Page images
PDF
EPUB

Mais pour penfer bien il ne fuffit pas que les Penfées n'ayent rien de faux, ear les Penfées, à force d'être vrayes, font quelquefois triviales; ainfi outre la vérité qui contente l'efprit, il faut quelque chofe qui le frappe & qui le furprenne : mais comme toutes les Penfées ingénieuses ne fauroient être nouvelles, il faut du moins que celles qui font employées dans des Ouvrages d'efprit, ne foient point ufées.

2o. On o peut dire que dans ce genre, & furtout en fait de Poëfie, la vérité qui plaît tant ailleurs fans nul ornement, en demande ici néceffairement; & cet ornement n'eft quelque fois qu'un tour nouveau qu'on donne aux chofes par des figures, des comparaifons, des Allégories, des Métaphores & autres fecours de l'Art qu'un efprit facile fçait mettre en ufage.

3°. Ellés doivent être proportionnées au fujet qu'on traite; ainfi dans une matiere férieufe & élevée, des Penfées badines & familieres feroient déplacées de même que dans un fujet guai & riant on trouveroit mauvais qu'un Auteur employât des figures & des comparaifons qui ne font propres qu'au genre fublime. 4°. Elles doivent être claires & intel

ligibles, autrement quelques fublimes, quelqu'agréables, quelques délicats qu'elles foient, elles perdent tout leur prix, & on ne fait aucun cas de l'efprit de l'Auteur. En toute forte de matieres, l'obfcurité est très-vicieuse. Ce que des perfonnes intelligentes ont peine à entendre n'eft point ingénieux, on eft obfcur à mefure qu'on a le fens petit & le goût mauvais.

5. Il faut qu'elles laiffent quelque chofes à penfer à ceux qui les lifent ou qui les entendent. Agir autrement & tourner trop long-tems autour d'une même Penfée, c'eft épuifer le fujet, & c'eft tomber dans le défaut qu'on a fi juftement reproché à Ovide. Un des plus fûrs moyens de plaire n'eft pas tant de dire & de penfer comme de faire penfer & de faire dire (a). Un Auteur qui veut tout dire ôte au Lecteur un plaifir qui le charme & pour lequel il goûte les Ouvrages d'ef prit; il fe choque même parce qu'il lui donne fujet de croire qu'on fe défie de fa capacité, au lieu que l'adreffe de l'Auteur eft d'ouvrir feulement l'efprit au Lecteur en lui préparant de quoi produire & de quoi raifonner. Par là le Lecteur attribue (4) Bouhours,

ce qu'il penfe à un effet de fon génie.

6. Elles doivent être naturelles. Les Penfées naturelles font celles que la nature du fujet préfente, qui naiffent pour ainfi dire du sujet même où rien n'est tiré de loin, ni trop recherché. Une Pensée naturelle femble devoir venir à tout le monde, & n'avoir prefque rien coûté à trouver. Rien n'eft beau s'il n'eft naturel; enfin elles doivent être nobles & délicates; car comme le vrai eft l'ame d'une Penfée, la nobleffe & la délicateffe en font l'ornement & en rehauffent le prix. Nous allons voir ce qu'on doit entendre par ces deux qualités.

Des Penfees nobles, grandes &
Sublimes.

La nobleffe des Penfées vient, felon Hermogene, de la majefté des chofes dont elles font les images. Telle eft la nature de celles qui paffent pour grandes & illuftres parmi les hommes, comme la puiffance, la générofité, l'efprit, le les victoires, les triomphes, les grands traits de vertu & de magnanimité qui caractérisent les Héros, &c. On doit met

courage,

tre dans la même efpece les Penféès fortes & fublimes. Ce font celles qui font plei-. nes d'un grand fens, exprimé en peu de paroles d'une maniere vive. On en verra des exemples au Chapitre des Sentimens dans le genre fublime, ces fortes de Penfées entraînent comme par force notre jugement & remuent toute notre Ame. Elles plaisent beaucoup parce qu'elles ont du grand qui charme toujours l'efprit.

Čette nobleffe des Penfées vient encore de la nature des figures que l'on em-ploye pour peindre les objets. La Métaphore, par exemple, eft une forte de figure qui produit un merveilleux effet fur notre imagination. Rien ne flatte plus l'efprit que la représentation d'un objet fous une image étrangere, comme dans cette Penfée : Les Lys ne filent point, pour dire qu'en France les filles ne fuccedent point à la Couronne. Il en eft de même des Métaphores animées & qui marquent de l'action; telle eft cette expreffion de Malherbe pour dire que la mort n'épargne perfonne: Et la Garde qui veille aux barrieres du Louvre n'en deffend pas nos Rois ; ou celle d'Horace lorfqu'il veut fai→ re entendre que les Grands ne font point

exemts de foucis, car il les dépeint volanu autour des lambris dorés: Mentis & curas laqueata circumtecta volantes ( a ). Mais il faut obferver que la véritable grandeur & la nobleffe des Penfées doivent avoir de juftes mefures; tout ce qui excé de eft hors des régles de la perfection.

Des Penfées délicates.

-Les Penfées délicates ont cela de propre, qu'elles font fouvent renfermées ent peu de paroles, & que le fens qu'elles contiennent n'eft pas fi visible ni fi marqué; il femble d'abord qu'elles le cachent en partie afin qu'on le cherche & qu'on le devine, ou du moins elles le laiffent feulement entrevoir pour nous donner le plaifir de le découvrir tout-à-fait quand on a de l'efprit. Ce petit Myftere eft comme l'ame de la délicateffe des Pensées, en forte que celles qui n'ont rien de mystérieux ni dans le fonds ni dans le tour, & qui fe montrent toutes entieres, à la miere vûe ne font pas, à proprement parler, délicates, quelques fprituelles qu'elles foient; d'où l'on peut remarquer que la

~ (a) Liv. 2. Ode 16,

pre

délicateffe

« PreviousContinue »