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délicateffe ajoûte je ne fais quoi d'agréable 65 au fublime même. Une réflexion fubtile& judicieuse, tout enfemble contribue beaucoup à cette délicateffe. Ces fortes de Penfées font ordinairement exprimées d'une maniere vive qui plait infiniment par le tour ingénieux & peu commun dont elles font rendues; c'est ce tour même qui les fait fouvent appeller brillans. Il eft certain qu'elles ennobliffent la matiere traitée par l'Auteur; elles-donnent de la grace & de l'élévation au difcours; mais outre la délicateffe des Penfées qui vient de Pefprit feulement, il en a une qui vient des fentimens, & ou l'affection à plus de part que l'intelligence; c'eft ce qu'on verra avec un peu plus de détail dans le Chapitre des grands Sentimens. Nous allons donner de fuite quelques exemples de Penfées nobles & délicates.

Exemples des Penfees nobles &

délicates.

Un de nos Poëtes termine ainfi PÉR aphe du Cardinal de Richelieu.

y

Il fut trop abfolu fur l'efprit de fon Maître; Mais fon Maître par lui fut le Maître des Rois

Dans un éloge de Louis XIV. non imprimé, un Poëte s'exprime ainfi. Son Ame eft au-deffus de fa grandeur suprême, La vertu brille en lui plus que le Diadême; Et quoiqu'un vafte Etat soit soumis à sa Loi, Le Hérôs en Louis eft plus grand que le Roi.

Après la publication d'une fameufe paix, on parloit ainfi de Louis XIV. Un Héros que le Ciel fait naître

Pour le bonheur de cent Peuples divers;
Aime mieux calmer l'Univers

Que d'achever de s'en rendre le Maître.

Il cherche à rendre heureux jufqu'à ses enne

mis,

Tout eft par ses travaux dans une paix profonde.
Et ce n'eft plus à Mars qu'il peut être permis
De troubler le repos du monde. .. ..
Ballet du Triomphe de l'Amour.

Il a fait fur lui-même un effort génereux,
Il veut rendre le monde heureux;

préfére au bonheur d'en devenir le Maître La gloire de montrer qu'il mérite de l'être. Perfée, Tragédie en musique

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Les Mufes vont lui faire entendre

Mille nouveaux concerts;

De fa grandeur il fe plaît à defcendre,
Il fçait mêler les jeux à cent travaux divers;
L'envie en vain frémit de voir les biens qu'il
cause.

Une aimable paix eft la Loi

Que ce Vainqueur impofe,

Son tonnerre infpire l'effroi

Dans le tems même qu'il repofe.

Phaeton, Prologue.

Qu'il régne ce Héros, qu'il triomphe toujours, Qu'avec lui foit toujours la paix ou la victoire, Que le cours de fes ans dure autant que le cours De la Seine & de la Loire ;

Qu'il régne ce Hérôs, qu'il triomphe toujours, Qu'il vive autant que fa gloire.

Ces derniers Vers font du grand Racine, & terminent une Idylle qu'il avoit faite fur la paix, & qui fut chantée dans P'Orangerie de Sceaux, devant le Roi Louis XIV. Rien n'eft plus naturel ni plus délicat que ce dernier Vers: Qu'i vive autant que fa gloire.

Autres Exemples.

Boileau parle ainfi de Louis XIV dans fon Epître fur le fameux paffage du

Rhin.

Louis les animant du feu de fon courage
Se plaint de fa grandeur qui l'attache au rivage.
Déjà du plomp mortel plus d'un brave eft at

teint,

Sous les fougueux Courfiers l'Onde écume & fe plaint;

De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un tems fur les eaux la fortune douteuse,
Mais Louis d'un regard fait bien-tôt la fixer
Le deftin à fes yeux n'oferoit balancer..

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» Ces derniers Vers paroiffent d'abord hardis, mais ils ne font que forts, dit le Pere Bouhours, & ils ont une vraye nobleffe qui les autorife. Le Poëte ne dit pas en général que les deftins dépendent du Roi, il ne parle que du deftin de la guerre. Comme le fiftême de fa penfée eft tout poëtique, il a droit de mettre la fortune en jeu, & comme la préfence d'un Prince auffi magnanime

rendoit les Soldats invincibles; c'eft Louis paroît

>comme s'il difoit : Dès que

on eft affuré de la victoire. Et plus bas il dit encore:

Quel plaifir de te fuivre aux rives du Scaman dre,

D'y trouver d'Ilion la poëtique cendre,

De juger fi les Grecs qui briferent fes Tours Firent plus en dix ans que Louis en dix jours.

On ne peut rien de plus délicatement penfé que cette plainte que le même Poëte fait faire à la moleffe fur les travaux. guerriers de ce grand Monarque, on peut dire que rien n'eft mieux imaginé, & que le tour eft nouveau. Voici l'endroit..

Hélas! qu'eft devenu ce tems cet heureux

tems,

Où les Rois s'honoroient du nom de faineans S'endormoient fur le Trône, & me fervant fans

honte,

Laiffoient leur Sceptre aux mains ou d'un Mai-` re ou d'un Comte.

Aucun foin n'approchait de leur paifible Cour, On repofoit la nuit, on dormoit tout le jour;: Seulement au printems, quand Flore dans les plaines

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