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son régiment. M. de Saint-Sauveur, capitaine au régiment duro cavalerie, avec un pareil nombre, mit en fuite, sur la fin de l'action, trois escadrons ennemis; enfin, le succès étrange de ce combat est peut-être ce qui fit le plus d'honneur aux Français dans cette campagne, et qui mit le plus de consternation chez leurs ennemis. Ce qui caractérise encore cette journée, c'est que tout y fut fait par la présence d'esprit et par la valeur des officiers français, ainsi que la bataille de Fontenoy fut gagnée.

On arriva devant Gand au moment désigné par le maréchal de Saxe (11 juillet): on entre dans la ville, les armes à la main, sans la piller; on fait prisonnier la garnison de la citadelle. (15 juillet).

Un des grands avantages de la prise de cette ville fut un magasin immense de provisions de guerre et de bouche, de fourrages, d'armes, d'habits, que les alliés avaient en dépôt dans Gand: c'était un faible dédommagement des frais de la guerre, presque aussi malheureuse ailleurs qu'elle était glorieuse sous les yeux du roi.

Tandis qu'on prenait la citadelle de Gand on investissait Oudenarde, et, le même jour que M. de Lowendal ouvrait la tranchée devant Oudenarde, le marquis de Souvré prenait Bruges. Oudenarde se rendit après trois jours de tranchée (29 juillet).

A peine le roi de France était-il maître d'une ville qu'il en faisait assiéger deux à la fois. Le duc d'Harcourt prenait Dendermonde en deux jours de tranchée ouverte, malgré le jeu des écluses, et au milieu des inondations, et le comte de Lowendal faisait le siége d'Ostende.

Ce siége d'Ostende était réputé le plus difficile. On se souvenait qu'elle avait tenu trois ans et trois mois au commencement du siècle passé1. Par la comparaison du plan des fortifications de cette place avec celles qu'elle avait quand elle fut prise par Spinola, il paraît que c'était Spinola qui devait la prendre en quinze jours, et que c'était M. de Lowendal qui devait s'y arrêter trois années. Elle était bien mieux fortifiée; M. de Chanclos, lieutenant général des armées d'Autriche, la défendait avec une garnison de quatre mille hommes, dont la moitié était composée d'Anglais; mais la terreur et le découragement étaient au point que le gouverneur capitula (3 septembre) dès que le marquis

1. 21 septembre 1604, Ambroise Spinola, marquis, et général du roi d'Espagne, entra dans Ostende après un siége de trois ans, trois mois et trois jours. (B.) Voyez une des notes du Poëme de Fontenoy, tome VIII, page 393.

d'Hérouville, homme digne d'être à la tête des ingénieurs et citoyen aussi utile que bon officier, eut pris le chemin couvert du côté des dunes.

(25 auguste) Une flotte d'Angleterre, qui avait apporté du secours à la ville, et qui canonnait les assiégeants, ne vint là que pour être témoin de la prise. Cette perte consterna le gouvernement d'Angleterre et celui des Provinces-Unies; il ne resta plus que Nieuport à prendre pour être maître de tout le comté de la Flandre proprement dite, et le roi en ordonna le siége.

Dans ces conjonctures, le ministère de Londres fit réflexion qu'on avait en France plus de prisonniers anglais qu'il n'y avait de prisonniers français en Angleterre. La détention du maréchal de Belle-Isle et de son frère avait suspendu tout cartel. On avait pris les deux généraux contre le droit des gens, on les renvoya sans rançon. Il n'y avait pas moyen en effet d'exiger une rançon d'eux après les avoir déclarés prisonniers d'État, et il était de l'intérêt de l'Angleterre de rétablir le cartel.

Cependant le roi partit pour Paris, où il arriva le 7 septembre 1745. On ne pouvait ajouter à la réception qu'on lui avait faite l'année précédente. Ce furent les mêmes fêtes; mais on avait de plus à célébrer la victoire de Fontenoy, celle de Mesle, et la conquête du comté de Flandre.

CHAPITRE XVII.

AFFAIRES D'ALLEMAGNE. FRANÇOIS DE LORRAINE, GRAND-DUC DE TOSCANE, ÉLU EMPEREUR. ARMÉES AUTRICHIENNES ET SAXONNES BATTUES PAR FRÉDÉRIC III, ROI DE PRUSSE. PRISE DE DRESDE.

Les prospérités de Louis XV s'accrurent toujours dans les PaysBas: la supériorité de ses armées, la facilité du service en tout genre, la dispersion et le découragement des alliés, leur peu de concert, et surtout la capacité du maréchal de Saxe, qui, ayant recouvré sa santé, agissait avec plus d'activité que jamais, tout cela formait une suite non interrompue de succès qui n'a d'autre exemple1 que les conquêtes de Louis XIV; tout était favorable en

1. Les éditions portent : « qui n'a point d'exemple. »Voyez mon Avertissement. (B.)

Italie pour don Philippe. Une révolution étonnante en Angleterre menaçait déjà le trône du roi George II, comme on le verra dans la suite; mais la reine de Hongrie jouissait d'une autre gloire et d'un autre avantage, qui ne coûtait point de sang, et qui remplit la première et la plus chère de ses vues: elle n'avait jamais perdu l'espérance du trône impérial pour son mari, du vivant même de l'empereur Charles VII 1; et après la mort de cet empereur, elle s'en crut assurée, malgré le roi de Prusse qui lui faisait la guerre, malgré l'électeur palatin qui lui refusait sa voix, et malgré une armée française qui n'était pas loin de Francfort, et qui pouvait empêcher l'élection : c'était cette même armée commandée d'abord par le maréchal de Maillebois, et qui passa, au commencement de mai 1745, sous les ordres du prince de Conti. Mais on en avait tiré vingt mille hommes pour l'armée de Fontenoy. Le prince ne put empêcher la jonction de toutes les troupes que la reine de Hongrie avait dans cette partie de l'Allemagne, et qui vinrent couvrir Francfort, où l'élection se fit comme en pleine paix.

Ainsi la France manqua le grand objet de la guerre, qui était d'ôter le trône impérial à la maison d'Autriche 2. L'élection se fit le 13 septembre 1745. Le roi de Prusse fit protester de nullité par ses ambassadeurs; l'électeur palatin, dont l'armée autrichien ne avait ravagé les terres, protesta de même : les ambassadeurs électoraux de ces deux princes se retirèrent de Francfort; mais l'élection ne fut pas moins faite dans les formes: car il est dit dans la bulle d'or que « si des électeurs ou leurs ambassadeurs se retirent du lieu de l'élection avant que le roi des Romains, futur empereur, soit élu, ils seront privés cette fois de leur droit de suffrage, comme étant censés l'avoir abandonné 3 ».

La reine de Hongrie, désormais impératrice, vint à Francfort jouir de son triomphe et du couronnement de son époux. Elle vit, du haut d'un balcon, la cérémonie de l'entrée; elle fut la première à crier vivat, et tout le peuple lui répondit par des acclamations de joie et de tendresse. (4 octobre) Ce fut le plus beau jour de sa vie. Elle alla voir ensuite son armée, rangée en bataille

1. Les éditions portent : « du vivant même de Charles VII. » Voyez l'Avertissement de Beuchot.

2. Le nouveau ministre des affaires étrangères, le marquis d'Argenson, avait présenté au roi, avant la campagne, un Mémoire où il lui conseillait de mener en Allemagne, et non pas en Flandre, sa principale armée. C'eût été le seul moyen de décider l'électeur de Saxe, candidat de la France, à accepter l'empire. Mais Louis XV prétendit qu'on ne pouvait atteindre Marie-Thérèse que dans les Pays-Bas. ( G. A.) 3. L'Autriche eut pour elle les voix des trois électeurs ecclésiastiques, celle de Hanovre, et celle même de Saxe.

auprès de Heidelberg, au nombre de soixante mille hommes. L'empereur, son époux, la reçut, l'épée à la main, à la tête de l'armée. Elle passa entre les lignes, saluant tout le monde, dîna sous une tente, et fit distribuer un florin d'empire1 à chaque soldat.

C'était la destinée de cette princesse et des affaires qui troublaient son règne que les événements heureux fussent balancés de tous les côtés par des disgrâces. L'empereur Charles VII avait perdu la Bavière pendant qu'on le couronnait empereur, et la reine de Hongrie perdait une bataille pendant qu'elle préparait le couronnement de son époux François Ier. (1er octobre) Le roi de Prusse était encore vainqueur près de la source de l'Elbe à Sore.

Il y a des temps où une nation conserve constamment sa supériorité. C'est ce qu'on avait vu dans les Suédois, sous Charles XII; dans les Anglais, sous le duc de Marlborough: c'est ce qu'on voyait dans les Français en Flandre, sous Louis XV et sous le maréchal de Saxe, et dans les Prussiens sous Frédéric III 2. L'impératrice perdait donc la Flandre, et avait beaucoup à craindre du roi de Prusse en Allemagne, pendant qu'elle faisait monter son mari sur le trône de son père.

Dans ce temps-là même, lorsque le roi de France, vainqueur dans les Pays-Bas et dans l'Italie, proposait toujours la paix, le roi de Prusse, victorieux de son côté, demandait aussi à l'impératrice de Russie, Élisabeth, sa médiation. On n'avait point encore vu de vainqueurs faire tant d'avances, et on pourrait s'en étonner; mais aujourd'hui il est dangereux d'être trop conquérant. Toutes les puissances de l'Europe prennent les armes tôt ou tard, quand il y en a une qui remue : on ne voit que ligues et contre-ligues soutenues de nombreuses armées. C'est beaucoup de pouvoir garder par la conjoncture des temps une province acquise.

Au milieu de ces grands embarras, on reçut l'offre inouïe d'une médiation à laquelle on ne s'attendait pas; c'était celle du Grand Seigneur. Son premier vizir écrivit à toutes les cours chrétiennes qui étaient en guerre, les exhortant à faire cesser l'effusion du sang humain, et leur offrant la médiation de son maître3.

1. Les éditions portent: « un florin à chaque soldat. » Voyez l'Avertissement de Beuchot.

2. Je l'appelle toujours Frédéric III, parce que son père était Frédéric-Guillaume, et son aieul Frédéric, premier roi. (Note de Voltaire.) — Voyez la note, page 195. 3. C'est à l'instigation du pacha Bonneval que la Porte fit cette démarche. Bonneval poussa même le sultan à offrir son alliance à Louis XV, mais Noailles fit rejeter ces offres par crainte de l'empire et de la Russie. (G. A.)

Une telle offre n'eut aucune suite; mais elle devait servir au moins à faire rentrer en elles-mêmes tant de puissances chrétiennes qui, ayant commencé la guerre par intérêt, la continuaient par obstination, et ne la finirent que par nécessité. Au reste, cette médiation du sultan des Turcs était le prix de la paix que le roi de France avait ménagée entre l'empereur d'Allemagne Charles VI et la Porte-Ottomane en 1739.

Le roi de Prusse s'y prit autrement pour avoir la paix et pour garder la Silésie. (15 décembre 1745) Ses troupes battent complétement les Autrichiens et les Saxons aux portes de Dresde1; ce fut le vieux prince d'Anhalt qui remporta cette victoire décisive. Il avait fait la guerre cinquante ans. Il était entré le premier dans les lignes des Français au siége de Turin en 1706; on le regardait comme le premier officier de l'Europe pour conduire l'infanterie. Cette grande journée fut la dernière qui mit le comble à sa gloire militaire, la seule qu'il eût jamais connue. Il ne savait que combattre.

Le roi de Prusse, habile en plus d'un genre, enferma de tous côtés la ville de Dresde. Il y entre suivi de dix bataillons et de dix escadrons, désarme trois régiments de milice qui composaient la garnison, se rend au palais, où il va voir les deux princes et les trois princesses, enfants du roi de Pologne, qui y étaient demeurés i les embrassa, il eut pour eux les attentions qu'on devait attendre de l'homme le plus poli de son siècle. Il fit ouvrir toutes les boutiques qu'on avait fermées, donna à dîner à tous les ministres étrangers, fit jouer un opéra italien: on ne s'aperçut pas que la ville était au pouvoir du vainqueur, et la prise de Dresde ne fut signalée que par les fêtes qu'il y donna.

Ce qu'il y eut de plus étrange, c'est qu'étant entré dans Dresde le 18, il y fit la paix le 25 avec l'Autriche et la Saxe, et laissa tout le fardeau au roi de France 2.

Marie-Thérèse renonça encore malgré elle à la Silésie par cette seconde paix, et Frédéric ne lui fit d'autre avantage que de reconnaître François I empereur. L'électeur palatin, comme partie contractante dans le traité, le reconnut de même; et il

1. Le roi de Prusse, dans son Histoire de mon temps, dit que la paix fut signée le 25 décembre 1745. La bataille de Kesseldorff, village près de Dresde, eut lieu nécessairement avant la paix, et le 15 décembre 1745. C'est donc par faute typographique que toutes les éditions données du vivant de l'auteur portent ici, et un peu plus bas, 1746. (B.)

2. Frédéric ne recevait ni soldats ni subsides du gouvernement français; il craignait en outre l'intervention russe en faveur de l'électeur de Saxe. (G. A.)

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