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Faifoit taire des vents les bruyantes haleines
Quatre bœufs attelés d'un pas tranquile & lent
Promenoient dans Paris le Monarque indolent.
Ce doux fiécle n'eft plus, le Ciel impitoyable
A placé fur le Trône un Prince infatigable;
II brave mes douceurs, il eft fourd à ma voix,
Tous les jours il m'éveille au bruit dé ses ex-
ploits;

Rien ne peut arrêter fä vigilante audace, L'Eté n'a point de feux, l'Hyver n'a point de glace;

J'entens à son seul nom tous mes sujets frémir.
En vain deux fois la paix a voulu l'endormir,
Loin de moi fon courage entraîné par la gloire
Ne fe plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Lutrin, Chant II.

On doit dire à peu près la même chofe du morceau fuivant, furtout pour la délicateffe de la Penfée. Boileau dans une Épître à Mr. de Lamoignon où il fait l'éloge de la vie Champêtre, feint qu'à fon retour de la Campagne un de fes amis lui. parle des victoires du Roi, voici ce qu'il lui fait dire:

Dieu fçait comme les Vers chez vous s'en vont

couler,

Dit d'abord un ami qui veut me cajoler,

Et dans ce tems guerrier & fécond en Achilles, Croit que l'on fait les Vers comme l'on prend les Villes;

Mais moi dont le génie eft mort en ce moment Je ne fais que répondre à ce vain compliment, Et justement confus de mon peu d'abondance, Je me fais un chagrin du bonheur de la France.

Le même Poëte termine fa premiere Épître au Roi, de la maniere fuivante.

Pour moi qui fur ton nom déjà brûlant d'écrire
Sens au bout de ma plume expirer la Satire ;
Je n'ofe de mes Vers vanter ici le prix.
Toutefois fi quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il fon ufage.
Et comme tes exploits gonnant les Lecteurs
Seront à peine crus für la foi des Auteurs ;
Si quelque efprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croyables;
Boileau qui dans fes Vers plein de fincérité,
Jadis à tout fon fiécle a dit la vérité »
Qui mit à tout blâmer fon étude & fa gloire,
A pourtant de ce Roi parlé comme l'Hiftoire
Epit. L

Le morceau fuivant ne le céde point en délicateffe à ceux qu'on vient de voir. C'eft ici pareillement une maniere indirecte de louer Louis XIV. Le grand Corneille dans fa Piéce Héroïque de la Toifon d'Or fait parler ainfi la France à la Déeffe de la Victoire.

'Ah! Victoire, pour fils n'ai-je que des Soldats? La gloire qui les couvre à moi-même funefte Sous mes plus beaux fuccès fait trembler tout: le refte.

Ils ne vont aux combats que pour me protéger, Et n'en fortent Vainqueurs que pour me ravas

ger.

S'ils renverfent des murs, s'ils gagnent des Bastailles,

Ils prennent droit par-là de ronger mes entrail

les. .

Mon Roi que vous rendez le plus puiffant des Rois,

En goûte moins le fruit de fes propres exploits, Du même œil dont il voit fes plus nobles Con

quêtes,

Il voit ce qu'il leur faut facrifier de têtes.
De ce glorieux Trône où brille fa vertu
Il tend fa main augufte à fon Peuple abattu;
Et comme à tout moment la commune mifere
Rappelle

Rappelle en fon grand cœur les tendreffes de

pere;

Ce cœur fe laiffe vaincre aux vœux que j'ai formés

Pour faire refpirer ce que vous oppimez.

Le Pere du Cerceau s'adreffe à fa Mufe & lui parle de la maniere fuivante dans une Épître pour Monfeigneur le Dauphin qui étoit alors dans la plus tendre enfance, & qui eft aujourd'hui Louis XV. C'eft après l'avoir exhortée à n'approcher de l'augufte Prince qu'avec beau coup de refpect. Le'tour qu'il prend eft tout-à-fait ingénieux, noble & délicat.

Vous me direz: Prince tant foit-il grand
Si jeune encor, entrevoit-il fon rang?
De fon berceau touchant à la Couronne,
Diftingue-t-il l'éclat qui l'environne?
Et de Louis préfomptif fucceffeur,
De fon deftin connoît-il la grandeur?
Mufe, il la fent s'il ne fait la connoître ;
Dans les Héros que pour régner fait naître
Des grands Bourbons la Royale Maison,
Le fang inspire & prévient la raison.

Le noble inftinct qui dans leur cœur domine
Rappelle en eux leur auguste origine

G

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Et de ce fang reçu de tant de Roîs

La Majefté reclame tous les droits.
Allez donc, Mufe, & déformais inftruite
Sur ces leçons réglez votre conduite;
De ce Soleil fous l'enfance éclipfé,
N'approchez point d'un air trop empreffé..
Souhaitez-lui les vertus de fon pere,
Ajoûtez-y les graces de la mere,
L'ame & le cœur du Dauphin fon ayeul,
De Louis tout, il comprend tout lui feul,

Le même Poëte en faifant la defcrip tion d'une Campagne charmante de laquelle on voit la Machine de Marly; prend occafion de faire un éloge Poëtique de cette célébre invention de l'Art, & de donner adroitement & comme en paffant une haute idée du grand Roi pour qui elle avoit été faite.

Mais, ô Dieux! qu'eft-ce que je vois ?
Que de prodiges à la fois,

Quelle merveilleuse structure!
Je me trompe, ou l'Art envieux
Semble vouloir en ces beaux lieux

Le difputer à la nature.

N'eft-ce point un enchantement
Qui m'impofe agréablement ?

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