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retiraient (27 juin 1747 1). Il était fils du maréchal de Boufflers, ce général si estimé sous Louis XIV, homme vertueux, bon citoyen, et le duc avait les qualités de son père.

Gênes n'était pas alors pressée, mais elle était toujours trèsmenacée par les Piémontais, maîtres de tous les environs, par la flotte anglaise, qui bouchait ses ports, par les Autrichiens, qui revenaient des Alpes fondre sur elle. Il fallait que le maréchal de Belle-Isle descendît en Italie, et c'est ce qui était d'une extrême difficulté.

Gênes devait à la fin être accablée, le royaume de Naples exposé, toute espérance ôtée à don Philippe de s'établir en Italic. Le duc de Modène en ce cas paraissait sans ressource. Louis XV ne se rebuta pas.

(27 septembre 1747) Il envoya à Gênes le duc de Richelieu, de nouvelles troupes, de l'argent. Le duc de Richelieu arrive dans un petit bâtiment malgré la flotte anglaise; ses troupes passent à la faveur de la même manœuvre. La cour de Madrid seconde ces efforts, elle fait passer à Gênes environ trois mille hommes; elle promet deux cent cinquante mille livres par mois aux Génois, mais le roi de France les donne; le duc de Richelieu repousse les ennemis dans plusieurs combats, fait fortifier tous les postes, met les côtes en sûreté. Alors la cour d'Angleterre s'épuisait pour faire tomber Gênes, comme celle de France pour la défendre. Le ministère anglais donne cent cinquante mille livres sterling à l'impératrice-reine, et autant au roi de Sardaigne, pour entreprendre le siége de Gênes. Les Anglais perdirent leurs avances. Le maréchal de Belle-Isle, après avoir pris le comté de Nice, tenait les Autrichiens et les Piémontais en alarmes. S'ils faisaient le siége de Gênes, il tombait sur eux. Ainsi, étant encore arrêté par eux, il les arrêtait.

1. Boufflers est tombé malade le 27 juin; mais il n'est mort que le 2 juillet. (B.) 2. Mais Ferdinand VI avait ordonné de ménager si bien ses troupes que les Français les traitèrent de soldats de carton. (G. A.)

CHAPITRE XXII.

COMBAT D'EXILES FUNESTE AUX FRANÇAIS.

Pour pénétrer en Italie malgré les armées d'Autriche et de Piémont, quel chemin fallait-il prendre? Le général espagnol La Mina voulait qu'on tirât à Final par ce chemin de la côte du Ponant où l'on ne peut aller qu'un à un ; mais il n'avait ni canons ni provisions: transporter l'artillerie française, garder une communication de près de quarante marches par une route aussi serrée qu'escarpée, où tout doit être porté à dos de mulet; être exposé sans cesse au canon des vaisseaux anglais; de telles difficultés paraissaient insurmontables. On proposait la route de Démont et de Coni; mais assiéger Coni était une entreprise dont tout le danger était connu. On se détermina pour la route du col d'Exiles, à près de vingt-cinq lieues de Nice, et on résolut d'emporter cette place.

Cette entreprise n'était pas moins hasardeuse, mais on ne pouvait choisir qu'entre des périls. Le comte de Belle-Isle saisit avidement cette occasion de se signaler2; il avait autant d'audace pour exécuter un projet que de dextérité pour le conduire: homme infatigable dans le travail du cabinet et dans celui de la campagne. Il part donc, et prend son chemin en retournant vers le Dauphiné, et s'enfonçant ensuite vers le col de l'Assiette, sur le chemin d'Exiles; c'est là que vingt et un bataillons piémontais l'attendaient derrière des retranchements de pierre et de bois, hauts de dix-huit pieds sur treize pieds de profondeur, et garnis d'artillerie.

Pour emporter ces retranchements le comte de Belle-Isle avait vingt-huit bataillons et sept canons de campagne, qu'on ne put guère placer d'une manière avantageuse. On s'enhardissait à cette entreprise par le souvenir des journées de Montalban et de Château-Dauphin, qui semblaient justifier tant d'audace. Il n'y a jamais d'attaques entièrement semblables, et il est plus difficile encore et plus meurtrier d'attaquer des palissades qu'il faut arracher avec les mains sous un feu plongeant et continu. que

1. C'est la Corniche.

2. Son frère, le maréchal, menaçait en même temps les cols de la Stura. (G. A.)

gravir et de combattre sur des rochers; enfin ce qu'on doit compter pour beaucoup, les Piémontais étaient très-aguerris, et l'on ne pouvait mépriser des troupes que le roi de Sardaigne avait commandées. (19 juillet 1747) L'action dura deux heures, c'est-à-dire que les Piémontais tuèrent deux heures de suite sans peine et sans danger tous les Français qu'ils choisirent. M. d'Arnaud, maréchal de camp, qui menait une division, fut blessé à mort des premiers avec M. de Grille, major général de l'armée.

Parmi tant d'actions sanglantes qui signalèrent cette guerre de tous côtés, ce combat fut un de ceux où l'on eut le plus à déplorer la perte prématurée d'une jeunesse florissante, inutilement sacrifiée. Le comte de Goas, colonel de Bourbonnais, y périt. Le marquis de Donge, colonel de Soissonnais, y reçut une blessure dont il mourut six jours après. Le marquis de Brienne, colonel d'Artois, ayant eu un bras emporté, retourna aux palissades en disant : « Il m'en reste un autre pour le service du roi ; » et il fut frappé à mort. On compta trois mille six cent quatre-vingt-quinze morts, et mille six cent six blessés: fatalité contraire à l'événement de toutes les autres batailles, où les blessés sont toujours le plus grand nombre. Celui des officiers qui périrent fut très-grand : presque tous ceux du régiment de Bourbonnais furent blessés ou moururent, et les Piémontais ne perdirent pas cent hommes.

Belle-Isle, désespéré, arrachait les palissades, et, blessé aux deux mains, il tirait des bois encore avec les dents, quand enfin il reçut le coup mortel. Il avait dit souvent qu'il ne fallait pas qu'un général survécût à sa défaite, et il ne prouva que trop que ce sentiment était dans son cœur. Les blessés furent menés à Briançon, où l'on ne s'était pas attendu au désastre de cette journée. M. d'Audiffret, lieutenant du roi, vendit sa vaisselle d'argent pour secourir les malades; sa femme, prête d'accoucher, prit elle-même le soin des hôpitaux, pansa de ses mains les blessés, et mourut en s'acquittant de ce pieux office : exemple aussi triste que noble, et qui mérite d'être consacré dans l'histoire1.

1. On a prétendu que le chevalier de Belle-Isle avait connaissance de l'ordre que le roi de Sardaigne avait donné de se retirer en cas d'attaque, parce qu'il croyait que les généraux français n'attaqueraient ce poste qu'après l'avoir tourné, et s'être emparés des hauteurs: ce qui n'était pas impossible. Belle-Isle avait donc l'espérance de réussir, et le succès l'eût couvert de gloire; mais le général piémontais sut interpréter les ordres de son souverain, et il ne crut pas qu'on lui eût défendu d'attendre une attaque dont le succès était impossible. (K.)

CHAPITRE XXIII.

LE ROI DE FRANCE, MAÎTRE DE LA FLANDRE ET VICTORIEUX, PROPOSE EN VAIN LA PAIX. PRISE DU BRABANT HOLLANDAIS. LES CONJONCTURES FONT UN STATHOUDER.

Dans ce fracas d'événements, tantôt malheureux, tantôt favorables, le roi, victorieux en Flandre, était le seul souverain qui voulût la paix. Toujours en droit d'attaquer le territoire des Hollandais, et toujours le menaçant, il crut les amener à son grand dessein d'une pacification générale en leur proposant un congrès dans une de leurs villes; on choisit Bréda. Le marquis de Puisieux y alla des premiers en qualité de plénipotentiaire. Les Hollandais envoyèrent à Bréda M. de Vassenaer, sans avoir aucune vue déterminée. La cour d'Angleterre, qui ne penchait pas à la paix, ne put paraître publiquement la refuser. Le comte de Sandwich, petit-fils par sa mère du fameux Wilmot, comte de Rochester, fut le plénipotentiaire anglais1. Mais tandis que les puissances auxiliaires de l'impératrice-reine avaient des ministres à ce congrès inutile, cette princesse n'y en eut aucun 2.

Les Hollandais devaient plus que toute autre puissance presser l'heureux effet de ces apparences pacifiques. Un peuple tout commerçant, qui n'était plus guerrier, qui n'avait ni bons généraux ni bons soldats, et dont les meilleures troupes étaient prisonnières en France au nombre de plus de trente-cinq mille hommes, semblait n'avoir d'autre intérêt que de ne pas attirer sur son terrain l'orage qu'il avait vu fondre sur la Flandre. La Hollande n'était plus même une puissance maritime; ses amirautés ne pouvaient pas alors mettre en mer vingt vaisseaux de guerre. Les régents sentaient tous que si la guerre entamait leurs provinces, ils seraient forcés de se donner un stathouder, et par conséquent un maître. Les magistrats d'Utrecht, de Dordrecht, de La Brille, avaient toujours insisté pour la neutralité; quelques

1. Il était alors très-jeune; c'est le même que nous avons vu deux fois dans le ministère britannique, et qui a été premier lord de l'amirauté jusqu'en 1782, dans la guerre actuelle. (K.) Jean Montagu, comte de Sandwich, né en 1718, est mort

en 1792.

2. Et ce fut ce défaut qui servit de prétexte au plénipotentiaire anglais de ne rien conclure. (G. A.)

membres de la république étaient ouvertement de cet avis. En un mot, il est certain que si les États-Généraux avaient pris la ferme résolution de pacifier l'Europe, ils en seraient venus à bout; ils auraient joint cette gloire à celle d'avoir fait autrefois d'un si petit pays un État puissant et libre, et cette gloire a été longtemps dans leurs mains; mais le parti anglais et le préjugé général prévalurent. Je ne crois pas qu'il y ait un peuple qui revienne plus difficilement de ses anciennes impressions que la nation hollandaise. L'irruption de Louis XIV et l'année 16721 étaient encore dans leurs cœurs; et j'ose dire que je me suis aperçu plus d'une fois que leur esprit, frappé de la hauteur ambitieuse de Louis XIV, ne pouvait concevoir la modération de Louis XV: ils ne la crurent jamais sincère. On regardait toutes ses démarches pacifiques et tous ses ménagements, tantôt comme des preuves de faiblesse, tantôt comme des piéges.

Le roi, qui ne pouvait les persuader, fut forcé de conquérir une partie de leur pays pendant la tenue d'un congrès inutile: il fit entrer ses troupes dans la Flandre hollandaise; c'est un démembrement des domaines de cette même Autriche dont ils prenaient la défense: il commence une lieue au-dessous de Gand, et s'étend à droite et à gauche, d'un côté à Middelbourg sur la mer, de l'autre jusqu'au-dessous d'Anvers sur l'Escaut. Il est garni de petites places d'un difficile accès, et qui auraient pu se défendre. Le roi, avant de prendre cette province, poussa encore les ménagements jusqu'à déclarer aux États-Généraux qu'il ne regarderait ces places que comme un dépôt qu'il s'engageait à restituer sitôt que les Hollandais cesseraient de fomenter la guerre en accordant des passages et des secours d'hommes et d'argent à ses ennemis 2.

On ne sentit point cette indulgence; on ne vit que l'irruption, et la marche des troupes françaises fit un stathouder. Il arriva précisément ce que l'abbé de Laville, dans le temps qu'il faisait les fonctions d'envoyé en Hollande, avait dit à plusieurs seigneurs des états qui refusaient toute conciliation, et qui voulaient changer la forme du gouvernement : « Ce ne sera pas vous, ce sera nous qui vous donnerons un maître3. »

1. Voyez tomes XIV, pages 254-255.

2. C'était pour ménager le parti français; mais cette réserve ne fit qu'irriter davantage.

3. Tout cela se fit à la sortie de d'Argenson du ministère. L'alliance de la Hollande, que celui-ci avait rêvée, avorta. Notre envahissement eut ce beau résultat de sceller l'union de l'Angleterre et de la Hollande. (G. A.)

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