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des assiégeants, campés dans un terrain malsain, secondaient encore la résistance de la ville. Ces maladies contagieuses mirent plus de vingt mille hommes hors d'état de servir; mais ils furent aisément remplacés. (17 septembre 1747) Enfin, après trois semaines de tranchée ouverte, le comte de Lowendal fit voir qu'il y avait des occasions où il faut s'élever au-dessus des règles de l'art. Les brèches n'étaient pas encore praticables. Il y avait trois ouvrages faiblement endommagés, le ravelin d'Édem et deux bastions, dont l'un s'appelait la Pucelle, et l'autre Cohorn. Le géné ral résolut de donner l'assaut à la fois à ces trois endroits, et d'emporter la ville.

Les Français en bataille rangée trouvent des égaux, et quelquefois des maîtres dans la discipline militaire; ils n'en ont point dans ces coups de main et dans ces entreprises rapides où l'impétuosité, l'agilité, l'ardeur, renversent en un moment les obstacles. Les troupes commandées en silence, tout étant prêt, au milieu de la nuit, les assiégés se croyant en sûreté, on descend dans le fossé; on court aux trois brèches; douze grenadiers seulement se rendent maîtres du fort d'Édem, tuent ce qui veut se défendre, font mettre bas les armes au reste épouvanté. Les bastions la Pucelle et Cohorn sont assaillis et emportés avec la même vivacité; les troupes montent en foule. On emporte tout, on pousse aux remparts; on s'y forme; on entre dans la ville, la baïonnette au bout du fusil : le marquis de Lugeac se saisit de la porte du port; le commandant de la forteresse de ce port se rend à lui à discrétion; tous les autres forts se rendent de même. Le vieux baron de Cromstrom, qui commandait dans la ville, s'enfuit vers les lignes; le prince de Hesse-Philipstadt veut faire quelque résistance dans les rues avec deux régiments, l'un écossais, l'autre suisse; ils sont taillés en pièces; le reste de la garnison fuit vers ces lignes qui devaient la protéger; ils y portent l'épouvante; tout fuit: les armes, les provisions, le bagage, tout est abandonné; la ville est en pillage au soldat vainqueur. On s'y saisit, au nom du roi, de dix-sept grandes barques chargées dans le port de munitions de toute espèce, et de rafraîchissements que les villes de Hollande envoyaient aux assiégés. Il y avait sur les coffres, en gros caractères : A l'invincible garnison de Berg-op-Zoom. Le roi, en apprenant cette nouvelle, fit le comte de Lowendal maréchal de France. La surprise fut grande à Londres, la consternation extrême dans les Provinces-Unies. L'armée des alliés fut découragée.

Malgré tant de succès, il était encore très-difficile de faire la

conquête de Mastricht. On réserva cette entreprise pour l'année suivante 1748. La paix est dans Mastricht, disait le maréchal de Saxe.

La campagne fut ouverte par les préparatifs de ce siége important. Il fallait faire la même chose à peu près que lorsqu'on avait assiégé Namur : s'ouvrir et s'assurer tous les passages, forcer une armée entière à se retirer, et la mettre dans l'impuissance d'agir. Ce fut la plus savante manœuvre de toute cette guerre. On ne pouvait venir à bout de cette entreprise sans donner le change aux ennemis. Il était à la fois nécessaire de les tromper et de laisser ignorer son secret à ses propres troupes. Les marches devaient être tellement combinées que chaque marche abusât l'ennemi, et que toutes réussissent à point nommé. MM. de Crémilles et de Beauteville, qui connaissaient un projet formé l'année précédente pour surprendre quelques quartiers, proposèrent au maréchal de Saxe de s'en servir pour l'envahissement de Mastricht. A peine avaient-ils commencé de lui en tracer le plan que le maréchal le saisit, et l'acheva.

(5 avril 1748) On fait croire d'abord aux ennemis qu'on en veut à Bréda. Le maréchal va lui-même conduire un grand convoi à Berg-op-Zoom, à la tête de vingt-cinq mille hommes, et semble tourner le dos à Mastricht. Une autre division marche en même temps à Tirlemont, sur le chemin de Liége; une autre est à Tongres, une autre menace Luxembourg, et toutes enfin marchent vers Mastricht, à droite et à gauche de la Meuse.

Les alliés, séparés en plusieurs corps, ne voient le dessein du maréchal que quand il n'est plus temps de s'y opposer. (13 avril) La ville se trouve investie des deux côtés de la rivière; nul secours n'y peut plus entrer1. Les ennemis, au nombre de près de quatre-vingt mille hommes, sont à Mazeick, à Ruremonde. Le duc de Cumberland ne peut plus qu'être témoin de la prise de Mastricht.

Pour arrêter cette supériorité constante des Français, les Autrichiens, les Anglais, et les Hollandais, attendaient trente-cinq mille Russes, au lieu de cinquante mille sur lesquels ils avaient d'abord compté. Ce secours venu de si loin arrivait enfin. Les Russes étaient déjà dans la Franconie. C'étaient des hommes in

1. Après la prise de Berg-op-Zoom, on était convenu d'ouvrir un congrès à Aix-la-Chapelle. La nouvelle de l'investissement de Maestricht causa une vive impression au plénipotentiaire anglais, qui, de concert avec l'ambassadeur hollandais, remit au plénipotentiaire de France un projet de paix qui parut acceptable. (G. A.)

fatigables, formés à la plus grande discipline. Ils couchaient en plein champ, couverts d'un simple manteau, et souvent sur la neige. La plus sauvage nourriture leur suffisait. Il n'y avait pas quatre malades alors par régiment dans leur armée. Ce qui pouvait encore rendre ce secours plus important, c'est que les Russes ne désertent jamais. Leur religion, différente de toutes les communions latines, leur langue, qui n'a aucun rapport avec les autres, leur aversion pour les étrangers, rendent inconnue parmi eux la désertion, qui est si fréquente ailleurs. Enfin c'était cette même nation qui avait vaincu les Turcs et les Suédois; mais les soldats russes, devenus si bons, manquaient alors d'officiers. Les nationaux savaient obéir, mais leurs capitaines ne savaient pas commander; et ils n'avaient plus ni un Munich, ni un Lascy, ni un Keith, ni un Lowendal à leur tête.

Tandis que le maréchal de Saxe assiégeait Mastricht, les alliés mettaient toute l'Europe en mouvement. On allait recommencer vivement la guerre en Italie, et les Anglais avaient attaqué les possessions de la France en Amérique et en Asie. Il faut voir les grandes choses qu'ils faisaient alors avec peu de moyens dans l'ancien et le nouveau monde.

CHAPITRE XXVII.

VOYAGE DE L'AMIRAL ANSON AUTOUR DU GLOBE1.

La France ni l'Espagne ne peuvent être en guerre avec l'Angleterre que cette secousse donnée à l'Europe ne se fasse sentir aux extrémités du monde. Si l'industrie et l'audace de nos nations modernes ont un avantage sur le reste de la terre et sur toute l'antiquité, c'est par nos expéditions maritimes. On n'est pas assez étonné peut-être de voir sortir des ports de quelques petites provinces, inconnues autrefois aux anciennes nations civilisées, des

1. George Anson était mort le 6 juin 1762, et ce chapitre, qui parut en 1768, ne dut pas être composé avant 1765. La famille de l'amiral, ayant lu ce morceau dans une des éditions de 1768 ou 1769, envoya à l'historien, en signe de reconnaissance, une belle médaille d'or frappée à l'effigie de l'illustre voyageur. Voltaire décrit cette médaille dans sa lettre du 14 juin 1769, à Thieriot, et dans celle du 7 juillet suivant, à d'Argental. (CL.)

flottes dont un seul vaisseau eût détruit tous les navires des anciens Grecs et des Romains. D'un côté, ces flottes vont au delà du Gange se livrer des combats à la vue des plus puissants empires, spectateurs tranquilles d'un art et d'une fureur qui n'ont point encore passé jusqu'à eux; de l'autre, elles vont au delà de l'Amérique se disputer des esclaves dans un nouveau monde.

Rarement le succès est-il proportionné à ces entreprises, nonseulement parce qu'on ne peut prévoir tous les obstacles, mais parce qu'on n'emploie presque jamais d'assez grands moyens.

L'expédition de l'amiral Anson est une preuve de ce que peut un homme intelligent et ferme, malgré la faiblesse des préparatifs et la grandeur des dangers.

On se souvient que quand l'Angleterre déclara la guerre à l'Espagne, en 1739, le ministère de Londres envoya l'amiral Vernon vers le Mexique, qu'il y détruisit Porto-Bello, et qu'il manqua Carthagène. On destinait dans le même temps George Anson à faire une irruption dans le Pérou par la mer du Sud, afin de ruiner, si on pouvait, ou du moins d'affaiblir par les deux extrémités le vaste empire que l'Espagne a conquis dans cette partie du monde. On fit Anson commodore, c'est-à-dire chef d'escadre; on lui donna cinq vaisseaux, une espèce de petite frégate de huit canons, portant environ cent hommes, et deux navires chargés de provisions et de marchandises; ces deux navires étaient destinés à faire le commerce à la faveur de cette entreprise, car c'est le propre des Anglais de mêler le négoce à la guerre. L'escadre portait quatorze cents hommes d'équipage, parmi lesquels il y avait de vieux invalides et deux cents jeunes gens de recrue: c'était trop peu de forces, et on les fit encore partir trop tard. Cet armement ne fut en haute mer qu'à la fin de septembre 1740. Il prend sa route par l'île de Madère, qui appartient au Portugal. Il s'avance aux îles du cap Vert, et range les côtes du Brésil. On se reposa dans une petite île nommée Sainte-Catherine, couverte en tout temps de verdure et de fruits, à vingt-sept degrés de latitude australe; et après avoir ensuite côtoyé le pays froid et inculte des Patagons, sur lequel on a débité tant de fables, le commodore entra, sur la fin de février 1741, dans le détroit de Le Maire, ce qui fait plus de cent degrés de latitude franchis en moins de cinq mois. La petite chaloupe de

1. Voyez pages 204-205.

2. Au moment où commence la mauvaise saison.

3. Il faut plutôt s'étonner de la durée de la traversée, que les mauvais temps prolongèrent. (G. A.)

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huit canons, nommée le Trial (l'Épreuve), fut le premier navire de cette espèce qui osa doubler le cap Horn. Elle s'empara depuis, dans la mer du Sud, d'un bâtiment espagnol de six cents tonneaux, dont l'équipage ne pouvait comprendre comment il avait été pris par une barque venue d'Angleterre dans l'océan Pacifique.

Cependant, en doublant le cap Horn, après avoir passé le détroit de Le Maire, des tempêtes extraordinaires battent les vaisseaux d'Anson, et les dispersent. Un scorbut d'une nature affreuse fait périr la moitié de l'équipage; le seul vaisseau du commodore aborde dans l'île déserte de Juan Fernandez, dans la mer du Sud, en remontant vers le tropique du Capricorne.

Un lecteur raisonnable, qui voit avec quelque horreur ces soins prodigieux que prennent les hommes pour se rendre malheureux, eux et leurs semblables, apprendra peut-être avec satisfaction que George Anson, trouvant dans cette île déserte le climat le plus doux et le terrain le plus fertile, y sema des légumes et des fruits dont il avait apporté les semences et les noyaux, et qui bientôt couvrirent l'île entière 1. Des Espagnols qui y relàchèrent quelques années après, ayant été faits depuis prisonniers en Angleterre, jugèrent qu'il n'y avait qu'Anson qui eût pu réparer, par cette attention généreuse, le mal que fait la guerre, et ils le remercièrent comme leur bienfaiteur.

On trouva sur la côte beaucoup de lions de mer, dont les mâles se battent entre eux pour les femelles; et on fut étonné d'y voir dans les plaines des chèvres qui avaient les oreilles coupées, et qui par là servirent de preuve aux aventures d'un Anglais nommé Selkirk, qui, abandonné dans cette île, y avait vécu seul plusieurs années. Qu'il soit permis d'adoucir par ces petites circonstances la tristesse d'une histoire qui n'est qu'un récit de meurtres et de calamités. Une observation plus intéressante fut celle de la variation de la boussole, qu'on trouva conforme au système de Halley. L'aiguille aimantée suivait exactement la route que ce grand astronome lui avait tracée. Il donna des lois à la

1. Anson resta bien malgré lui trois mois dans cette île à refaire sa flotte. (G. A.) 2. Alexandre Selkirk, né en Écosse vers 1680, avait été abandonné sur l'ile inhabitée de Juan Fernandez; il y fut trouvé le 1er février 1709, par le navigateur Rogers, après un séjour de quatre ans et quatre mois, pendant lequel il tua un grand nombre de chèvres sauvages. M. Mentelle, dans l'article SELKIRK de la Biogra phie universelle, croit que cette aventure et celle d'un moskite indien, abandonné dans la même ile en 1681, ont fourni à Daniel de Foé le sujet du roman de Robinson. (CL.)

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