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Une ame de vices noircie,

Te voilà nud, mais trait pour trait.

La Motte.

ABUS QUE L'HOMME FAIT DE SA

RAISON.

Que les hommes même dont l'efprit eft cultivé, ne doivent pas tant fe glorifier de leur raifon, à caufe du mauvais usage qu'ils en font.

Mais vous, Mortels, qui dans le monde,
Croyant tenir les premiers rangs,
Plaignez l'ignorance profonde
De tant de Peuples différens,
Qui confondez avec la Brute
Le Huron caché fous fa hute;
Au feul inftinct presque réduit
Parlez, quel eft le moins barbare
D'une raison qui vous égare,
Ou d'un inftin&t qui le conduit?
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La nature en tréfors fertile
Lui fait abondamment trouver
Tout ce qui lui peut être utile,
Soigneufe de le conferver,
Content du partage modefte

Qu'il tient de la bonté Célefte,

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Il vit fans trouble & fans ennui
Ep fi fon climat lui refuse
Des biens dont l'Europe abuse,
Ce ne font plus des biens pour lui.
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Couché dans fon antre ruftique,
Du Nord il brave la rigueur,
Et notre luxe Afiatique
N'a point énervé fa vigueur;
Il ne regrette point la perte
De ces Arts dont la découverte
A l'homme a couté tant de foins,
Et qui devenus néceffaires,
N'ont fait qu'augmenter nos miferes
En multipliant nos befoins.

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Il méprife la vaine étude
D'un Philofophe pointilleux,
Qui nageant dans l'incertitude,
Vante fon favoir orgueilleux.
Il ne veut d'autre connoiffance
Que ce que la Toute-Puiffance
A bien voulu nous en donner;
Et fait qu'elle créa les fages
Pour profiter de ses ouvrages,
Et non pour les examiner,

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Maintenant fertiles Contrées,

Sages mortels, Peuples heureux,
Des Nations hyperborées

Plaignez l'aveuglement affreux;
Vous qui dans la vaine nobleffe,
Dans les honneurs, dans la moleffe,

Fixez la gloire & les plaifirs,

Vous de qui l'infâme avarice

Promene au gré de fon caprice
Les infatiables defirs.

Rouleau

Sur les defirs de l'homme.

Quelle espece eft l'humaine engeance? Pauvres mortels, où font donc vos beaux jours ?

Gens de defirs & d'espérance,

Vous foupirez long-tems après la jouiffance,
Jouiffez-vous, vous vous plaignez toujours,
Mille & mille projets roulent dans vos cervel-
les.

Quand ferai-je ceci? quand aurai-je cela?
Jupiter vous dit : le voilà.

Demain dites m'en des nouvelles.

Jouiffez, je vous attends là.

Ne vous y trompez pas, toute chofe a deux

faces,

Moitié défauts & moitié graces,

Que cet objet eft beau! vous en êtes tenté ;
Qu'il feroit laid, s'il devient vôtre.
Ce qu'on fouhaite eft vû du bon côté,
Ce qu'on pofféde eft vû de l'autre.

La Motte:

Que la cupidité de l'homme eft infatiable.

L'homme fourd à ma voix comme à celle du

fage,

Ne dira-t-il jamais : c'eft affez, jouiffons. Hâte-toi, mon ami, tu n'as pas tant à vivre. Je te rebats ce mot, car il vaut tout un livre. Jouis. Je le ferai. Mais quand donc ? Dès de

main.

Eh, mon ami, la mort te peut prendre en che

min.

Même fujet.

La Font

L'homme eft ainfi bâti, quand un fujet l'enfla

me,

L'impoffibilité disparoît à son ame;

Combien fait-il de vœux ? combien perd-il de pas?

S'outrant pour acquérir des biens ou de la gloire. Si j'arrondiffois mes Etats,

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats, Si j'apprenois l'Hébreu, les Sciences l'Hiftoire,

Tout

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Que les inclinations & les humeurs des hom mes font différentes felon les âges.

Le tems qui change tout, change auffi nos hu

meurs,

Chaque âge a fes plaifirs, fon efprit & fes

mœurs.

Un jeune homme toujours bouillant dans fes caprices

Eft prompt à recevoir l'impreffion des vices
Eft vain dans fes difcours, volage en fes defirs,
Rétif à la cenfure & fou dans les plaifirs. -
L'âge viril plus mur inspire un air plus fage
Se pouffe auprès des Grands, s'intrigue & se
ménage,

Contre les coups du fort fonge à fe maintenir,
Et loin dans le préfent regarde l'avenir.
La vieilleffe chagrine inceffamment amaffe,
Garde, non pas pour foi les tréfors qu'elle en-

taffe,

Marche en tous fes deffeins d'un pas lent &

glacé,

Mm

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