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230 le monde, & cela eft beau comme le Cid, étoit une louange qui avoit paffé en Proverbe. L'ingénieux (a) Auteur de fa vie nous apprend que Mr. de Corneille avoit » dans fon cabinet cette Piéce traduite en >toutes les langues de l'Europe hors l'Ef

clavone & la Turque.» Tout le monde fait que cette célébre Piéce excita la jaloufie du Cardinal de Richelieu. Ce Miniftre, dont le nom fera immortel, par une foibleffe qu'on ne fait comment allier avec fes grandes qualités, y vouloit joindre celle de faire des Piéces de Théâtre; il donc l'Académie Franengagea çoife à porter un jugement fur le Cid relativement à la critique qu'en avoit faite Mr. de Scuderi. Comment refufer un Miniftre qui protégeoit les talens & qui remuoit à fon gré toute l'Europe? Cependant les hommes fages qui furent chargés de cette critique» vinrent à bout de conferver tous les égards qu'ils devoient » d'un côté à un fi grand homme qui ne ceffoit de l'être qu'en cela feul, & de l'autre à l'eftime prodigieufe que le Pu»blic avoit conçu du Cid. L'Académie fatisfit le Cardinal, dit Mr. de Fonte(a) Mr. de Fontenelle.

nelle, en reprenant exactement tous les "deffauts de cette Piéce, & le Public en »même tems, en les reprenant avec mo» dération souvent même avec louange.». De là on fit cette remarque, que fi la plus belle Piéce de Théâtre étoit le Cid, la plus faine critique qui eut jamais été faite, étoit celle du Cid.

On peut dire enfin de Corneille qu'il »a donné le premier les véritables régles du Poëme Dramatique, qu'il a découvert les vraies fources du beau & qu'il les a ouvertes à tout le monde. » Il a jetté le Sublime dans les paffions : l'ambition, la colere, la vengeance, la jalousie, l'amour même, cette paffion fi ridicule, portent chez lui un caractere de grandeur qu'il a créé & que nul autre n'a pû furpaffer: auffi a-t-on dit de lui qu'il a trouvé le fecret d'exciter dans l'ame cet étonnement que produit la grandeur des fentimens. Par-tout il inftruit & il maîtrise tous les hommes indifféremment par les maximes, les préceptes, les traits fententieux dont il abonde. Il étoit véritablement digne de faire parler les Rois & les grands hommes convenablement à leur rang & à leur caractere. Quel autre que

luí a mieux rendu le langage de la Majefté Royale & celui des Héros de l'antiquité, dont il nous a déployé toute l'ame? C'est ainsi, nous difons-nous, que ces hommes illuftres devoient parler & agir. que Ce n'étoit pas fans raifon le Maréchal de Gramont grand pere du dernier Maréchal de ce nom, difoit finement que Corneille étoit le Breviaire des Rois.

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Il faut avouer que dans fes dernieres Tragédies, les beautés n'y font pas fi >> communes, mais auffi y trouve-t-on des » Scénes que Corneille étoit feul capable de faire. C'eft ce qu'on remarque dans celle de fes Piéces qui ont eu le moins de réputation; comme dans Attila, la Scéne où ce Prince délibére s'il fe doit Dallier à l'Empire qui eft prêt à tomber ou à la France qui s'élevé. Il en eft de ❤même de la Scéne d'Agéfilas & de Lyfander, dans la Tragédie qui porte le nom du premier. » Enfin dans les Piéces mêmes qui devroient fe fentir du déclin de fon âge; fon même génie s'y fait appercevoir, & on peut dire avec plus de vérité du Poëte François ce que Longin a dit d'Homere, que dans fes derniers Ouvrages il eft femblable au Soleil qui a toujours

toujours la même grandeur quand il fe couche, mais qui n'a plus tant de force. "A tous ces traits nous croyons devoir ajoûter que dans les Ouvrages en Profe du grrnd Corneille, on trouve par-tout un goût exquis, une raifon épurée ; lorfqu'il parle de lui-même on découvre un certain air de franchise qui le fait aimer & admirer en même tems. On voit que dans le compte qu'il rend de fes Piéces, foit qu'il nous inftruife de leur fuccès ou de leur chute, il le fait avec une noble indifference, & on fent par-tout cette grandeur Romaine à laquelle il a donné fui-même tant d'éclat dans fes Tragédies.

Scénes brillantes & intéreffantes par la beauté des fentimens & des fituations.

Rodrigue célébre Cavalier Espagnol, ayant tué dans un duel le Comte de Gormas pere de Chimene dont il étoit l'amant, vient lui préfenter fon épée pour qu'elle venge fur lui la mort de fon pere. Voici quelques traits de cette brillante Scéne qui attache fi fort les Spectateurs par la fituation vive qu'elle expofe.

RODRIGUE

Hé bien, fans vous donner la peine de pourfu

vre,

Affurez-vous l'honneur de m'empêcher de vi

vre.

CHIMENE.

Elvire, où sommes-nous, & qu'est-ce que je voi ?

Rodrigue en ma maison, Rodrigue devant moi?. RODRIGUE.

N'épargnez point mon fang, goûtez fans réfif

tance

La douceur de ma perte & de votre vengeance.

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