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y fit enregistrer ses édits 1; mais le parlement, de retour à Paris, protesta contre cet enregistrement. Il prétendait que non-seulement il n'avait pas eu la liberté nécessaire de l'examen, mais que cet édit demandait des modifications qui ne blessassent ni les intérêts du roi, ni ceux de l'État, qui étaient les mêmes et qu'il avait fait serment de maintenir; et il disait que son devoir n'était pas de plaire, mais de servir ainsi le zèle combattait l'obéis

sance.

:

Les épines du schisme se mêlaient à l'importante affaire des impôts. Un conseiller du parlement, malade à sa campagne, dans le diocèse de Meaux, demanda les sacrements; un curé les lui refusa comme à un ennemi de l'Église, et le laissa mourir sans cette cérémonie : on procéda contre le curé, qui prit la fuite.

L'archevêque d'Aix avait fait un nouveau formulaire sur la bulle, et le parlement d'Aix l'avait condamné à donner dix mille . livres aux pauvres; il fut obligé de faire cette aumône, et il en fut pour son formulaire et pour son argent (septembre). L'évêque de Troyes avait troublé son diocèse, le roi l'envoya prisonnier chez les moines en Alsace. L'archevêque de Paris, à qui l'on avait permis de revenir à Conflans, déclara excommuniés ceux qui liraient les arrêts et les remontrances des parlements sur la bulle et sur les billets de confession.

Louis XV, que tant d'animosités embarrassaient, poussa la circonspection jusqu'à demander l'avis du pape Lambertini, Benoît XIV, homme aussi modéré que lui, aimé de la chrétienté pour la douceur et la gaieté de son caractère, et qui est aujourd'hui regretté de plus en plus. Il ne se mêla jamais d'aucune affaire que pour recommander la paix. C'était son secrétaire des brefs, le cardinal Passionei, qui faisait tout. Ce cardinal, le seul alors dans le sacré collége qui fût homme de lettres, était un génie assez élevé pour mépriser les disputes dont il s'agissait. Il haïssait les jésuites qui avaient fabriqué la bulle; il ne pouvait se taire sur la fausse démarche qu'on avait faite à Rome de condamner dans cette bulle des maximes vertueuses, d'une vérité éternelle, qui appartiennent à tous les temps et à toutes les nations;

1. Il s'agissait cette fois [de prolonger le payement des taxes pendant dix ans après la paix, c'est-à-dire pour toujours. (G. A.)

2. Une première version de cette phrase est citée par Voltaire, qui se la reproche comme contenant des choses trop flatteuses pour le parlement (voyez la lettre à d'Argental, du février 1763). Mais on a lieu de croire qu'avant l'émission du volume Voltaire supprima cette première version trop flatteuse; je ne l'ai pas trouvée dans l'édition de 1763, où le texte est conforme à ce qu'on lit ici. (B.)

15. · SIÈCLE DE LOUIS XV.

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celle-ci, par exemple: « La crainte d'une excommunication injuste ne doit point empêcher de faire son devoir. »>

Cette maxime est dans toute la terre la sauvegarde de la vertu. Tous les anciens, tous les modernes, ont dit que le devoir doit l'emporter sur la crainte du supplice même.

Mais quelque étrange que parût la bulle en plus d'un point, ni le cardinal Passionei ni le pape ne pouvaient rétracter une constitution regardée comme une loi de l'Église. Benoit XIV envoya au roi une lettre circulaire pour tous les évêques de France, dans laquelle il regardait, à la vérité, cette bulle comme une loi universelle à laquelle on ne peut résister « sans se mettre en danger de perdre son salut éternel »; mais enfin il décidait que, « pour éviter le scandale, il faut que le prêtre avertisse les mourants soupçonnés de jansénisme qu'ils seront damnés, et les communier à leurs risques et périls ».

Le même pape, dans sa lettre particulière au roi, lui recommandait les droits de l'épiscopat. Quand on consulte un pape, quel qu'il soit, on doit bien s'attendre qu'il écrira comme un pape doit écrire.

Mais Benoît XIV, en rendant ce qu'il devait à sa place, donnait aussi tout ce qu'il pouvait à la paix, à la bienséance, à l'autorité du monarque. On imprima le bref du pape adressé aux évêques, (9 décembre 1756) Le parlement eut le courage ou la témérité de le condamner et de le supprimer par un arrêt. Cette démarche choqua d'autant plus le roi que c'était lui-même qui avait envoyé aux évêques ce bref condamné par son parlement. Il n'était point question dans ce bref des libertés de l'Église gallicane et des droits de la monarchie, que le parlement a soutenus et vengés dans tous les temps. La cour vit dans la censure du parlement plus de mauvaise humeur que de modération.

Le conseil croyait avoir un autre sujet de réprouver la conduite du parlement de Paris; plusieurs autres cours supérieures, qui portent le nom de parlement, s'intitulaient Classes du parlement du royaume; c'est un titre que le chancelier de L'Hospital leur avait donné: il ne signifiait que l'union des parlements dans l'intelligence et le maintien des lois; les parlements ne prétendaient pas moins que représenter l'État entier, divisé en différentes compagnies, qui toutes, faisant un seul corps, constitueraient les états généraux perpétuels du royaume. Cette idée eût été grande; mais elle eût été trop grande, et l'autorité royale en était irritée'.

1. C'est dans ces circonstances que Louis XV dit : « Ces grandes robes et le clergé me désolent par leurs querelles; mais je déteste bien plus les grandes robes:

Ces considérations, jointes aux difficultés qu'on faisait sur l'enregistrement des impôts, déterminèrent le roi à venir réformer le parlement de Paris dans un lit de justice.

Quelque secret que le ministère eût gardé, il perça dans le public. Le roi fut reçu dans Paris avec un morne silence 1. Le peuple ne voit dans un parlement que l'ennemi des impôts; il n'examine jamais si ces impôts sont nécessaires; il ne fait pas même réflexion qu'il vend sa peine et ses denrées plus cher à proportion des taxes, et que le fardeau tombe sur les riches. Ceux-ci se plaignent eux-mêmes, et encouragent les murmures de la populace.

Les Anglais dans cette guerre ont été plus chargés que les Français; mais, en Angleterre, la nation se taxe elle-même, elle sait sur quoi les emprunts seront remboursés. La France est taxée, et ne sait jamais sur quoi seront assignés les fonds destinés au payement des emprunts. Il n'y a point en Angleterre de particuliers qui traitent avec l'État des impôts publics, et qui s'enrichissent aux dépens de la nation; c'est le contraire en France. Les parlements de France ont toujours fait des remontrances aux rois contre ces abus; mais il y a des temps où ces remontrances, et surtout les difficultés d'enregistrer, sont plus dangereuses que ces impôts mêmes, parce que la guerre exige des secours présents, et que l'abus de ces secours ne peut être corrigé qu'avec le temps.

Le roi vint au parlement faire lire un édit par lequel il supprimait deux chambres de ce corps et plusieurs officiers 3. Il ordonna qu'on respectât la bulle Unigenitus, défendit que les juges

mon clergé, au fond, m'est attaché et fidèle; les autres voudraient me mettre en tutelle. Le régent a eu bien tort de leur rendre le droit de faire des remontrances: ils finiront par perdre l'État... c'est une assemblée de républicains!... » Et, pour terminer: « Au reste, en voilà assez les choses comme elles sont dureront autant que moi. >>

1. Voyez l'Histoire du Parlement, chapitre LXVI.

2. Il est très-vrai que toute taxe annuelle n'est payéc en réalité que par les propriétaires de terres; la petite partie qui peut l'être par les profits du commerce étranger ne mérite point d'être comptée; mais il n'en est pas de même des taxes extraordinaires levées en temps de guerre. Celles qui portent sur les consommations du peuple ne font pas augmenter ses salaires, parce que les propriétaires alors font moins travailler. Le peuple souffre donc directement de ces taxes. Il souffre par la même raison de celles qui paraissent ne porter directement que sur les propriétaires. Celles-là ne seraient indifférentes au peuple que dans le cas où le produit de ces taxes serait employé en entier à lui procurer des salaires; encore faudrait-il qu'elles ne fussent payées que par les propriétaires riches: le peuple, la populace même, souffrent donc réellement des impôts extraordinaires. (K.)

3. Deux chambres des enquêtes, et plus de soixante conseillers. On mutilait le parlement dans sa partie active. (G. A.)

séculiers prescrivissent l'administration des sacrements, en leur permettant seulement de juger des abus et des délits commis dans cette administration, enjoignant aux évêques de prescrire à tous les curés la modération et la discrétion, et voulant que toutes les querelles passées fussent ensevelies dans l'oubli (13 décembre 1756). I ordonna que nul conseiller n'aurait voix délibérative avant l'âge de vingt-cinq ans, et que personne ne pourrait opiner dans l'assemblée des chambres qu'après avoir servi dix années. Il fit enfin les plus expresses « inhibitions d'interrompre, sous quelque prétexte que ce pût être, le service ordinaire ».

Le chancelier alla aux avis pour la forme; le parlement garda un profond silence; le roi dit qu'il voulait être obéi, et «< qu'il punirait quiconque oserait s'écarter de son devoir ».

Le lendemain quinze conseillers de la grand'chambre remirent leur démission sur le bureau. Cent quatre-vingts membres du parlement1 se démirent bientôt de leurs charges. Les murmures furent grands dans toute la ville.

Parmi tant d'agitations qui troublaient tous les esprits au milieu d'une guerre funeste, dans le prodigieux dérangement des finances, qui rendait cette guerre plus dangereuse et qui irritait l'animosité des mécontents; enfin parmi les épines des divisions semées de tous côtés entre les magistrats et le clergé, dans le bruit de toutes ces clameurs, il était très-difficile de faire le bien, et il ne s'agissait presque plus que d'empêcher qu'on ne fit beaucoup de mal.

1. Lorsqu'en 1763 ce morceau faisait partie du chapitre LIX du Siècle de Louis XIV, Voltaire avait d'abord mis: « Cent quatre-vingts membres se démirent de leurs charges; les murmures furent grands dans la ville, et le roi fut assassiné, etc. » (Voyez le chapitre suivant.) Mais la fatale feuille qui contenait cette phrase ne fut point tirée ainsi : « Je sentis, écrit malignement Voltaire à d'Argental, que ces mots pourraient faire soupçonner à des grammairiens que cet assassi nat fut le fruit immédiat du lit de justice, comme en effet Damiens l'avoua dans ses interrogatoires à Versailles et à Paris. Je sais bien qu'il est permis de dire une vérité que le parlement a fait imprimer lui-même; mais j'ai bien senti aussi que le parlement serait fàché qu'on vit dans l'histoire ce qu'on voit dans le procès-verbal. » Et il annonce que « malgré son juste ressentiment contre l'infàme condamnation de la Loi naturelle », il a mis à la place: « Ces émotions furent bientôt ensevelies, etc. » C'est la phrase qui commence le chapitre xxxvII. (G. A.)

CHAPITRE XXXVII.

ATTENTAT CONTRE LA PERSONNE DU ROI.

(1757) Ces émotions du peuple furent bientôt ensevelies dans une consternation générale par l'accident le plus imprévu et le plus effroyable. Le roi fut assassiné, le 5 janvier, dans la cour de Versailles, en présence de son fils, au milieu de ses gardes et des grands officiers de sa couronne. Voici comment cet étrange événement arriva.

Un misérable de la lie du peuple, nommé Robert-François Damiens, né dans un village auprès d'Arras, avait été longtemps domestique à Paris dans plusieurs maisons: c'était un homme dont l'humeur sombre et ardente avait toujours ressemblé à la démence.

Les murmures généraux qu'il avait entendus dans les places publiques, dans la grand'salle du palais, et ailleurs, allumèrent son imagination. Il alla à Versailles, comme un homme égaré; et, dans les agitations que lui donnait son dessein inconcevable, il demanda à se faire saigner dans son auberge. Le physique a une si grande influence sur les idées des hommes 3 qu'il protesta depuis, dans ses interrogatoires, que « s'il avait été saigné comme il le demandait il n'aurait pas commis son crime ».

3

Son dessein était le plus inouï qui fût jamais tombé dans la tête d'un monstre de cette espèce; il ne prétendait pas tuer le roi, comme en effet il le soutint depuis, et comme malheureusement il l'aurait pu; mais il voulait le blesser : c'est ce qu'il déclara dans son procès criminel devant le parlement.

« Je n'ai point eu intention de tuer le roi; je l'aurais tué si j'avais voulu, je ne l'ai fait que pour que Dieu pût toucher le roi, et le porter à remettre toutes choses en place, et la tranquillité dans ses États; et il n'y a que l'archevêque de Paris seul qui est cause de tous ces troubles. » (Interrogatoire du 18 janvier, art. 144, page 132, du procès de Damiens, in-4°.)

1. Tout ce chapitre est fait contre les parlementaires. Voltaire présente Damiens comme ayant été fanatisé par le jansénisme de Messieurs. « Dans toute l'histoire de Damiens, écrivait-il pour se justifier, je me borne à citer les interrogatoires. » 2. En 1715.

3. Le physique gouverne toujours le moral, a dit Voltaire dans l'article FEMME de ses Questions sur l'Encyclopédie. (B.)

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