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29° Apprenez que jamais ce Cavalier, chef des fanatiques, n'obtint l'exercice de la religion calviniste dans le Languedoc 1. C'eût été obtenir le rétablissement de l'édit de Nantes. Il n'eut cette permission que pour les régiments qu'il voulut lever.

30° Apprenez, si vous pouvez, quel est l'excès ridicule d'un jeune ignorant qui dit d'un ton de maître : « Le maréchal de Villars ne prédit point la perte de la bataille d'Hochstedt; il a dit seulement les raisons pour lesquelles elle fut perdue. » Il semble, à vous entendre parler, que vous ayez entretenu ce général. Sachez que cette lettre, écrite par lui à M. de Maisons, son beaufrère, sur la seule nouvelle de la position de l'armée française à Hochstedt, est une chose connue dans sa famille. Un laquais de cette maison, qui aurait entendu ses maîtres parler de cette anecdote, serait cent fois plus croyable que vous. Il vous sied bien à vous, moins instruit et moins accrédité que ce laquais, de parler avec cette confiance d'un général dont vous n'avez jamais pu approcher! Il vous sied bien de l'appeler le plus vain des hommes2, et de lui reprocher ses richesses!

31° Apprenez que ceux qui vous ont dit que les filles héritent de la Navarre, et que c'est pour cela que Madame Royale a eu le pas sur Mesdames de France, vous ont dit trois sottises. Le patrimoine de la partie de la Navarre qui appartenait à Henri IV fut réuni par lui à la couronne de France en 1607, et plus solennellement en 1620 par Louis XIII, lorsqu'il créa le parlement de Pau; par conséquent cet État est soumis à la loi salique. Aucune princesse du sang de France, qui n'est pas reine, n'a le pas sur Mesdames de France, c'est-à-dire sur les filles du roi. Ses filles gardent entre elles le rang de l'ordre de la naissance. La duchesse de Savoie, fille de Henri IV, qu'on appelait Madame Royale, ne put jamais être en concurrence avec plusieurs filles d'un roi de France. Elle était la seconde des filles de Henri IV. La première fut femme de Philippe IV, roi d'Espagne, la troisième fut reine d'Angleterre. Il n'y eut point de Mesdames de France du temps de Louis XIII ni de Louis XIV. Vous savez aussi peu l'histoire que le cérémonial.

32° Apprenez que vous êtes aussi téméraire quand vous approuvez que quand vous critiquez. Le portrait, dites-vous, que j'ai fait des princes de Vendôme est très-ressemblant. Oui, il l'est, parce que j'ai eu l'honneur de voir trois ans de suite le dernier

1. Voyez page 36.

2. C'est à la page 109 du tome II de l'édition du Siècle de Louis XIV, avec des notes de M. de La B***, que Villars est appelé ainsi. (B.)

prince de Vendôme; mais ce n'est pas à vous à le dire. C'est ainsi que pourrait s'exprimer un homme qui les aurait longtemps approchés; mais vous n'avez pas plus de droit de confirmer mon témoignage que de le nier.

33° Apprenez que c'est dans les Mémoires manuscrits du marquis de Dangeau que se trouvent ces paroles de Louis XIV sur le maréchal de Villeroi : « On se déchaîne contre lui parce qu'il est mon favori. » Ce n'est pas assez que je les aie lues dans ces Mémoires pour les rapporter; elles m'ont été confirmées par d'autres personnes, et surtout par le cardinal de Fleury. Ce n'est que sur plusieurs témoignages unanimes qu'il est permis d'écrire l'histoire. Le rapport d'un témoin considérable donne de la probabilité, le rapport de plusieurs peut faire la certitude historique, et la négation de La Beaumelle fait une impertinence.

34° Apprenez que Saint-Olon, gentilhomme ordinaire du roi, envoyé à Fez et à Gênes, n'était et ne pouvait être un secrétaire d'ambassade. Sachez qu'il n'y a point chez les ministres de France de secrétaire d'ambassade proprement dit, comme il se pratique ailleurs, mais des secrétaires d'ambassadeurs, choisis et payés par l'ambassadeur même. Sachez que le roi de France n'envoie jamais d'ambassadeur à Gênes, et que Louis XIV y fit porter ses menaces par cet officier de sa maison, comme un pareil officier y a été envoyé par Louis XV qui la protégeait. Sachez que je le suis, quoi que vous en disiez, et que je ne m'en vante pas comme vous le dites; que je regarde avec beaucoup d'indifférence tous les titres et tous les honneurs, en respectant profondément ceux qui m'en ont honoré; que je ne mets jamais aucun titre à la tête de mes ouvrages ; que je ne m'annonce, que je ne me donne que pour un homme de lettres que vous auriez dû choisir plutôt pour votre maître que pour votre ennemi. Vous avez en vain l'insolence de vouloir avilir un corps de la maison du roi de France, en disant que de mauvais historiens de Louis XIV, Racine, Larrey, et moi, étaient de ce corps. A l'égard de Racine, Louis XIV voulut l'élever à cette dignité pour récompenser un très-grand mérite; et Louis XV a daigné me faire la même grâce, qui est audessus de ma naissance, pour favoriser mes faibles efforts, et pour encourager les lettres. Cette condescendance de deux grands rois fait honneur à leur générosité, et ne peut faire aucun tort à un corps d'officiers de la couronne, aussi ancien que la monarchie1.

1. La Beaumelle s'efforce jusqu'au bout de répondre à Voltaire. Mais de toutes ses remarques, une seule est à recueillir pour l'histoire. Il nous apprend que co

Je pourrais vous donner autant de leçons que vous avez fait de remarques; mais je me contenterai de vous donner en général l'avis d'étudier, et de vous repentir.

DEUXIÈME PARTIE'.

Pour mieux se justifier auprès du public de tant de détails, et pour rendre autant qu'on le peut les choses personnelles d'une utilité générale, on fera ici une remarque littéraire qu'on soumet au jugement de tous ceux qui lisent ou qui écrivent l'histoire. La Beaumelle, en jeune homme inconsidéré, me reproche de n'avoir pas semé assez de portraits dans mon ouvrage. J'ai toujours pensé que c'est une espèce de charlatanerie de peindre autrement que par les faits les hommes publics avec lesquels on n'a pu avoir de liaison. J'ai peint le siècle et non la personne de Louis XIV, ni celle de Guillaume III, ni le grand Condé, ni Marlborough. Il n'appartient qu'au père Maimbourg de faire des portraits recherchés et fleuris des héros que l'on n'a pas vus de près. Le cardinal de Retz a fait une espèce de galerie de portraits dans ses Mémoires cette liberté lui était très-permise. Il avait connu tous ceux dont il parlait, dans toutes les situations de leur âme, dans leur vie particulière et publique, dans leurs amitiés et dans leur haine, dans leur bonne et mauvaise fortune. Il serait seulement à souhaiter peut-être que son pinceau eût été quelquefois moins conduit par la passion. De tous ces caractères tracés par des contemporains, qu'il y en a peu d'entièrement fidèles ! N'entend-on pas tous les jours porter des jugements différents d'un homme en place par la même personne, selon qu'elle est plus ou moins contente? J'eus une preuve bien forte de ce que j'avance lorsqu'un jour, à Bleinheim, je suppliai Mme la duchesse de Marlbo

mot: Il n'y a plus de Pyrénées, qu'il a attribué avec Voltaire à Louis XIV, est de l'ambassadeur d'Espagne, dont les propres expressions sont : Les Pyrénées sont fondues. (G. A.)

1. Dans quelques éditions, cette seconde partie portait le titre de Réfutation plus directe. (B.)

2. Voyez ce que Voltaire dit sur les portraits, dans le Dictionnaire philosophique, au mot HISTtoire.

rough de me montrer ses Mémoires. Elle me répondit : « Attendez quelque temps, je suis occupée actuellement à réformer le caractère de la reine Anne; je me suis remise à l'aimer depuis que ces gens-ci gouvernent. >>

Recherche qui voudra ces portraits de la figure, de l'esprit, du cœur, de ceux qui ont joué les premiers rôles sur le théâtre du monde. Je sais que ces peintures vraies ou fausses amusent notre imagination. Le bon sens est souvent en garde contre elles.

Je me soucie fort peu que Colbert ait eu les sourcils épais et joints, la physionomie rude et basse, l'abord glaçant; qu'il ait joint de petites vanités au soin de faire de grandes choses : j'ai porté la vue sur ce qu'il a fait de mémorable, sur la reconnaissance que les siècles à venir lui doivent, non sur la manière dont il mettait son rabat, et sur l'air bourgeois que le roi disait qu'il avait conservé à la cour.

Un La Beaumelle peut dire à son gré, dans la vie de Mme de Maintenon que « Mme de La Vallière avait des yeux bleus, point atteints du désir de plaire; que Mme de Montespan avait le nez de France le mieux tiré; l'autour du cou environné de mille petits amours ». Il peut dire que Mlle de Fontanges était une grande fille bien faite, que Me de Montespan lui découvrait la gorge devant le roi, et qu'elle disait; « Voyez, sire, que cela est beau! qu'en dites-vous? admirez donc. » Il peut ajouter que Louis XIV l'aima comme Pygmalion. C'est là le style dont il croit qu'il faut écrire l'histoire, et que sa modestie veut me donner pour modèle. C'est à lui de peindre en détail toutes les dames de la cour de Louis XIV: il les a connues à Genève; et moi, comme il le dit très-bien, je n'ai consulté pendant vingt ans que des gens qui ont mal vu'.

A l'égard des écrivains qui devinent d'après leurs propres idées celles des personnages du temps passé, et qui, de quelques événements peu connus, prennent droit de démêler les plus secrets replis des cœurs, bien moins connus encore; ceux-là donnent à l'histoire les couleurs du roman. La curiosité insatiable des lecteurs voudrait voir les âmes des grands personnages de l'histoire sur le papier, comme on voit leurs visages sur la toile; mais il n'en va pas de même. L'àme n'est qu'une suite continuelle d'idées et de sentiments qui se succèdent et se détruisent les mouvements qui reviennent le plus souvent forment ce qu'on

1. La Beaumelle reconnait la justesse des observations de Voltaire sur les portraits. (G. A.)

appelle le caractère, et ce caractère même reçoit mille changements par l'âge, par les maladies, par la fortune. Il reste quelques idées, quelques passions dominantes, enfants de la nature, de l'éducation, de l'habitude, qui, sous différentes formes, nous accompagnent jusqu'au tombeau. Ces traits principaux de l'âme s'altèrent encore tous les jours, selon qu'on a mal dormi ou mal digéré. Le caractère de chaque homme est un chaos, et l'écrivain qui veut débrouiller après des siècles ce chaos, en fait un autre. Pour l'historien qui ne veut peindre que de fantaisie, qui ne veut que montrer de l'esprit, il n'est pas digne du nom d'historien. Un fait vrai vaut mieux que cent antithèses.

Il en est à peu près de même des harangues. Si les héros qu'on fait parler ne les ont pas prononcées, l'histoire alors est romanesque en ce point. Il n'y a que deux discours directs dans toute. l'histoire du Siècle de Louis XIV'. Ils furent tous deux prononcés en effet, l'un par le maréchal de Vauban au siége de Valenciennes, l'autre par le duc d'Orléans avant la bataille de Turin. On n'examine point ici les raisons qu'ont eues quelques anciens de prendre une plus grande liberté; mais on croit que dans un siècle aussi philosophe que le nôtre, et au milieu de tant de nations éclairées, l'on doit au public ce respect de ne dire que l'exacte vérité, de faire toujours disparaître l'auteur pour ne laisser voir que le héros, et de ne mettre jamais son imagination à la place des réalités. Le goût du siècle présent est de montrer de l'esprit à quelque prix que ce puisse être. On préfère une épigramme à tout, et c'est en partie ce qui a fait tout dégénérer.

Après cette digression, on est malheureusement obligé de revenir à un objet bien dégoûtant pour le public, à La Beaumelle. On sait bien qu'il ne peut s'agir avec lui ni de discussion littéraire, ni d'éclaircissements historiques. C'est un homme qui dit en deux mots, au bas des pages, ou des absurdités, ou des mensonges, ou des injures.

Que ne s'en est-il tenu à outrager l'auteur du Siècle! Mais la même fureur insensée qui lui a dicté son libelle du Qu'en dira-t-on l'a porté encore, dans ses remarques sur le siècle passé, à oser attaquer les puissances du siècle où nous sommes. Enhardi qu'il est par une impunité qui ne doit pas durer, mais qui l'aveugle, il insulte le roi de Prusse, toute la maison d'Orléans, et le roi de France.

Les lecteurs judicieux, et qui ont de l'humanité, ne seront pas

1. Voyez tome XIV, pages 276 et 375.

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