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Scénes célébres par la dignité des Perfonnages & l'élévation des fentimens.

L'Empereur Augufte met en délibération s'il quittera l'Empire ou s'il le retiendra. C'est le fujet de la Scéne fuivante dans laquelle on voit que le Souverain pouvoir même n'est pas capable de mettre le cœur humain au-deffus de tous fes défirs, & qu'il renferme plus de foucis qu'on ne s'imagine. On y voit les réponfes de Cinna & de Maxime à qui Augufte demande leur avis fur un deffein de cette importance. Cette Scéne eft traitée avec toute la nobleffe & la dignité que demandoit un pareil fujet ; l'élévation y ségne dans les fentimens & l'harmonie dans les Vers; tout y eft digne du grand Corneille. On n'en a extrait que les traits les plus remarquables.

AUGUSTE.

Cet empire abfolu fur la Terre & fur l'Onde, Ce pouvoir fouverain que j'ai fur tout le mon

de,

Cette grandeur fans borne & cet illuftre rang Qui m'a jadis couté tant de peine & de fang.

Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune
D'un Courtifan flatteur la préfence importunes
N'eft que de ces beautés dont l'éclat éblouit,
Et qu'on ceffe d'aimer fi-tôt qu'on en jouit.
L'ambition déplait quand elle eft affervie,
D'une contraire ardeur fon ardeur eft fuivie;
Et comme notre cœur jufqu'au dernier foupir
Toujours vers quelque objet pouffe quelque dé-

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Il fe ramene en foi n'ayant plus où fe prendre,
Et monté fur le faîte il aspire à defcendre.
J'ai fouhaité l'Empire & j'y fuis parvenu,
Mais en le fouhaitant je ne l'ai pas connu.
Dans fa poffeffion j'ai trouvé pour tous char

mes

D'effroyables foucis, d'éternelles allarmes,
Mille ennemis fecrets, la mort à tout propos、
Point de plaifirs fans trouble & jamais de repos.
Sylla m'a précédé dans le pouvoir suprême,
Le grand Céfar mon pere en a joui de même;
D'un œil fi différent tous deux l'ont regardé,
Que l'un s'en eft démis & l'autre l'a gardé.
Mais l'un cruel, barbare, eft mort aimé, tran-
quille,

Comme un bon Citoyen dans le fein de fa Vil

le.

L'autre tout débonnaire au milieu du Sénat A vû trancher fes jours par un affaffinat

Ces exemples récens fuffiroient pour m'inftrui

-re,

Şi par l'exemple feul on fe devoit conduire.
L'un m'invite à le fuivre & l'autre me fait peur,
Mais l'exemple fouvent n'eft qu'un miroir trom-
peur

Et l'ordre du deftin qui gêne nos pensées,
N'eft pas toujours écrit dans les chofes paffées,
Quelque fois l'un fe brife où l'autre s'eft fauvé,
Et par où l'un périt un autre eft confervé.
Voilà, mes chers amis, ce qui me met en pei-

ne

Vous qui me tenez lieu d'Agrippa, de Mecene, Pour réfoudre ce point avec eux débattu,

Prenez fur mon efprit le pouvoir qu'ils ont eu. Vous mettrez & l'Europe & l'Afie & l'Afrique Sous les loix d'un Monarque ou d'une Républi que;

Votre avis eft ma régle, & par ce feul moyen Je veux être Empereur ou fimple Citoyen.

CINNA.

N'imprimez pas, Seigneur, une honteuse mar-
Seque

A ces rares vertus qui vous ont fait Monarque;
Vous l'êtes juftemènt, & c'eft fans attentat
Que vous avez changé la forme de l'Etat.
On ne renonce point aux grandeurs légitimes,

On garde fans remords ce qu'on acquiert sang crimes;

Et plus le bien qu'on quitte eft noble, grandi exquis,

Plus qui l'ofe quitter le juge mal acquis.

Rome eft deffous vos loix par les droits de la Guerre,

Qui fous les loix de Rome a mis toute la Terre; Vos Armes l'ont conquife, & tous les Conqué

rans

Pour être ufurpateurs ne font pas des tirans. Quand ils ont fous leurs loix affervi des Provin

ces-,

Gouvernant juftement, ils s'en font juftes Prin

ces.

C'eft ce que fit Céfar; il vous faut aujourd'hui
Condamner fa mémoire ou faire comme lui....
On entreprend affez, mais aucun n'exécute,
Il est des affaffins, mais il n'eft plus de Brute(a);
Enfin s'il faut attendre un femblable revers,
Il eft beau de mourir Maître de l'Univers.

MAXIME.

Suivez, fuivez, Seigneur, le Ciel qui vous inf pire,

Votre gloire redouble à méprifer l'Empire, Et vous ferez fameux chez la postérité

(4) Brutus fut un de ceux qui afsaffinerent Jules Céfar

Moins pour l'avoir conquis, que pour l'avoir

quitté.

Le bonheur peut conduire à la grandeur fuprê

me,

Mais pour y
renoncer il faut la vertu même;
Et peu de généreux vont jufqu'à dédaigner,
Après un Sceptre acquis, la douceur de régner,
CINNA.

Rome a reçu des Rois fes murs & fa naiffance;
Elle tient des Confuls fa gloire & fa puiffance a
Et reçoit maintenant de vos rares bontés
Le comble fouverain de ses profpérités.

Sous vous l'Etat n'eft plus en pillage aux Armées

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Les portes de Janus par vos mains font fer

mées,

Ce que les Confuls on n'a vû qu'une fois,

Et qu'a fait voir comme eux le second de nos Rois.....

Que l'amour du Pays, que la pitié vous touche, Votre Rome à genoux vous parle par ma bou◄ che;

Confidérez le prix que vous avez couté,
Non pas qu'elle vous croye être trop acheté;.
Des maux qu'elle a fouffert elle est trop bien
payée,

Mais une jufte peur tient fon ame effrayée.....

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