, en reprenant par ce traité le droit de nommer aux évêchés et aux abbayes de son royaume, ne reprenait que la prérogative de tous les premiers rois de France. Les élections causaient souvent des troubles, et la nomination du roi n'en apporte pas. Les rois avaient fondé tous les biens de l'Église, ou avaient succédé aux princes dont l'Église avait reçu ces terres il était juste qu'ils conférassent les bénéfices fondés par eux, sauf aux seigneurs, descendants reconnus des premiers fondateurs, de nommer dans leurs terres à ces biens de l'Église, donnés par leurs ancêtres, comme le roi devait conférer les biens donnés par les rois ses aïeux.

Mais il n'était ni dans la loi naturelle, ni dans celle de JésusChrist, qu'un évêque ultramontain reçût en argent comptant la première année des fruits que ces terres produisent; que la promotion d'un évêque d'un siège à un autre valût encore à ce pontife étranger une année des revenus des deux évêchés; qu'un évêque n'osat s'intituler pasteur de son troupeau que par la permission du saint-siége de Rome, jadis l'égal en tout des autres siéges.

Cependant les droits des ecclésiastiques gradués étaient conservés de trois bénéfices vacants, ils pouvaient, par la pragmatique, en postuler un, et par le concordat on leur accordait le droit d'impétrer un bénéfice pendant quatre mois de l'année; ainsi l'université n'avait point à se plaindre de cet arrangement.

Le concordat déplut à toute la France. Le roi vint lui-même au parlement; il y convoqua plusieurs évêques, le chapitre de la cathédrale de Paris, et des députés de l'université. Le cardinal de Boissy, à la tête du clergé convoqué, dit « qu'on ne pouvait recevoir le concordat sans assembler toute l'Église gallicane. François [ lui répondit : « Allez donc à Rome contester avec le « pape ».

Le parlement, après plusieurs séances, conclut à rejeter le concordat jusqu'à l'acceptation de l'Église de France. L'université défendit aux libraires, qui alors dépendaient d'elle, d'imprimer le concordat; elle appela au futur concile.

Le conseil du roi rendit un édit par lequel il défendait à l'université de se mêler des affaires d'État, sous peine de privation de ses priviléges. Le parlement refusa d'enregistrer cet édit; tout fut en confusion. Le roi nommait-il un évêque, le chapitre en élisait un autre; il fallait plaider. Les guerres fatales de François Ier ne servirent qu'à augmenter ces troubles. Il arriva que le

chancelier Duprat, premier auteur du concordat, et depuis cardinal, s'étant fait nommer archevêque de Sens par la mère du roi, régente du royaume pendant la captivité de ce monarque, on ne voulut point le recevoir; le parlement s'y opposa; on attendit la délivrance du roi. Ce fut alors que François Ier attribua à la juridiction du grand conseil la connaissance de toutes les affaires qui regardent la nomination du roi aux bénéfices 1.

Il est à propos de dire que ce grand conseil avait succédé au véritable conseil des rois, composé autrefois des premiers du royaume, de même que le parlement avait succédé aux quatre grands baillis de saint Louis, aux parloirs du roi. On ne peut faire un pas dans l'histoire qu'on ne trouve des changements dans tous les ordres de l'État et dans tous les corps.

Ce grand conseil fut fixé à Paris par Charles VIII. Il n'avait pas la considération du parlement de Paris, mais il jouissait d'un droit qui le rendait supérieur en ce point à tous les parlements: c'est qu'il connaissait des évocations des causes jugées par les parlements mêmes; il réglait quelle cause devait ressortir à un parlement ou à un autre; il réformait les arrêts dans lesquels il y avait des nullités; il faisait, en un mot, ce que fait le conseil d'État, qu'on appelle le conseil des parties. Les parlements lui ont toujours contesté sa juridiction. Les rois, trop souvent occupés de guerres malheureuses, ou de troubles intestins plus malheureux. encore, ont pu rarement fixer les bornes de chaque corps, et établir une jurisprudence certaine et invariable. Toute autorité veut toujours croître, tandis que d'autres puissances veulent la diminuer. Les établissements humains ressemblent aux fleuves, dont les uns enflent leurs cours, et les autres se perdent dans des sables.

CHAPITRE XVI.

DE LA VENALITÉ DES CHARGES ET DES REMONTRANCES SOUS FRANÇOIS 1.

Depuis l'extinction du gouvernement féodal en France, on ne combattait plus qu'avec de l'argent, surtout quand on faisait la

1. Comparez le commencement du chapitre cxxXVII de l'Essai sur les Mours.

guerre en pays étrangers. Ce n'était pas avec de l'argent que les Francs et les autres barbares du Nord avaient combattu; ils s'étaient servis de fer pour ravir l'argent des autres nations. C'était tout le contraire quand Louis XII et François Ier passèrent en Italie. Louis XII avait acheté des Suisses, et ne les avait point. payés. Ces Suisses demandèrent leur argent l'épée à la main; ils assiégèrent Dijon. Le faible Louis XII eut beaucoup de peine à les apaiser. Ces mêmes Suisses se tournèrent contre François Ier. Le pape Léon X, qui n'avait pas encore signé le concordat avec le roi, animait contre lui les cantons; et ce fut pour résister aux Suisses que le chancelier Duprat, auparavant premier président, prostitua la magistrature au point de la vendre. Il mit à l'encan vingt charges nouvelles de conseillers au parlement.

Louis XII avait auparavant vendu, dans un même besoin, les charges des généraux des finances vénales. Ce mal était bien moins grand et bien moins honteux; mais vendre des charges de juges au dernier enchérisseur, c'était un opprobre qui consterna le parlement. Il fit de très-fortes remontrances; mais Duprat les ayant éludées, il fallut obéir; les vingt conseillers nouveaux furent reçus; on les distribua, dix dans une chambre des enquêtes, et dix dans une autre.

La même innovation se fit dans tous les autres parlements du royaume; et c'est depuis ce temps que les charges furent presque toutes vénales en France. Un impôt également réparti, et dont les corps de ville et les financiers même auraient avancé les deniers, eût été plus raisonnable et plus utile; mais le ministère comptait sur l'empressement des bourgeois, dont la vanité achèterait à l'envi ces nouvelles charges.

Ce trafic ouvrit le sanctuaire de la justice à des gens quelquefois si indignes d'y entrer que dans l'affaire de Semblançay, surintendant des finances, trahi, dit-on, par un de ses commis nommé Gentil, jugé par commissaires, condamné à être pendu au gibet de Montfaucon, ce Gentil, qui lui avait volé ses papiers justificatifs, et qui craignait d'être un jour recherché, acheta, pour se mettre à l'abri, une charge de conseiller au parlement; de conseiller il devint président; mais ayant continué ses malversations, il fut dégradé, et condamné à la potence par le parlement même on l'exécuta sous le gibet de Montfaucon, où son infidélité avait conduit son maître.

L'argent provenu de la vente de vingt charges de magistrature à Paris, et d'environ trente autres dans le reste du royaume, ne suffisant pas à François Ier pour sa malheureuse expédition

d'Italie, il acheta la grille d'argent dont Louis XI avait orné l'église de Saint-Martin de Tours. Elle pesait six mille sept cent soixante et seize marcs deux onces moins un gros; il prit aussi des ornements d'argent dans d'autres églises : faibles secours pour conquérir le Milanais et le royaume de Naples, qu'il ne conquit point.

Le payement de cette argenterie fut assigné sur ses domaines ; il y en avait pour deux cent cinquante mille francs. Les moines et les chanoines, pour se mettre à l'abri des censures de Rome, et encore plus pour assurer leur payement sur le domaine du roi, voulurent que ce marché fût enregistré au parlement.

Le roi envoya le capitaine Frédéric, commandant de la garde écossaise, porter au parlement les lettres patentes pour l'enregistrement (20 juin 1522). L'avocat du roi Jean Le Lièvre parla; il exposa les cas où ce n'était pas la coutume de prendre l'argent des églises, et les cas où il était permis de le prendre. Il fut arrêté que la cour écrirait au roi les raisons pour lesquelles icelles lettres patentes ne pouvaient être publiées.

C'est le premier exemple que nous ayons des remontrances du parlement sur un objet de finances1. Il s'agissait proprement de prévenir un procès entre le domaine du roi et les gens d'église. Le roi renvoya, le 27 juin, le même capitaine Frédéric avec une lettre, laquelle finissait par ces paroles :

« L'impossible serait de prendre les treillis de Saint-Martin de Tours, et autres joyaux des églises qui ne sont que trois ou quatre, qu'il ne vienne à la connaissance publique d'un chacun, et y en aura plus grand nombre qui le sauront par la prise que par la publication dudit édit ; pourquoi vous mandons derechef et trèsexpressément, et d'autant que craignez la rupture de nos affaires, qui sont telles, et de telle importance que chacun sait, que vous procédiez à la publication et vérification de notredit édit car ceux de ladite église de Saint-Martin demandent ledit édit en cette forme, si n'y faites plus de difficulté, pour autant que nos affaires nous pressent de si près que la longueur est plus préjudiciable à nous et à notre royaume que ne le vous pourrions écrire. Donné à Lyon le 23 juin. Sic signatum: FRANÇOIS. Et plus bas: GÉDOIN. »

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Le parlement ordonna que les lettres patentes du roi seraient lues, publiées et enregistrées, quoad domanium duntaxat, c'est-àdire seulement pour ce qui regarde le domaine du roi : « plus

1 Voyez chapi tre xit, page 481.

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