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L'Onde s'élève par étage

Montant par cent tuyaux divers,
Et fe faifant avec courage

Un nouveau chemin dans les airs
S'empreffe d'aller rendre hommage
Au plus grand Roi, de l'Univers.
Ici du haut d'une éminence
Je la vois fe précipiter,
Puis fe répandre & ferpenter
Dans ce charmant lieu de plaisance
Où Louis trouve tant d'attraits.
Là redoublant fa violence,

Elle entre en des conduits fecrets,
D'où vers le Ciel elle s'élance,
Et contribuant quelque fois
Au plaifir du meilleur des Rois,
Elle en fait à toute la France.

Les connoiffeurs dans le genre de Penfées nobles & délicates ont remarqué avec raison celle de l'Empereur Titus dans la Tragédie de ce nom par Mr. Racine. Il aimoit la Reine Bérénice, mais il fentoit bien qu'il ne pouvoit l'époufer fans déplaire aux Romains. Parmi toutes les raifons qu'il allégue pour lui faire comprendre qu'il faut qu'ils fe féparent l'un de l'autre, il lui parle ainsi :

Je fais tous les tourmens où ce deffein me li

vre,

Je fens bien que fans vous je ne faurois plus vi

vre,

Que mon cœur de moi-même est prêt à s'éloi,

gner,

Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.

Il y a une délicateffe infinie dans ce dernier Vers, & tout homme de goût comprend le fens de ces mots Il ne s'agit plus de vivre.

Voici comme un échantillon d'une Pensée naturelle, c'eft-à-dire d'une Penfée dont la force du fentiment fait tout le prix, où la nature toute pure fe fait fentir fous l'apparence des expreffions les plus fimples; c'est un petit dialogue entre un Paffant & une Tourterelle,

Le Paffant.

Que fais-tu dans ce bois, plaintive Tourterelle? La Tourterelle.

Je gémis, j'ai perdu ma compagne fidelle!

Le Paffant.

Ne crains-tu point que l'Oifeleur

Ne te faffe mourir comme elle?

La Tourterelle.

Si ce n'eft lui, ce fera ma douleur.

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y a beaucoup de fineffe dans ce tour que prend Mr. de la Motte pour louer Mr. le Duc d'Orléans, alors Régent du Royaume. Il lui parle ainfi dans une Épître dédicátoire.

Je rappelle ton premier âge Quand nous faifions l'apprentiffage Moi d'Auteur & toi de Héros; Phœbus me fourioit & j'arrangeois des mots, Mars au grand Art de vaincre inftruifoit ton courage,

Et leurs Eléves nous faifions

Moi des difcours & toi des actions.

On fent que cette comparaifon du Poëte au Prince loin de choquer, tourne toute entiere à la gloire du Héròs, puifque le Poëte affecte de faire fentir l'extrême difproportion du talent de l'un à celui de l'autre. Moi des difcours & toi des actions.

Epitaphe du Maréchal de Rantzau.

Le Maréchal de Rantzau avoit reçu tant de bleffures à la guerre qu'il en étoit tout mutilé; il y avoit perdu un bras, une jambe, un œil, une oreille. Après fa mort il parut une Épitaphe à ce fujet qui eft fort eftimée pour le caractere de fublimité qui y régne. L'Auteur s'adreffe au Tombeau de ce célébre Général.

Du Corps du grand Rantzau tu n'as qu'une des

parts,

L'autre moitié refta dans les plaines de Mars; Il difperfa par-tout fes membres & fa gloire ; Tout abattu qu'il fut il demeura vainqueur: Son fang fut en cent lieux le prix de fa victoire, Et Mars ne lui laiffa rien d'entier que le cœur.

CHAPITRE IIL

Des Sentimens.

A matiere dont nous allons parler a un rapport immédiat avec la précédente; car avoir de grands fentimens, c'est penser noblement, mais comme le terme de penfée, à proprement parler, s'entend des productions de l'efprit, & que celui de Sentimens s'entend des affections du cœur, nous avons cru devoir féparer ces deux objets. Nous allons donc confidérer les pensées relativement aux différentes impreffions de notre Ame & dans l'ordre des Sentimens, mais de Sentimens que l'efprit a fu rendre fouvent avec beaucoup de délicateffe. On fait, comme nous l'avons déjà remarqué, qu'outre la délicateffe dans les penfées qui vient purement de l'efprit, il y en a une qui vient des Sentimens & où l'affection a plus de part que l'intelligence; ainfi nous n'envifageons ici les pensées que comme les expreffions des grands Sentimens dont nous nous fommes pro

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