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carriere font reftés bien loin derriere lui.

Mais quoique la Fontaine foit regardé comme un Auteur inimitable, il y a eu des hommes célébres qui ont travaillé dans le même Genre que lui, & quoiqu'ils n'ayent point atteint la perfection où il eft arrivé, on peut dire qu'il y a des Fables qui font forties de leur plume, mais en petit nombre, que la Fontaine n'auroit pas défavoué. » Il y a (a) encore des places honorables au-deffous de la 3 fienne, & on peut être fouffert auprès de lui quoiqu'on ne foit pas auffi bon que lui. A vouloir même s'arrêter au feul Genre de la narration dans le ftile familier & badin, on peut dire qu'il a paru plufieurs Piéces (b) depuis quelques années qui font comparables à tout ce que la Fontaine a fait de mieux, felon le propre jugement d'un des plus grands Poë tes (c) de nos jours.

(a) La Motte,

(h) Vert vert, la Chartreuse, le Lutrin, Epitres diverles, &c. On en a rapporté ci-deffus quelque morceau ehoifi,

(c) Rouffeau.

FABLES CHOISIES,

Pour fervir d'exemple dans le Genre Familier.

Les Animaux malades de la pefte

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en fa fureur Inventa pour punir les crimes de la Terre. La pefte, (puisqu'il faut l'appeller par fon nom,) Capable d'enrichir en un jour l'Achéron, Faifoit aux Animaux la guerre.

Ils n'en mouroient pas tous, mais tous étoient frappés.

On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le foutien d'une mourante vie,
Nuls mets n'excitoient leur envie.

Ni Loups ni Renards n'épioient
La douce & l'innocente proye,
Les Tourterelles fe fuyoient,

Plus d'amour, partant plus de joye.
Le Lion tint confeil & dit: Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune;

Que le plus coupable de nous

Se facrifie aux traits du Célefte courroux, Peut-être obtiendra-t-il la guérifon commune,

L'Hiftoire nous apprend qu'en de tels accidens

On fait de pareils déyoûmens,

Ne nous flattons donc point, voyons fans in dulgence

L'état de notre confcience.

Pour moi fatisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons;

Que m'avoient-ils fait ? nulle offense: Même il m'eft arrivé quelque fois de manger Le Berger.

Je me dévoûrai donc s'il le faut, mais je pense Qu'il eft bon que chacun s'accuse ainfi que moi; Car on doit fouhaiter selon toute justice

Que le plus coupable périffe,

Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi, Vos fcrupules font voir trop de délicateffe. Eh bien, manger Moutons, canaille, fotte e

pece,

Eft-ce un péché? Non, non; vous leur fites, Seigneur,

En les croquant beaucoup d'honneur, Et quant au Berger, l'on peut dire Qu'il étoit digne de tous maux, Etant de ces gens là qui fur les Animaux Se font un chimérique empire.

Ainfi dit le Renard, & flatteurs d'applaudir, On n'ofa trop approfondir

Du Tigre ni de l'Ours, ni des autres Puiffances

Les moins pardonnables offenses. Tous les gens quérelleurs, jufqu'aux fimples

Mâtins,

Au dire de chacun étoient de petits Saints. L'Ane vint à fon tour, & dit : j'ai fouvenance Qu'en un pré de Moines paffant,

La faim, l'occafion, l'herbe tendre, & je pense
Quelque Diable auffi me pouffant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avois nul droit, puifqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro fur le Baudet.
Un Loup quelque peu Clerc prouva par fa ha
rangue

Qu'il falloit dévouer ce maudit Animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abomina
ble!

Rien que la mort n'étoit capable

D'expier fon forfait, on le lui fit bien voir. Selon que vous ferez puiffant ou misérable, Les jugemens de Cour vous rendront blanc ou noir.

La Font.

L'Aigle & le Hibou.

L'Aigle & le Chat-luant, leurs querelles cef

ferent,

Et firent tant qu'ils s'embrafferent. L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou, Qu'ils ne fe goberoient leurs petits peu ni prou. Connoiffez-vous les miens? dit l'Oifeau de Minerve,

Non, dit l'Aigle, tant-pis, reprit le trifte Oir

seau,

Je crains en ce cas pour

leur peau,

C'eft hazard fi je les conferve.

Comme vous êtes Roi, vous ne confidérez Qui ni quoi; Rois & Dieux mettent, quoi. qu'on leur die,

Tout en même Cathégorie.

Adieu mes nourriffons, fi vous les rencontrez. Peignez les moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez,

Je n'y toucherai de ma vie.

Le Hibou repartit: mes petits font mignons, Beaux, bien faits & jolis fur tous leurs compa gnons.

Vous les reconnoîtrez fans peine à cette marg

que.

N'allez pas l'oublier; retenez là fi biẹn

Que chez moi la maudite Parque N'entre point par votre moyen. Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture, De façon qu'un beau foir qu'il étoit en pâture, Notre Aigle apperçut d'avanture

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