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traduction de l'ouvrage anglais pour ce règne, imprimèrent les quarantetrois chapitres du Précis, je pourrais dire textuellement, tant est petit le nombre des changements qu'ils firent à l'ouvrage de Voltaire. Ils ont même conservé les notes des éditeurs de Kehl, et en ont ajouté quelques-unes' dont j'ai quelquefois fait mon profit.

Des corrections de la main de Voltaire, écrites sur un exemplaire de l'édition de 4775, dont M. de Cayrol avait pris copie, et qu'il m'a communiquées, ont été une très-bonne fortune. Je les ai toutes admises dans le texte; mais, en faisant ces nombreux changements, j'ai eu le soin d'indiquer d'après quelle autorité je les faisais, et j'ai mis en variantes le texte que je rejetais.

A la fin de quelques notes de Voltaire j'ai ajouté leur date. Il n'est pas indifférent de savoir à quelle époque plusieurs d'elles ont été écrites.

29 mars 1831.

B.

1. Parmi les notes qu'ils ajoutèrent il en est plusieurs contre Voltaire.

DOCUMENT

RELATIF

AU VOL DU MANUSCRIT DES CAMPAGNES DE LOUIS XV

OU

HISTOIRE DE LA GUERRE DE 1741 1.

L'INSPECTEUR D'HÉMERY A M. BERRYER, LIEUTENANT DE POLICE.

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous rendre compte que Le Prieur a acheté le manuscrit des campagnes de Louis XV, du sieur Richer, auteur de l'Abrégé chronologique des empereurs, et frère de Richer l'avocat, qui vient de donner un traité sur la mort civile.

Il a présenté ce manuscrit à ce Prieur comme appartenant à un M. de Venozan, officier dans le régiment de Picardie. Le Prieur l'a acheté comme tel, et Richer, pour l'en convaincre, lui a produit une quittance d'une écriture toute contrefaite, signée dudit sieur de Venozan, que Le Prieur n'a cependant pas voulu accepter qu'après avoir été endossée par ledit sieur Richer.

Cette conduite a paru suspecte à Le Prieur, avec d'autant plus de raison que Richer avait échappé, dans la conversation, le nom du chevalier de La Morlière; mais comme Le Prieur achetait d'un homme qu'il connaissait, et qu'il avait envie de l'ouvrage, il n'a pas cherché à approfondir ce qui en était.

J'ai engagé Le Prieur (qui m'a dit les choses de la meilleure grâce du monde, sous la promesse que je lui ai faite qu'il ne serait point compromis} à me confier ce billet, et j'ai reconnu que l'écriture, quoique contrefaite, du prétendu Venozan, est précisément celle du chevalier de La Morlière, ainsi qu'il est aisé de s'en convaincre en la vérifiant avec son écriture que je joins ici avec ce billet. Il n'est donc pas douteux, monsieur, que ce manuscrit ne vienne du chevalier de La Morlière, et par conséquent de la part de Voltaire,

1. Ce document faisait partie des papiers de la Bastille comme l'Interrogatoire de Voltaire (voir tome Ier). M. Ravaisson en a donné copie le premier. (G. A.)

non-seulement par les raisons que je viens de dire, mais encore parce que c'est une de ses âmes damnées, qu'il emploie à ces sortes de manœuvres 1, aussi bien que dans celles du poëme de la Pucelle, que La Morlière a répandu des premiers, et qu'il a vendu fort cher, Corbie 2 m'ayant assuré qu'il lui en avait acheté un exemplaire cinquante louis; quand ce ne serait que vingt-cinq, cela serait fort honnête, et La Morlière a pu en tirer beaucoup d'argent. Je suis même presque sûr que le voyage que j'ai su qu'il venait de faire à Rouen n'a été que pour y vendre cet ouvrage, ou peut-être pour l'y faire imprimer.

Ce 30 août 1755.

D'HEMERY.

M. Berryer a écrit en haut de la lettre :

M. Duval, 1er septembre 1753.

M. Duval a ajouté :

L'écriture du chevalier de La Morlière n'est pas jointe.

Voici le billet produit par Richer à Le Prieur :

Je cède et transporte au sieur Prieur, libraire, un manuscrit en forme de mémoire, sur la guerre dernière, pour le prix de six cents livres. A Paris, le 18 juillet 4755.

Au dos du billet:

DE VENOZAN.

Je reconnais avoir reçu de M. Prieur, imprimeur-libraire à Paris, la somme de six cents livres, que ledit sieur de Venozan m'avait chargé de recevoir pour lui, en livrant ledit manuscrit audit M. Prieur. Fait à Paris le 18 juillet 1755.

RICHER.

Je déclare que le manuscrit de l'Histoire de la guerre de 1741 m'a été remis par le sieur Richer, auteur de l'Abrégé chronologique de l'histoire des empereurs. A Paris, ce 1er septembre 1755.

LE PRIEUR.

1. On remarquera combien M. l'inspecteur juge mal. C'est un bonheur pour le philosophe que sa Correspondance soit là pour démentir les assertions du fonctionnaire. (G. A.)

2. Facteur en librairie.

PRÉCIS

DU

SIÈCLE DE LOUIS XV

CHAPITRE I.

TABLEAU DE L'EUROPE APRÈS LA MORT DE LOUIS XIV.

Nous avons donné avec quelque étendue une idée du siècle de Louis XIV, siècle des grands hommes, des beaux-arts et de la politesse il fut marqué, il est vrai, comme tous les autres, par des calamités publiques et particulières, inséparables de la nature humaine; mais tout ce qui peut consoler les hommes dans la misère de leur condition faible et périssable semble avoir été prodigué dans ce siècle. Il faut voir maintenant ce qui suivit ce règne, orageux dans son commencement, brillant du plus grand éclat pendant cinquante années, mêlé ensuite de grandes adversités et de quelque bonheur, et finissant dans une tristesse assez sombre, après avoir commencé dans des factions turbulentes.

Louis XV était un enfant orphelin. (Septembre 1715) Il eût été trop long, trop difficile et trop dangereux, d'assembler les états généraux pour régler les prétentions à la régence. Le parlement de Paris l'avait déjà donnée à deux reines: il la donna au duc d'Orléans. Il avait cassé le testament de Louis XIII: il cassa celui de Louis XIV. Philippe, duc d'Orléans, petit-fils de France, fut déclaré maître absolu par ce même parlement qu'il envoya bientôt après en exil 3.

1. Marie de Médicis en 1610; voyez tome XII, page 572, et l'Histoire du Parlement, chapitre XLIV; et Anne d'Autriche, voyez tome XIV, page 176, et l'Histoire du Parlement, chapitre LIV.

2. Voyez l'Histoire du Parlement, chapitre LIX.

3. Après tous les absurdes mensonges qu'on a été forcé de relever dans les

(1715) Pour mieux sentir par quelle fatalité aveugle les affaires de ce monde sont gouvernées, il faut remarquer que l'empire ottoman, qui avait pu attaquer l'empire d'Allemagne pendant la longue guerre de 1701, attendit la conclusion totale de la paix générale pour faire la guerre contre les chrétiens. Les Turcs s'emparèrent aisément, en 1715, du Péloponèse, que le célèbre Morosini, surnommé le Peloponésiaque, avait pris sur eux vers la fin du XVIIe siècle, et qui était resté aux Vénitiens par la paix de Carlovitz. L'empereur, garant de cette paix, fut obligé de se déclarer contre les Turcs. Le prince Eugène, qui les avait déjà battus autrefois à Zenta, passa le Danube, et livra bataille près de Pétervaradin, au grand-vizir Ali, favori du sultan Achmet III, et remporta la victoire la plus signalée (le 5 auguste 1716).

Quoique les détails n'entrent point dans un plan général, on

prétendus Mémoires de madame de Maintenon, et dans les notes de La Beaumelle, insérées dans son édition du Siècle de Louis XIV, à Francfort, le lecteur ne sera point surpris que cet auteur ait osé avancer que la grand'salle était remplie d'officiers armés sous leurs habits. Cela n'est pas vrai : j'y étais; il y avait beaucoup plus de gens de robe et de simples citoyens que d'officiers. Nulle apparence d'aucun parti, encore moins de tumulte. Il eût été de la plus grande folie d'introduire des gens apostés avec des pistolets, et de révolter les esprits, qui étaient tous disposés en faveur du duc d'Orléans. Il n'y avait autour du palais où l'on rend la justice qu'un détachement des gardes françaises et suisses. Cette fable que la grand'salle était pleine d'officiers armés sous leurs habits est tirée des Mémoires de la régence et de la Vie de Philippe, duc d'Orléans, ouvrages de ténèbres, imprimés en Hollande et remplis de faussetés.

L'auteur des Mémoires de Maintenon avance que « le président Lubert, le premier président de Maisons, et plusieurs membres de l'assemblée, étaient prêts de se déclarer contre le duc d'Orléans ».

Il y avait en effet un président de Lubert, mais qui n'était que président aux enquêtes, et qui ne se mêlait de rien. Il n'y a jamais eu de premier président de Maisons. C'était alors Claude de Mesmes, du nom d'Avaux, qui avait cette place; M. de Maisons, beau-frère du maréchal de Villars, était président à mortier, et très-attaché au duc d'Orléans. C'était chez lui que le marquis de Canillac avait arrangé le plan de la régence avec quelques autres confidents du prince. Il avait parole d'être garde des sceaux, et mourut quelque temps après. Ce sont des faits publics dont j'ai été témoin, et qui se trouvent dans les Mémoires manuscrits du maréchal de Villars

Le compilateur des Mémoires de Maintenon ajoute à cette occasion que dans le traité de Rastadt, fait par le maréchal de Villars et le prince Eugène, il y a des articles secrets qui excluent le duc d'Orléans du trône ». Cela est faux et absurde: il n'y eut aucun article secret dans le traité de Rastadt: c'était un traité de paix authentique. On n'insère des articles secrets qu'entre des confédérés qui veulent cacher leurs conventions au public. Exclure le duc d'Orléans en cas de malheur, c'eût été donner la France à Philippe V, roi d'Espagne, compétiteur de l'empereur Charles VI, avec lequel on traitait; c'eût été détruire l'édifice de la paix d'Utrecht auquel on donnait la dernière main, outrager l'empereur, renverser l'équilibre de l'Europe. On n'a jamais rien écrit de plus absurde. (Note de Voltaire.)

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