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Un Singe Maître Clerc du Bailli du Village,

Et que pour lui-même on prenoit,

Quand il mettoit par fois fa robe & fon bonnet,
Parut à nos deux Chats tout un Aréopage.
Par-devant Dom Bertrand le fromage eft porté,
Bertrand s'affied, prend la balance,
Touffe, crache, impofe filence,

Fait deux parts avec gravité,

En charge les baffins, puis cherchant l'équilibre;

Pefons, dit-il, d'un efprit libre,

D'une main circonfpecte, & vive l'équité.
Ça, celle-ci déjà me paroît trop pefante.
Il en mange un morceau; l'autre pese à fon

tour;

Nouveau morceau mangé par raison du plus lourd.

Un des baffins n'a plus qu'une légere pente.
Bon, nous voilà contens, donnez, difent les
Chats.

Si vous êtes contens, Justice ne l'eft pas,
Leur dit Bertrand, race ignorante,
Croyez-vous donc qu'on fe contente
De paffer comme vous les chofes au gros fas,
Et ce difant, Monfeigneur fe tourmente
A manger toujours l'excédent,

Par équité toujours donne fon coup de dent.
De fcrupule en scrupule avançoit le fromage,

Kk

Nos Plaideurs enfin las des frais,
Veulent le reste sans partage.

Tout beau, leur dit Bertrand, soyez hors de procès.

Mais le refte, Meffieurs, m'appartient comme épice ;

A nous autres auffi nous nous devons justice. Allez en paix & rendez grace aux Dieux, Le Bailli n'eut pas jugé mieux.

La Motte.

RÉFLEXIONS INGÉNIEUSES. 387

CHAPITRE XI.

Penfées ou Réflexions ingénieufes, & Maximes utiles fur divers fujets, rangées par ordre alphabétique.

SUR LES AMIS.

QU'un ami véritable eft une douce chose!

Il cherche vos befoins au fonds de votre cœur ;
Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même.
Un fonge, un rien, tout lui fait

Quand il s'agit de ce qu'il aime.

peur

La Font.

Chacun fe dit ami, mais fou qui s'y repose;

Rien n'eft plus commun que ce nom,
Rien n'eft plus rare que la chofe.

Amitié fraîche á ce défaut,

Ibid

Qu'elle jafe plus qu'il ne faut.

La Motte.

Un ennemi nuit plus que cent amis ne fervent.

Qu'à jamais les Dieux m'en préservent:

La haine veille & l'amitié s'endort.

Ibid.

Sur l'amour propre:

L'amour propre

autres,

eft la fource en nous de tous les

C'en eft le sentiment qui forme tous les nôtres. Lui feul allume, éteint ou change nos defirs, Les objets de nos vœux le font de nos plaifirs. Corn. lit. & Béren.

Les égards nous font dûs à tous tant que nous fommes,

Et tout amour propre a fes droits :

Il faut ménager tous les hommes, En fait d'orgueil tous les hommes font Rois;

La Motte.

Sur l'utilité de l'Apologue ou des Fables

morales.

L'Apologue eft un don qui vient des Immor tels,

Ou fi c'eft un préfent des hommes, Quiconque nous l'a fait mérite des Autels: Nous devons tous tant que nous fommes

Eriger en Divinité

Le fage par qui fut ce bel art inventé.

C'eft proprement un charme, il rend l'ame at tentive,

Ou plutôt il la tient captive,
Nous attachant à des recits

Qui menent à fon gré les cœurs & les efprits.

Sur l'avarice.

La Font.

De tous les vices des humains

Le plus moqué c'est l'avarice,

C'eft auffi le plus fou, bernez le, c'est justice, Quant à moi j'y donne les mains.

Qu'en dirons-nous? ou plutôt que n'en direzvous pas ?

Peignez l'avare en fa folle difette,
De Belzebuth infâme Anachorette,

Qui fait vœu fur fon or de renoncer à tout;
Qui fe traite lui-même à fa table maudite,
Comme un effronté parafite

Qu'il voudroit éloigner par un mauvais ragout.
Quand le vice eft opiniâtre,

La Satire doit l'être auffi.

'Allez le bafouer de Théâtre en Théâtre, Tant qu'à le corriger vous ayez réussi.

La Motte.

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