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glais, d'Hanovriens, de Hessois, conduite par ce même duc de Cumberland qui avait attaqué Louis XV à Fontenoy.

Le roi de Prusse allait chercher l'armée autrichienne en Bohême; il opposait un corps considérable aux Russes. Les troupes de l'empire, qu'on appelait les troupes d'exécution, étaient commandées pour pénétrer dans la Saxe, tombée tout entière au pouvoir du Prussien. Ainsi l'Allemagne était en proie à six armées formidables qui la dévoraient en même temps.

D'abord le roi de Prusse court attaquer le prince Charles de Lorraine, frère de l'empereur, et le général Brown1 auprès de Prague. (6 mai 1757) La bataille fut sanglante; le Prussien la gagna, et une partie de l'infanterie autrichienne fut obligée de se jeter dans Prague, où elle fut bloquée plus de deux mois par le vainqueur. Une foule de princes était dans la ville; les provisions commençaient à manquer; on ne doutait pas que Prague ne subit bientôt le joug, et que l'Autriche ne fût plus accablée par Frédéric que par Gustave-Adolphe.

Le vainqueur perdit tout le fruit de sa conquête en voulant tout emporter à la fois. Le comte de Kaunitz, premier ministre de Marie-Thérèse, homme aussi actif dans le cabinet que le roi de Prusse l'était en campagne, avait déjà fait rassembler une armée sous le commandement du maréchal Dawn. (18 juin 17572) Le roi de Prusse ne balança pas à courir attaquer cette armée, que la réputation de ses victoires devait intimider. Cette armée une fois dissipée, Prague, bombardée depuis quelque temps, allait se rendre à discrétion. Il devenait le maître absolu de l'Allemagne. Le maréchal Dawn retrancha ses troupes sur la croupe d'une colline. Les Prussiens y montèrent jusqu'à sept fois, comme à un assaut général; ils furent sept fois repoussés et renversés. Le roi perdit environ vingt-cinq mille hommes en morts, en blessés, en fuyards, en déserteurs. Le prince Charles de Lorraine, renfermé dans Prague, en sortit et poursuivit les Prussiens. La révolution fut aussi grande que l'avaient été auparavant les exploits et les espérances du roi de Prusse.

Les Français, de leur côté, secondaient puissamment Marie

1. Ulysse-Maximilien, comte de Brown, né à Bàle en 1705, d'abord simple soldat, était feld-maréchal quand il fut blessé mortellement à la journée du 6 mai 1757. Il mourut le 26 juin suivant, dans Prague même. On l'a confondu quelquefois avec George, comte de Browne, général au service de Russie, mort en 1792. (CL.)

2. Toutes les éditions portaient juillet, avant que M. Clogenson publiât son édition, dans laquelle, avec raison, il a mis juin.

Thérèse. (29 juillet 1757) Le maréchal d'Estrées, qui les commandait, avait déjà passé le Véser : il suivit pas à pas le duc de Cumberland vers Minden; il l'atteignit vers Hastembeck, lui livra bataille, et remporta une victoire complète. Les princes de Condé et de La Marche-Conti signalèrent, dans cette journée, leurs premières armes, et le sang de France soutenait la gloire de la patrie contre le sang d'Angleterre. On y perdit un comte de LavalMontmorency, et un brave officier traducteur de la Tactique d'Elien1, frère du même Bussy qui s'est rendu si fameux dans l'Inde. Un coup de fusil, qu'on crut longtemps mortel, perça le comte du Châtelet, de la maison de Lorraine, fils de cette célèbre marquise du Châtelet, dont le nom ne périra jamais parmi ceux qui savent qu'une dame française a commenté le grand Newton.

Remarquons ici que des intrigues de cour avaient déjà ôté le commandement au maréchal d'Estrées. Les ordres étaient partis pour lui faire cet affront tandis qu'il gagnait une bataille. On affectait à la cour de se plaindre qu'il n'eût pas encore pris tout l'électorat de Hanovre, et qu'il n'eût pas marché jusqu'à Magdebourg. On pensait que tout devait se terminer en une campagne. Telle avait été la confiance des Français quand ils firent un empereur, et qu'ils crurent disposer des États de la maison d'Autriche, en 1741. Telle elle avait été, quand, au commencement du siècle, Louis XIV et Philippe V, maîtres de l'Italie et de la Flandre, et secondés de deux électeurs, pensaient donner des lois à l'Europe; et l'on fut toujours trompé. Le maréchal d'Estrées disait que ce n'était pas assez de s'avancer en Allemagne, qu'il fallait se préparer les moyens d'en sortir. Sa conduite et sa valeur prouvèrent que, lorsqu'on envoie une armée, on doit laisser faire le général : car, si on l'a choisi, on a eu en lui de la confiance.

1. Bouchard de Bussy, frère de Bussy-Castelnau. Sa traduction d'Élien parut à Paris en 1757, deux volumes petit in-12. (CL.)

CHAPITRE XXXIII.

SUITE DES ÉVÉNEMENTS MÉMORABLES. L'ARMÉE ANGLAISE OBLIGÉE DE CAPITULER. JOURNÉE DE ROSBACH. RÉVOLUTIONS.

Le ministère de France avait déjà fait partir le maréchal de Richelieu pour commander l'armée du maréchal d'Estrées, avant qu'on eût su la victoire importante de ce général. Le maréchal de Richelieu, longtemps célèbre par les agréments de sa figure et de son esprit, et devenu plus célèbre par la défense de Gênes et par la prise de Minorque, alla combattre le duc de Cumberland; il le poussa jusqu'à l'embouchure de l'Elbe, et là il le força à capituler avec toute son armée (8 septembre 1757). Cette capitulation, plus singulière qu'une bataille gagnée, était non moins glorieuse. L'armée du duc de Cumberland fut obligée, par écrit, de se retirer au delà de l'Elbe, et de laisser le champ libre aux Français contre le roi de Prusse. Il ravageait la Saxe, mais on ruinait aussi son pays. Le général autrichien Haddik avait surpris la ville de Berlin, et lui avait épargné le pillage moyennant huit cent mille de nos livres.

Alors la perte de ce monarque paraissait inévitable. Sa grande déroute auprès de Prague, ses troupes battues près de Landshut, à l'entrée de la Silésie, une bataille contre les Russes indécise, mais sanglante, tout l'affaiblissait.

Il pouvait être enveloppé d'un côté par l'armée du maréchal de Richelieu, et de l'autre par celle de l'empire, tandis que les Autrichiens et les Russes entraient en Silésie. (22 auguste 1757) Sa perte paraissait si certaine que le conseil aulique n'hésita pas à déclarer qu'il avait encouru la peine du ban de l'empire, et qu'il était privé de tous ses fiefs, droits, grâces, priviléges, etc. Il sembla lui-même désespérer pour lors de sa fortune, et n'envisagea plus qu'une mort glorieuse. Il fit une espèce de testament philosophique; et telle était la liberté de son esprit, au milieu de ses malheurs, qu'il l'écrivit en vers français. Cette anecdote est unique 1.

1. La pièce fut adressée au marquis d'Argens. En voici quelques vers:

Ami, le sort en est jeté !
Las de plier dans l'infortune

Le prince de Soubise 1, général d'un courage tranquille et ferme, d'un esprit sage, d'une conduite mesurée, marchait contre lui en Saxe, à la tête d'une forte armée que le ministère avait encore renforcée d'une partie de celle du maréchal de Richelieu Cette armée était jointe à celle des cercles, commandée par le prince d'Hildbourghausen.

(Novembre 1757) Frédéric, entouré de tant d'ennemis, prit le parti d'aller mourir, les armes à la main, dans les rangs de l'armée du prince de Soubise; et cependant il prit toutes les mesures pour vaincre. Il alla reconnaître l'armée de France et des cercles, et se retira d'abord devant elle pour prendre une position avantageuse. Le prince d'Hildbourghausen voulut absolument attaquer. Son sentiment devait prévaloir, parce que les Français n'étaient qu'auxiliaires. On marcha près de Rosbach et de Mersbourg à l'armée prussienne, qui semblait être sous ses tentes. Voilà tout d'un coup les tentes qui s'abaissent; l'armée prussienne

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Non-seulement d'Argens, mais aussi Voltaire, lui écrivirent pour combattre son projet, et les remontrances de ces amis opérèrent si bien qu'à la veille de la bataille de Rosbach il ne rêvait plus la mort que glorieuse :

Pour moi, menacé du naufrage,
Je veux, en affrontant l'orage,
Penser, vivre et mourir en roi.

C'est ainsi qu'il écrit à Voltaire. Encore une fois, c'est dans la Correspondance qu'il faut lire toute cette histoire héroïque. Voltaire y joua le rôle de confident et celui d'intermédiaire. Il fut chargé par Frédéric de proposer la paix. (G. A.)

1. Charles de Rohan, prince de Soubise, né peu de temps avant la mort de Louis XIV. Il s'était distingué à Fontenoy; mais les Prussiens lui durent la victoire de Rosbach; voyez la lettre de Voltaire à d'Argental, du 2 décembre 1757. (CL.)

paraît en ordre de bataille, entre deux collines garnies d'artillerie.

Ce spectacle frappa les yeux des troupes françaises et impériales. Il y avait quelques années qu'on avait voulu exercer les soldats français à la prussienne; ensuite on avait changé plusieurs évolutions dans cet exercice : le soldat ne savait plus où il en était, son ancienne manière de combattre était changée ; il n'était pas affermi dans la nouvelle. Quand il vit les Prussiens avancer dans cet ordre singulier, inconnu presque partout ailleurs, il crut voir ses maîtres. L'artillerie du roi de Prusse était aussi mieux servie, et bien mieux postée que celle de ses ennemis. Les troupes des cercles s'enfuirent sans presque rendre de combat. La cavalerie française, commandée par le marquis de Castries, chargea la cavalerie prussienne, et en perça quelques escadrons; mais cette valeur fut inutile.

Bientôt une terreur panique se répandit partout; l'infanterie française se retira en désordre devant six bataillons prussiens. Ce ne fut point une bataille, ce fut une armée entière qui se présenta au combat, et qui s'en alla. L'histoire n'a guère d'exemples d'une pareille journée1; il ne resta que deux régiments suisses sur le champ de bataille : le prince de Soubise alla à eux au milieu du feu, et les fit retirer au petit pas.

Le régiment de Diesbach essuya surtout très-longtemps le feu du canon et de la mousqueterie, et les approches de la cavalerie. Le prince de Soubise empêcha qu'il ne fût entamé, en partageant toujours ses dangers 2. Cette étrange journée changea entièrement la face des affaires. Le murmure fut universel dans Paris. Le même général remporta une victoire sur les Hanovriens et les Hessois l'année suivante, et on en a parlé à peine. On a déjà observé3 que tel est l'esprit d'une grande ville heureuse et oisive, dont on ambitionne le suffrage.

Le ministère de France n'avait point voulu ratifier la convention et les lois que le maréchal de Richelieu avait imposées

1. C'est à la bataille de Rosbach, le 5 novembre 1757, que fut tué le marquis de La Fayette, laissant un enfant âgé de soixante-cinq jours, qui est aujourd'hui le général Lafayette (mars 1831). (B.)

2. C'est contre le colonel Diesbach qu'il a plu au nommé La Beaumelle de se déchaîner dans un libelle intitulé Mes Pensées, ainsi que contre les d'Erlach, les Sinner, et toutes les illustres familles de la Suisse, qui prodiguent leur sang depuis deux siècles pour les rois de France. La grossièreté impudente de cet homme doit être réprimée dans toutes les occasions. (Note de Voltaire.)

3. Dans l'Éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741; voyez aux Mélanges.

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