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ce, qui ont porté à faire le choix des divers morceaux de Poëfie que l'on voit dans ce Recueil..

Scénes intéreffantes par la tendreffe des fentimens..

Après que les Grecs eurent détruit la Ville de Troye, Andromaque, veuve d'Hector, fameux Troyen, dont la valeur avoit rendu leurs efforts fi long-tems inu-tiles, échut en partage à Pyrrhus fils d'A chille, lequel avoit tué Hector, & elle demeura fa prifonniere avec fon fils Aftianax. L'Hiftoire de ces tems héroïques nous repréfente Andromaque comme très attachée à la mémoire d'Hector. Elle,lui avoit élevé un magnifique Tombeau en Épire, & elle ne ceffoit de parler de luis, on dit même qu'elle cacha pendant quelque tems fon fils Aftianax dans ce Tom-beau pour le dérober à la connoiffance des Grecs, parce que les Grecs craignant: qu Hector ne revécut un jour dans cet enfant, demandoient à Pyrrhus qu'il le leur livrât; mais Pyrrhus qui aimoit paffionément Andromaque s'y oppofot de tout fon pouvoir & fe flattoit qu'en fau-

vant le fils, il pourroit fléchir la rigueur de la mere & la faire confentir à l'épou-fer: tantôt il employoit fon amour pour l'adoucir en fa faveur, tantôt défefpéré, il faifoit femblant de vouloir livrer aux Grecs Aftianax. C'eft dans cette pofition que le célébre Racine nous représente Andromaque dans la Tragédie de ce

nom.

PYRRHUS.

Me cherchiez-vous, Madame ? Un efpoir fi charmant me feroit-il permis? ANDROMAQUE.

Je paffois jufqu'aux lieux où l'on garde mon fils. Puifqu'une fois le jour vous fouffrez que je voye Le feul bien qui me refte & d'Hector & de Troye. Fallois, Seigneur, pleurer un moment avec lui, Je ne l'ai point encore embraffé d'aujourd'hui. PYRRHU S.

Ah! Madame, les Grecs, fi j'en crois leurs allarmes

Vous donneront bien-tôt d'autres sujets de lar

mes.

ANDROMAQUE.

Et quelle eft cette peur dont leur cœur eft frap

pé ?

Seigneur, quel Troyen vous eft-il échappé ?.

PYRRHUS.

Leur haine pour Hector n'eft pas encor éteinte, Els redoutent fon fils.

ANDROMAQUE.

Digne objet de leur crainte !

Un enfant malheureux qui ne fait pas encor Que Pyrrhus eft fon Maître, & qu'il eft fils d'Hector.

PYRRHUS..

Tel qu'il eft,tous les Grecs démandent qu'il pé

riffe,

Le fils d'Agamemnon vient hâter fon fupplice..

ANDROMA QUE..

Et vous prononcerez un arrêt fi cruel! ·
Eft-ce mon intérêt qui le rend criminel?"
Hélas ! on ne craint point qu'il venge un jour

fon pere,

On craint qu'il n'effuyât les larmes de fa mere. Il m'auroit tenu lieu d'un pere & d'un époux, Mais il me faut tout perdre & toujours par vos

coups.

PYRRHUS:

Madame, mes refus ont prévenu vos larmes

Tous les Grecs m'ont déja menacé de leurs ar

mes;

Mais duffent-ils encore en repaffant les eaux Demander votre fils avec mille Vaiffeaux, Coûtât-il tout le fang qu'Hélene a fait répandre Duffai-je après dix ans voir mon Palais en cen-dre,

Je ne balance point, je vole à fon fecours, Je deffendrai fa vie aux dépens de mes jours. Mais parmi ces périls puis-je espérer encore Que vous accepterez un cœur qui vous ado re?

En combattant pour vous me fera-t-il permis De ne vous point compter parmi mes ennemis

ANDROMA QUE.

Seigneur, que faites-vous? & que dira la Gréce? Faut-il qu'un fi grand cœur montre tant de foibieffe?...

Quels charmes ont pour vous des yeux infortu

nés

Qu'à des pleurs éternels vous avez condamnés? Non, non, d'un ennemi respecter la misere, Sauver des malheureux, rendre un fils à fa-me

re,

De cent Peuples pour lui combattre la rigueur Sans me faire payer fon falut de mon cœur, Malgré moi, s'il le faut, lui donner un azile;

Seigneur

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Hé quoi! votre courroux n'a-t-il pas eu fon cours?

Peut-on hair fans ceffe? & punit-on toujours? J'ai fait des malheureux, fans doute, & la Phrigie

Cent fois de votre fang a vû ma main rougie. Mais que vos yeux fur moi se sont bien exercés, Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont verfés!

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De combien de remords m'ont ils rendu la proye?

Je fouffre tous les maux que j'ai fait devant
Troye.....

Mais enfin tour à tour c'est affez nous punir,
Nos ennemis communs devroient nous réunir.
Madame, dites mbi feulement, que j'efpere
Je vous rends votre fils & je lui fers de pere;
Je l'inftruirai moi-même à venger les Troyens,
J'irai punir les Grecs de vos maux & des miens;
Animé d'un regard je puis tout entreprendre,
Votre Ilion encor peut fortir de fa cendre.
Je puis en moins de tems que les Grecs ne
l'ont pris

Pans fes murs relevés couronner votre fils.
Bb

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