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«En obéissant comme de raison au bon plaisir du roi notre sire. » Et il est à remarquer que depuis le LXXIII jusqu'au LXXX article, le parlement compte quatre millions six cent quarante-cinq mille huit cents écus extorqués à la France par la chambre apostolique, depuis l'invention de ces monopoles. Observons ici qu'il n'y avait pas trente ans que Jean XXII, réfugié dans Avignon, avait inventé ces exactions, qui le rendirent le plus riche de tous les papes, quoiqu'il n'eût presque aucun domaine en Italie.

Le roi Louis XI, s'étant depuis raccommodé avec le pape, lui sacrifia encore la pragmatique, en 1469; et c'est alors que le parlement, soutenant les intérêts de l'État, fit de son propre mouvement de très-fortes remontrances que le roi n'écouta pas; mais ces remontrances étant le vœu de la nation entière, et Louis XI s'étant encore brouillé avec le pape, la pragmatique, traînée à Rome dans la boue, fut en honneur et en vigueur dans toute la France.

C'est ici que nous devons observer que cette compagnie fut dans tous les temps le bouclier de la France contre les entreprises de la cour de Rome. Sans ce corps, la France aurait eu l'humiliation d'être un pays d'obédience. C'est à lui qu'on doit la ressource des appels comme d'abus, ressource imitée de la loi præmunire d'Angleterre. Ce fut en 1329 que Pierre de Cugnières, avocat du roi, avait proposé le premier ce remède contre les usurpations de l'Église 1.

Quelque despotique que fût Louis XI, le parlement protesta contre les aliénations du domaine de la couronne; mais on ne voit pas qu'il fit des remontrances. Il en fit en 1482 au sujet de la cherté du blé; elles ne pouvaient avoir que le bien public pour objet. Il fut donc en pleine possession de faire des représentations sous le plus absolu de tous les rois ; mais il n'en fit ni sur l'administration publique, ni sur celle des finances. Celle qu'il fit au sujet du blé n'était qu'une affaire de police.

Son arrêt au sujet de l'imprimerie fut cassé par Louis XI, qui savait faire le bien quand il n'était point de son intérêt de faire le mal. Cet art admirable avait été inventé par des Allemands. Trois d'entre eux, en 1470, avaient apporté en France quelques épreuves de cet art naissant; ils exercèrent même leurs talents sous les yeux de la Sorbonne. Le peuple, alors très-grossier, et qui l'a été très-longtemps, les prit pour des sorciers. Les copistes, qui gagnaient leur vie à transcrire le peu d'anciens manuscrits

1. Voyez tome XII, page 23; et le mot APPEL COMME D'ABUS, dans le Dictionnaire philosophique.

qu'on avait en France, présentèrent requête au parlement contre les imprimeurs; ce tribunal fit saisir et confisquer tous leurs livres. Le roi lui défendit de connaître de cette affaire, l'évoqua à son conseil, et fit payer aux Allemands le prix de leurs ouvrages; mais sans marquer d'indignation contre un corps plus jaloux de conserver les anciens usages que soigneux de s'instruire de l'utilité des nouveaux.

DU

CHAPITRE XII.

PARLEMENT DANS LA MINORITÉ DE CHARLES VII, ET

COMMENT

IL REFUSA DE SE MÊLER DU GOUVERNEMENT ET DES FINANCES.

me

Après la mort de Louis XI, dans l'extrême jeunesse de Charles VIII, qui entrait dans sa quatorzième année, le parlement ne fit aucune démarche pour augmenter son pouvoir. Au milieu des divisions et des brigues de Me de Bourbon-Beaujeu, fille de Louis XI: du duc d'Orléans, héritier présomptif de la couronne, qui fut depuis Louis XII; et du duc de Bourbon, frère aîné du prince de Bourbon-Beaujeu, le parlement resta tranquille: il ne s'occupa que du soin de rendre la justice, et de donner au peuple l'exemple de l'obéissance et de la fidélité.

Mme de Beaujeu, qui avait l'autorité principale, quoique contestée, assembla les états généraux en 1484. Le parlement ne demanda pas seulement d'y être admis. Les états donnèrent le gouvernement de la personne du roi à Mme de Beaujeu, sa sœur, selon le testament de Louis XI. Le duc d'Orléans, ayant levé des troupes, crut qu'il mettrait la ville de Paris dans son parti si le parlement se déclarait en sa faveur. Il alla au palais, le 10 janvier 1484, et représenta aux chambres assemblées, par la bouche de Denis Le Mercier, chancelier de son apanage, qu'il fallait qu'on ramenât à Paris le roi, qui était alors à Melun, et qu'il gouvernât par luimême avec les princes.

Jean de La Vaquerie, premier président, répondit au nom des chambres ces propres paroles : « Le parlement est pour rendre justice au peuple; les finances, la guerre, le gouvernement du roi, ne sont point de son ressort. » Il l'exhorta pathétiquement à demeurer dans son devoir, et à ne point troubler la paix du royaume.

15.

HISTOIRE DU PARLEMENT. I.

31

Le duc d'Orléans laissa ses demandes par écrit, le parlement ne fit point de réponse. Le premier président, accompagné de quatre conseillers et de l'avocat du roi, alla recevoir à Melun les ordres de la cour, qui donna de justes éloges à sa conduite.

Cette conduite si respectable ne se démentit, ni dans la guerre que le duc d'Orléans fit à son souverain, ni dans celle que Charles VIII fit depuis en Italie.

Sous Charles VIII il ne se mêla des finances du royaume en aucune manière; cette partie de l'administration était entièrement entre les mains de la chambre des comptes et des généraux des finances: il arriva seulement que Charles VIII, en 1496, dans son expédition brillante et malheureuse d'Italie, voulut emprunter cent mille écus de la ville de Paris; chaque corps fut invité à prêter une partie de la somme l'Hôtel de Ville prêta cinquante mille francs; les corps des métiers en prêtèrent aussi cinquante mille. On ne sait pas ce que prêtèrent les officiers de la chambre des comptes, ses registres sont brûlés. Ceux qui ont échappé à l'autre incendie, qui consuma une partie du palais, portent que le cardinal du Maine, le sire d'Albret, le sire de Clérieux, gouverneur de Paris, le sire de Graville, amiral de France, vinrent proposer aux officiers du parlement de prêter aussi quelques deniers au roi, le 6 août. Il fallait que Charles VIII et son conseil eussent bien mal pris leurs mesures dans cette malheureuse guerre pour être obligés de se servir d'un amiral de France, d'un cardinal, d'un prince, comme de courtiers de change, pour emprunter de l'argent d'une compagnie de magistrats qui n'ont jamais été riches. Le parlement ne prêta rien. « Il remontra aux commissaires la nécessité et indigence du royaume, et le cas si piteux que, non indiget manuscribentis, qui sera cause d'ennui et atédiation aux lisants qui nec talia legendo temperent a lacrymis. On pria les commissaires, comme grands personnages, qu'ils en fissent remontrance au roi, lequel est bon prince. » Bref, le parlement garda son argent. C'est une affaire particulière; elle n'a de rapport à l'intérêt public que la nécessité et indigence du royaume, alléguée par le parlement comme la cause de son refus1.

1. Voltaire parle d'un arrêt du parlement. du 6 mars 1496, dans le Dictionnaire philosophique. aux mots LEPRe et Vérole.

CHAPITRE XIII.

DU PARLEMENT SOUS LOUIS XII.

Le règne de Louis XII ne produisit pas la moindre difficulté entre la cour et le parlement de Paris. Ce prince, en répudiant sa femme, fille de Louis XI, avec laquelle il avait habité vingt années, et en épousant Anne de Bretagne, ancien objet de ses inclinations, ne s'adressa point au parlement, quoiqu'il fût l'interprète et le modérateur des lois du royaume. Ce corps était composé de juriconsultes séculiers et ecclésiastiques. Les pairs du royaume, représentant les anciens juges de toute la nation, y avaient séance; il eût été naturel dans tous les États du monde qu'un roi, dans une pareille conjoncture, n'eût fait agir que le premier tribunal de son royaume ; mais le préjugé, plus fort que la législation et que l'intérêt des nations entières, avait dès longtemps accoutumé les princes de l'Europe à rendre les papes arbitres de leurs mariages et du secret de leur lit. On avait fait un point de religion de cette coutume bizarre par laquelle ni un particulier, ni un souverain, ne pouvait exclure une femme de son lit, et en recevoir une autre, sans la permission d'un pontife étranger.

Le pape Alexandre VI, souillé de débauches et de crimes, envoya en France ce fameux César Borgia, l'un de ses bâtards, et le plus méchant homme de la chrétienté, chargé d'une bulle qui cassait le mariage du roi avec Jeanne, fille de Louis XI, et lui permettait d'épouser Anne de Bretagne. Le parlement ne fit d'autre démarche que celle d'aller en corps, suivant l'usage, au-devant de César Borgia, légat a latere '.

Louis XII donna la duché-pairie de Nevers à un étranger, à un seigneur de la maison de Clèves; c'était le premier exemple qu'on en eût en France. Ni les pairs ni le parlement n'en murmurėrent. Et lorsque Henri II fit duc et pair un Montmorency, dont la maison valait bien celle de Clèves, il fallut vingt lettres de jussion pour faire enregistrer les lettres de ce duc de Montmorency. C'est qu'il n'y eut aucun levain de fermentation du temps de Louis XII, et que du temps de Henri II tous les ordres de l'État commençaient à être échauffés et aigris.

1. Voyez la note, tome XI, page 362.

CHAPITRE XIV.

ES GRANDS CHANGEMENTS FAITS SOUS LOUIS XII, TROP NÉGLIGÉS

PAR LA PLUPART DES HISTORIENS.

Louis XII acheva d'établir la jurisprudence du grand conseil sédentaire à Paris. Il donna une forme au parlement de Normandie et à celui de Provence, sans que celui de Paris fût consulté sur ces établissements, ni qu'il en prit ombrage.

Presque tous nos historiens ont négligé jusqu'ici de faire mention de cette barrière éternelle que Louis XII mit entre la noblesse et la robe.

Les baillis et prévôts, presque tous chevaliers, étaient les successeurs des anciens comtes et vicomtes: ainsi le prévôt de Paris avait été souverain juge à la place des vicomtes de Paris.

Les quatre grands baillis, établis par saint Louis, étaient les quatre grands juges du royaume. Louis XII voulut que tous les baillis et prévôts ne pussent juger s'ils n'étaient lettrés et gradués. La noblesse, qui eût cru déroger si elle eût su lire et écrire, ne profita pas du règlement de Louis XII. Les baillis conservèrent leur dignité et leur ignorance; des lieutenants lettrés jugèrent en leur nom, et leur ravirent toute leur autorité.

Copions ici un passage entier d'un auteur connu 1. « On payait quarante fois moins d'épices qu'aujourd'hui. Il n'y avait dans le bailliage de Paris que quarante-neuf sergents, et à présent il y en a plus de cinq cents: il est vrai que Paris n'était pas la cinquième partie de ce qu'il est de nos jours; mais le nombre des officiers de justice s'est accru dans une bien plus grande proportion que Paris; et les maux inséparables des grandes villes ont augmenté plus que le nombre des habitants.

« Il maintint l'usage où étaient les parlements du royaume de choisir trois sujets pour remplir une place vacante: le roi nommait un des trois. Les dignités de la robe n'étaient données alors qu'aux avocats: elles étaient le prix du mérite, ou de la réputation qui suppose le mérite. Son édit de 1499, éternellement mémorable, et que nos historiens n'auraient pas dû oublier, a rendu

1. Voltaire lui-même, chapitre cxiv de l'Essai sur les Mours; voyez tome XII, page 203. Il donnait l'Histoire du Parlement pour l'ouvrage de l'abbé Big....

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