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ma l'un & détefta l'autre. C'eft dans ces circonftances que Rhadamifte eft envoyé en qualité d'Ambaffadeur de la part des Romainschez Pharafmane. Là il a occafion d'entretenir Zénobie en particulier, & ils viennent à fe reconnoître.

ZENOBIE.

Seigneur, eft-il permis à des infortunées,
Qu'au joug d'un fier tiran le fort tient enchaî

nées,

D'ofer avoir recours dans la honte des fers
A ces mêmes Romains Maîtres de l'Univers?
En effet quel emploi pour ces Maîtres du mon-

de,

Que le foin d'adoucir ma mifere profonde.
Le Ciel qui foumit tout à leurs auguftes loix....

RHADAMISTE.

Que vois-je ? ah malheureux ! quels traits! quel'
fon de voix !

Juftes Dieux ! quel objet offrez-vous à ma vûe?
ZEN OBIE.

D'où vient à mon aspect que votre ame eft és

mue

Seigneur ?

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RHADAMISTE.

Ah! fi ma main n'eut pas privé du jour... 7. E'NOBIE.

Qu'entends-je ? quels regrets! & que vois-je à

mon tour?

Trifte reffouvenir! je frémis, je frissonne ;
Où fuis-je ? & quel objet? la force m'abandonne.
Ah! Seigneur, diffipez mon trouble & ma ter-

reur,

Tout mon fang eft glacé jusqu'au fonds de mon

cœur.

RHADAMISTE.

Ah! je n'en doute plus au tranfport qui m'ani

me;

Ma main n'as-tu commis que la moitié du cri

me!

Victime d'un cruel contre vous conjuré, Ttriste objet d'un amour jaloux, désespéré, Que ma rage a pouffé jufqu'à la barbarie. Après tant de fureurs, eft-ce vous Zénobie?

ZE'NOBIE.

Zénobie! ah grands Dieux! cruel, mais cher époux !

Après tant de malheurs, Rhadamifte eft-ce

RHADAMISTE.

Se peut-il que vos yeux le puiffent méconnoître?
Oui, je fuis ce cruel, cet inhumain, ce traître,
Cet époux meurtrier: plût au Ciel qu'aujour-
d'hui

Vous euffiez oublié fes crimes avec lui!
O Dieux! qui la rendez à ma douleur mortelle,
Que ne lui rendez-vous un époux digne d'elle!
Par quel bonheur le Ciel touché de mes regrets
Me permet-il encor de revoir tant d'attraits!
Mais hélas ! fe peut-il qu'à la Cour de mon pe-

re,

Je trouve dans les fers une époufe fi chere!
Dieux! n'ai-je pas affez gémi de mes forfaits,
Sans m'accabler encor de ces tristes objets?
O de mon désespoir victime trop aimable,
Que tout ce que je vois rend votre époux cou-
pable!

Quoi! vous verfez des pleurs?

ZE'NOBIE.

Malheureuse! & comment

N'en répandrois-je pas dans ce fatal moment?
Ah cruel! plût aux Dieux que ta main ennemie
N'eut jamais attenté qu'aux jours de Zénobie!
Le cœur à ton aspect défarmé de courroux,
Je ferois mon bonheur de revoir mon époux,
Et l'amour s'honorant de ta fureur jalouse,

Dans tes bras avec joye eut remis ton épouse. Ne crois pas cependant que pour toi fans pitié Je puiffe te revoir avec inimitié.

RHADAMISTE.

Quoi, loin de m'accabler, grands Dieux ! c'eft
Zénobie

Qui craint de me hair & qui s'en justifie !
Ah! punis moi plutôt ; ta funefte bonté

Même en me pardonnant, tient de ma cruauté.
N'épargne point mon fang, cher objet que j'a-

dore,

Prive moi du bonheur de te revoir encore.

Faut-il pour t'en preffer embraffertes genoux? (a) Songe au prix de quel fang je devins ton époux. Jufques à mon amour tout veut que je périffe, Laiffer le crime en paix, c'eft s'en rendre complice.

Frappe, mais fouviens-toi que malgré ma fu

reur,

Tu ne fortis jamais un moment de mon cœur ;
Que fi le repentir tenoit lieu d'innocence,
Je n'exciterois plus ni haine ni vengeance,
Que malgré le courroux qui te doit animer,
Ma plus grande fureur fut celle de t'aimer.

ZENOBIE.

Leve-toi, c'en eft trop puisque je te pardonne ;

(a) 11 fe jette à les genoux.

Que

Que fervent les regrets où ton cœur s'abandonne?

Va, ce n'eft pas à nous que les Dieux ont re

mis

Le pouvoir de punir de fi chers ennemis.

Nomme moi les climats où tu fouhaites vivre Parle, dès ce moment je suis prête à te fuivre. Sure que les remords qui faffiffent ton cœur Naiffent de ta vertu plus que de ton malheur. Heureufe fi pour toi les foins de Zénobie Pouvoient un jour fervir d'exemple à l'Armé nie X

La rendre comme moi foumise à ton pouvoir, Et l'inftruire du moins à fuivre ton devoir.

RHADAMISTE

Jufte Ciel! fe peut-il que des nœuds légitimes
Avec tant de vertus uniffent tant de crimes?
Que l'hymen affocie au fort d'un furieux
Ce que de plus parfait firent naître les Dieux ?
Quoi! tu peux me revoir fans que la mort d'un
pere,

Sans que mes cruautés, ni l'amour de mon fre

re,

Ce Prince, cer amant fi grand, fi généreux,
Te faffe détefter un époux malheureux ?
Et je puis me flatter qu'infenfible à fa flamme,
Tu dédaignes les veux du vertueux Arfame ?

Ee

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