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Méthode, où l'on trouve, avec les nouveaux principes philosophiques, une étude spéciale du monde physique et l'exposition d'un système d'expériences pour l'avancement de toutes les sciences. Dans tous on rencontre, sous une forme didactique ou théorique, le développement des mêmes idées. Mais il ne se contente pas de prendre ainsi à la lutte une part purement spéculative et désintéressée.

Dans l'université d'Utrecht, le débat entre Henri Leroy et Voët avait commencé dès l'année 1639. Descartes, tenu au courant de ce qui se passait, avait d'abord cru bon de ne point répondre; mais en 1643, l'affaire avait pris des proportions telles qu'il se vit appelé en justice pour réparation d'honneur. Quoique, suivant lui, il ne fallût point dissiper les trésors de la nouvelle philosophie en des mains indignes, cependant son amour- propre d'auteur n'avait pu tenir plus longtemps contre les attaques que l'implacable Voët et son fils, maître ès arts, qui commençait à remuer dans l'université, dirigeaient contre son système, et il avait publié une lettre au P. Dinet, dans laquelle il dévoilait toutes les menées des deux Voët. Il allait être condamné sans plus d'information par les commissaires délégués du sénat d'Utrecht, et il était sur le point de voir brûler ses livres par la main du bourreau, lorsqu'il s'adressa à l'ambassadeur de France, et fit arrêter toute cette procédure par les États de la province, qui en même temps révoquèrent plusieurs priviléges accordés à l'université d'Utrecht. Vers cette époque, Descartes fit un voyage en France pour régler quelques affaires d'intérêt; mais à son retour en Hollande, non content d'avoir repoussé d'injustes attaques, il prit l'offensive et demeura enfin en pleine possession de la victoire.

Vers le même temps avaient lieu les premières critiques du P. Bourdin, et Descartes, qui s'était longtemps flatté d'avoir les membres de la Société de Jésus pour partisans, craignit alors, à cause de l'accord qui régnait entre eux, de les avoir tous sur les bras. Mais cette crainte ne le fit pas reculer. Au

contraire, il projeta de rédiger et de publier une réfutation méthodique de la philosophie scolastique telle qu'elle était enseignée par les jésuites, il étudia leurs auteurs, et surtout l'ouvrage de dom Eustache de Saint-Paul, dit le Feuillant, dont il voulut faire une critique complète mais il renonça bientôt à cette entreprise en voyant que le recteur du collége de Clermont ne voulait pas faire de la querelle de Bourdin celle de la Société entière, et persuadé surtout que le système contre lequel était dirigée sa critique croulerait bientôt.

En 1641, nous le voyons faire suivre la publication de ses Méditations des réponses aux objections1 qu'elles soulèvent. Nous avons dit plus haut que de brillants écarts avaient vicié l'œuvre de notre philosophe. C'étaient ces écarts qui attiraient ces objections, et qui entraînaient Descartes dans la voie de la polémique. Il s'était ouvert une route nouvelle et avait imaginé le doute méthodique, mais il y marchait mal, et c'était avec justesse que les penseurs du temps critiquaient chacun de ses pas. Son doute, en effet, ne pouvait s'attaquer qu'aux préjugés d'école et d'éducation, mais il n'avait rien à faire contre la lumière naturelle, et du moment qu'il attaquait cette lumière et la mettait en suspicion, il lui était impossible de ressaisir les principes auxquels elle donne naissance. C'était ce que ses adversaires lui faisaient observer avec raison. Dans ses Réponses, il faut bien l'avouer, il n'est pas toujours victorieux, il montre un grand talent de polémiste, mais il n'entraîne pas toujours notre conviction, et il est obligé d'abandonner la rigueur primitive de son doute.

Qu'est-ce à dire cependant, et l'œuvre de Descartes seraitelle frappée de stérilité dans sa source même? Loin de nous cette pensée. On ne l'a pas assez remarqué peut-être, c'est en se servant des mêmes armes que lui que ses adversaires triomphent, et s'ils l'attaquent, c'est qu'il leur a ouvert

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la route de la critique. Ils marchent dans le même chemin que lui; ils abandonnent l'autorité et l'hypothèse, pour ne s'en rapporter désormais qu'à la lumière naturelle. Si Descartes a mal observé l'esprit, comme Bacon avait mal observé la matière, cependant la postérité tiendra toujours compte à ces deux grands hommes d'avoir les premiers, dans les temps modernes, indiqué la voie dans laquelle il fallait marcher. Toujours elle oubliera volontiers qu'ils ont trébuché sur les pierres du chemin, pour ne se souvenir que de la grandeur de pensée qui les animait, lorsqu'ils osaient proclamer, en présence d'une doctrine appuyée sur l'autorité de plusieurs générations de penseurs, que la seule source de nos connaissance est dans l'observation, et que, hors de là, il n'y a point de salut.

La dernière lutte sérieuse que Descartes soutint au sujet de sa philosophie fut contre Revius et Trigland, de l'université de Leyde. Là, on l'accusait d'avoir écrit que notre libre arbitre est plus grand que Dieu même; on l'accusait encore de tenir Dieu pour un imposteur et un trompeur. Vivement blessé de ces attaques qui, en réalité, étaient absurdes, il écrivit aux curateurs de l'université de Leyde et aux conseillers de la ville pour demander justice; mais il ne l'obtint pas d'abord, et fut forcé de recourir à l'intervention de l'ambassadeur de France, ou du moins à celle d'un personnage fort influent, pour obtenir que les deux théologiens qui lui avaient attribué des opinions directement contraires à celles qu'il professait, seraient blâmés et réprimandés.

La fin de la vie de Descartes est peu importante maintenant pour ceux qui ne veulent étudier en lui que le philosophe.

Dans ses dernières années, il fit quelques voyages en France, y obtint de Mazarin une pension de 3,000 livres pour l'aider à continuer ses belles expériences, et cette pension, il faut le dire à la louange du cardinal-ministre, lui

fut payée exactement, malgré les troubles du royaume, jusqu'au moment de son départ pour la Suède. Dans ces voyages, il vit Blaise Pascal, et lui donna l'idée de faire une expérience sur la pesanteur de l'air, idée qu'avait eue en même temps Toricelli. Enfin, il partit pour la Suède le 1er septembre 1649, et débarqua à Stockholm au commencement d'octobre. C'était un magnifique hommage donné par une tête couronnée au mérite philosophique; mais Descartes n'en jouit pas longtemps, et, le 11 février 1650, il mourait d'une inflammation de poitrine dans l'hôtel de l'ambassadeur de France. La reine Christine fut vivement affligée de cette perte elle assura plus tard que c'était dans ses entretiens qu'elle avait puisé le désir de se convertir.

En 1667, les cendres de Descartes furent rapportées en France et déposées dans l'église Sainte-Geneviève du Mont, au centre des écoles, dans le sanctuaire des sciences et des lettres.

VI.

Nous avons suivi Descartes dans toutes les phases de sa vie; nous avons dit quelle fut son œuvre, par quelles études elle fut préparée, de quels écarts elle fut suivie et quelles tempêtes elle souleva autour d'elle. Est-il bien nécessaire maintenant de porter un jugement sur son mérite et son importance? Le nom de Descartes rayonne sur le xvne siècle tout entier; en France, les poëtes comme les prosateurs, les Molière, les Racine, les la Fontaine, les Boileau, comme les Sévigné, les la Bruyère, les Bossuet, les Fénelon, les Malebranche, s'inspirent de ses écrits, et si leur siècle a mérité le nom de grand siècle, si on peut le compter avec raison pour une des quatre époques où la pensée humaine s'est mani

festée avec le plus de justesse dans le fond comme dans la forme, c'est que tous ils sont pénétrés de la doctrine cartésienne, tous ils rejettent la science du passé, ou plutôt ne l'acceptent que sous bénéfice d'inventaire, se replient sur eux-mêmes, étudient leur propre cœur, et en tirent cette originalité puissante qui anime leurs chefs-d'œuvre.

C'est de Descartes qu'ils ont appris à procéder ainsi, c'est lui qui leur a ouvert la voie et donné l'exemple. Comme l'a fort bien dit M. Cousin : « Essayez d'enlever Descartes à son temps, la France du xvn° siècle n'est pas seulement troublée, elle est déchirée. Hommes et choses, tout est remué et bouleversé de fond en comble. Il n'y a peut-être pas un seul fait intellectuel un peu considérable qui demeure entier, ni un grand esprit qui reste debout. Que deviennent Malebranche, Arnauld, Fénelon, Bossuet, Spinoza, Leibnitz, Locke lui-même? Tous ont reçu par quelque côté et portent visible l'empreinte de Descartes. >>

Voici en quelques mots les résultats de son œuvre qu'aucune critique, aucune objection n'a jamais pu ébranler :

Il montra que la pensée doit s'étudier d'une autre manière que le corps, et que ce n'est ni avec les yeux ni avec les mains, mais avec la lumière naturelle qu'il faut constituer la science de l'esprit.

Il établit que l'idée de la pensée et celle de l'étendue sont très-distinctes l'une de l'autre, et que la conscience nous fait voir dans la première, et non dans la seconde, la partie essentielle de notre être, de notre moi, pour parler comme les psychologues de nos jours.

Il démontra que nos idées ne s'attachent pas toujours aux objets matériels, et que nous en avons qui nous représentent des objets complétement distincts.

Enfin, il prouva que l'idée de la perfection divine est en nous, qu'elle n'est pas le fruit du raisonnement, qu'au contraire elle précède et provoque le travail des théologiens.

Ces quatre principes que ses adversaires, dans le feu de

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