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Si vous aimez encore à la favorifer,
Otez lui les moyens de fe plus divifer....

Vous la replongerez en quittant cet Empire Dans les maux dont à peine encore elle ref pire,

Et de ce peu, Seigneur, qui lui refte de fang, Une guerre nouvelle épuisera son flanc.... Confervez-vous, Seigneur, en lui laiffant un Maître

Sous qui fon vrai bonheur commence de renaî

tre,

Et pour mieux affurer le bien commun de tous, Donnez un fucceffeur qui foit digne de vous.

AUGUSTE.

N'en délibérons plus, cette pitié l'emporte, Mon repos m'eft bien cher, mais Rome eft la plus forte;

Et quelque grand malheur qui m'en puiffe arri

ver,

Je confens à me perdre afin de la fauver.

Cinna de Corn

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DE LA GRANDEUR ROMAINE.

Sujet de la Scéne fuivante.

La faction de Sylla l'ayant emporté à Rome fur celle de Marius, ce dernier fut profcrit & obligé de prendre la fuite & de fe tenir caché: tous fes Partifans eurent le même fort & quitterent l'Italie. Sertorius un des plus grands hommes de Guerre qu'ayent eu les Romains, fut de ce nombre,il fe refugia en Efpagne, y forma un parti confidérable des reftes de la faction de Marius, il s'y foutint vaillamment contre toutes les forces de celle de Sylla, il remporta même de grands avantages fur le fameux Pompée; mais les deux Partis étant convenus d'une tréve, Pompée se rendit dans la Ville où étoit Sertorius, & eut avec lui une conférence qui fait le fujet de la Scéne fuivante. On a remarqué avec bien de raifon que la grandeur Romaine éclate dans cette Piéce avec toute fa pompe, mais fur-tout dans la Scéne dont il s'agit.

On eft ravi d'être témoin de la conver fation de deux grands hommes, qui malgré les grands intérêts qu'ils ont à démê→ ler, accompagnent leurs difcours de cette politeffe noble & délicate qui paroît comme naturelle aux perfonnes d'une haute naiffance. Il femble, dit ingénieufement Mr. de Fontenelle, à l'occafion de cette Piéce (a), que Mr. de Corneille ait eu des Mémoires particuliers fur les Romains pour avoir fi bien faifi leur caractere & leurs moeurs.

SERTORIUS.

Seigneur, qui des mortels eut jamais ofé croire Que la tréve à tel point dût rehauffer ma gloire, Qu'un nom à qui la Guerre a fait trop applau

dir,

Dans l'ombre de la paix trouvât à s'agrandir? Certes, je doute encor fi ma vûe eft trompée, Alors que dans ces murs je vois le grand Pompée..

POMPE'E.

L'inimitié qui régne entre nos deux Partis N'y rend pas de l'honneur tous les droits amor,

tis.

(a) Vie de Corneille.

Comme le vrai mérite a ses prérogatives
Qui prennent le deffus des haines les plus vives,
L'eftime & le respect sont de juftes tributs
Qu'aux plus fiers ennemis arrachent les vertus;
Et c'est ce que vient rendre à la haute vaillance
Dont je ne fais ici que trop d'expérience,
L'ardeur de voir de près un fi fameux Héros,
Sans lui voir en la main Pique ni Javelots,
Et le front défarmé de ce regard terrible
Qui dans nos Escadrons guide un bras invinci

ble.

Je fuis jeune & Guerrier & tant de fois Vain

queur,

Que mon trop de fortune a pû m'enfler le cœur. Mais, & ce franc aveu fied bien aux grands

courages,

J'apprens plus contre vous par mes défavantag ges,

Que les plus beaux fuccès qu'ailleurs j'ai em portés

Ne m'ont encore appris par mes profpérités...
Ah! fi je vous pouvois rendre à la République ;
Que je croirois lui faire un préfent magnifique!
Et que j'irois, Seigneur, à Rome avec plaifir
Puifque la tréve enfin m'en donne le loifir;
Si j'y pouvois porter quelque foible espérance
D'y conclurre un accord d'une telle importan

ce:

Près de l'heureux Sylla ne puis-je rien pour

vous ?

Et près de vous, Seigneur, ne puis-je rien pour tous?

SERTORIUS.

Vous ne me donnez rien par cette haute estime
Que vous n'ayez déja dans le degré fublime
La victoire attachée à vos premiers Exploits :
Un triomphe avant l'âge où le fouffrent nos
loix,

Avant la dignité qui permet d'y prétendre, Font trop voir quels refpects l'Univers vous doit rendre.

Si dans l'occafion je ménage un peu mieux
L'affiete du Pays & la faveur des lieux (a),
Si mon expérience en prend quelqu'avantage,
Le grand Art de la guerre attend quelque fois
l'âge...

Quant à l'heureux Sylla, je n'ai rien à vous

dire,

Je vous ai montré l'art d'affoiblir fon Empire, Et fi je puis jamais y joindre des leçons Dignes de vous apprendre à repaffer les monts, Je suivrai d'affez près votre illuftre retraite

(a) Mr. de Turenne étant un jour à une repréfentation de Sertorius, s'écria à deux ou trois endroits de la Piéce : Où donc Corneille a-t-il appris l'Art de la Guerre? Parnaf, Franç. de Mr, du Tillet a Art. de P. Corneilla.

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